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Stéphane Caristan : "Ça vient de tellement haut et c'est tellement pervers comme système"

Jonathan Murciano

Publié 10/11/2015 à 16:14 GMT+1

Stéphane Caristan ne se dit pas surpris par les révélations du rapport de l'Agence mondiale antidopage qui épingle les athlètes russes. Pour l'ancien hurdleur, seule la suspension à vie donnerait un coup de pouce à la lutte antidopage.

Les Russes Maria Kuchina et Anna Chicherova aux Mondiaux 2015

Crédit: AFP

Etes-vous surpris par ce scandale dévoilé par l'AMA, l'Agence mondiale antidopage, dans son rapport paru lundi ?
S.C. : Non, parce qu'en fait, quand on est dans le milieu, on voit bien qu'il se passe des choses et on ne les comprend pas toujours. Je comprends mieux aujourd'hui pourquoi je ne comprenais pas. Effectivement, si derrière il y a du chantage et de l'escroquerie, je comprends mieux pourquoi les Russes sont passés au travers des mailles de la lutte contre le dopage.
Vous n'êtes donc pas tombé de votre chaise quand vous avez découvert ce rapport…
S.C. : Je ne l'ai pas lu car il est en anglais et il contient plus de 300 pages. Sur l'essentiel qui se dit, ce sont les proportions qui me semblent hallucinantes. Il y a deux choses : l'affaire de dopage, institutionnalisée des Russes, et puis ce qu'il se passe à la Fédération internationale de l'athlétisme. Ce sont deux choses qui sont liées et qui font un tort phénoménal à l'athlétisme.
Que vous inspire ce dopage de masse et ancré chez les athlètes russes ? Trente ans après l'Allemagne de l'Est, n'est-ce pas surprenant d'en être toujours au même point ?
S.C. : Ça ne m'inspire pas grand-chose car il faut remettre les choses dans leur contexte. C'est marrant car c'est sorti hier (lundi) alors que c'était l'anniversaire de la chute du Mur de Berlin, symbole de l'affaissement du bloc de l'Est. Le noyau dur de l'URSS, c'était la Russie avec un système de dopage qui était une vraie vitrine politique pour le pays. Rien n’a disparu. On est dans la continuité culturellement parlant avec le même fonctionnement d'antan. Selon le rapport de l'AMA, une athlète Russe affirme qu'aux Jeux de Londres en 2012, 99% de la délégation russe en athlétisme étaient dopés. Je ne sais pas mais je fais un simple calcul. En 2011-2012-2013, les Russes prennent en moyenne 18 médailles en championnats ou aux JO en athlétisme. En 2015, ils n'en prennent que quatre. 80% des médailles russes ont disparu. Je pense que ce pourcentage est à la hauteur de celui du dopage chez les athlètes russes.
Vous avez commenté pour Eurosport bon nombres de compétitions ces dernières années. Avez-vous eu toujours des suspicions à propos des Russes ?
S.C. : La réponse se trouve dans nos commentaires avec Alexandre Pasteur sur l'antenne d'Eurosport. Quand on part sur des championnats d'Europe, qui ont lieu tous les hivers et tous les deux ans l'été, on fait toujours le bilan de la Russie sur le 400 féminin où elles sont 8 sur 10 en finale. Sauf cette année… On ne peut pas diffamer. On en parle et on attire l'attention sur le sujet. Depuis près de 30 ans, je tire le signal d'alarme sur plein de choses et je remercie Eurosport de m'avoir donné carte blanche là-dessus car ce n'est pas évident. C'est bon signe que ça explose aujourd'hui car on n'avait aucune preuve. J’ai toujours émis des réserves avec de grosses interrogations dans mes commentaires. Et j'assume mes propos.
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Scandale dopage et corruption en Russie : Rapport de l'AMA distribué aux journalistes à Genève

Crédit: AFP

Lors des compétitions, vous n'avez jamais assisté à des scènes suspectes qui auraient pu étayer vos propos ?
S.C. : Quand je suis avec la presse, je n'ai pas accès au stade d'entraînement. Quand j'étais athlète ou entraîneur, j'étais focalisé sur mon sujet. Je n'étais pas curieux de ça car je ne veux pas tomber dans la suspicion. Quand on était athlète, dès qu'on perdait de vue sa bouteille, on était tout de suite stressé et on la jetait par peur que quelqu'un ait mis quelque chose dedans. C'était la fin des années 1980. Mon objectif était de gagner quelque soit la personne face à moi. Depuis les tribunes, je me souviens du premier gros truc qui a eu lieu aux Jeux de Sydney avec le Grec Kenteris sur 200 m. Je me souviens de la réaction d'Alexandre (Pasteur) et je lui fais un signe qui montre qu'il est chargé. Dans le feu de l'action, je reste posé mais quatre ans plus tard avec Thanou, on voit ce qui se passe. Mon expérience d'athlète et d'entraîneur fait qu'il y a des profils qui paraissent suspects.
Vous fréquentez les athlètes lors des compétitions ou à l'INSEP où vous exercez. Ne vous ont-ils pas fait part de leurs doutes ?
S.C. : J'ai été directeur des équipes de France pendant peu de temps (un an). On n'a pas eu le temps d'aborder le sujet. Mais si les gens veulent en parler, je suis ouvert et prêt à les écouter. J'ai rencontré un athlète aujourd'hui. Il m'en a parlé et on en a rigolé. Il ne faut pas croire que les athlètes vivent avec cette oppression et ce stress-là. On le constate mais ça rentre un peu dans l'ordinaire. On se dit encore un qui est pris mais on passe à autre chose derrière. Aujourd'hui, la justice s'en charge comme on l'a vu avec Lance Armstrong dans le cyclisme. Je suis content qu'en France, on ait pris le taureau par les cornes et que ce soit le juge Van Ruymbeke qui s'occupe de ce dossier et il y a Interpol en soutien. Ils ont ferré un gros poisson et il va falloir le démanteler.
Il y a eu du changement avec l'élection de Sebastian Coe à la tête de l'IAAF. Est-il l'homme idoine pour gérer ce scandale et mettre les mains dans?
S.C. : Il était vice-président de cette institution depuis sept ans. Il est nommé aujourd'hui président. On peut difficilement imaginé qu'il n'était pas un petit peu informé de tout ce qu'il se passait. C'est possible mais on peut y mettre des réserves sur le fait qu'il ne savait rien. Aujourd'hui, l'AMA parle de sabotage des JO 2012 et les Jeux de Londres, c'est Sebastian Coe. Sa propre famille de l'athlétisme est en train de lui mettre une balle dans le pied. Il a une bonne image. Il a tout intérêt à suivre les recommandations de l'AMA et de faire le ménage et il s'est positionné là-dessus. Il doit faire en sorte que lors de son mandat, on n’ait plus cette suspicion permanente à chaque fois qu'un athlète réalisera une performance. Il faudra durcir les sanctions contre ces athlètes.
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Sebastian Coe, double champion olympique du 1500m, nouveau président de l'IAAF.

Crédit: AFP

Pour finir, quelle mesure préconisez-vous pour ne pas voir l'histoire se répéter dans les prochaines années ?
S.C. : Il y a trente ans, j'avais un discours naïf sans aucune connaissance. J'en parle depuis trente ans et ce n'est pas faute de l'avoir fait. On me dit souvent pourquoi des anciens athlètes de haut niveau comme moi ne peuvent rien faire. Mais la raison est simple, ça vient de tellement haut et que c'est tellement pervers comme système qu'on ne peut même pas l’imaginer. Ça fait des années que je fais des propositions. Ces solutions sont plus ou moins rentrées en ligne de compte. Tant qu'on ne touchera pas au porte-monnaie et qu'on prendra la décision de radier quelqu'un pendant dix ans. Je suis pour la suspension à vie pour ne pas revoir ces athlètes revenir et reprendre de l'argent. A force de tolérance, les gens en profitent toujours. Tant qu'on n'a pas des sanctions dures, les gens s'engouffrent et jouent avec les règlements. Aujourd'hui, on est passé à quatre ans mais la peine est réduite si la personne balance son réseau. C'est un pas en avant, deux pas en arrière.
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