Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Cyclisme - Rapport CIRC-UCI, Ballester : "Le dopage demeure, c’est honnête de le reconnaître, mais…"

Maxime Dupuis

Mis à jour 09/03/2015 à 19:27 GMT+1

Pierre Ballester, journaliste sportif spécialiste des enquêtes sur le dopage, juge que le rapport de la CIRC sur l'UCI a le mérite de dire les choses et de mettre le doigt là où ça fait mal. Néanmoins, il regrette que la commission d'enquête ne soit pas allée encore plus loin.

Lance Armstrong lors du Tour de France 2005

Crédit: AFP

Treize mois d'enquête, 174 entretiens individuels et un rapport de 227 pages : êtes-vous surpris par ce que vous avez lu dans le rapport de la Commission Indépendante pour la Réforme du Cyclisme (CIRC), rendu public lundi ?
Pierre Ballester : Quand on a suivi le dossier depuis plusieurs années, ça ne peut pas être une surprise. Il n'y a pas de révélation. Cette commission indépendante, mandatée par l'UCI pour faire une sorte d'audit sur les agissements passés, a simplement "constaté le constat". Elle a réalisé un état des lieux et montré que le pouvoir autarcique et autoritaire des dirigeants de la fédération internationale de l'époque protégeait des gens et passait outre la morale.
Quel est son constat ?
P.B. : Il est simple : le dopage existe toujours, malgré d'évidents progrès. Il y a toujours une culture du dopage dans le cyclisme. Cette commission lance une piste de travail mais elle ne tape pas du poing sur la table. Une autorité internationale qui fait son autocritique, c'est formidable. Mais elle ne s'est pas fait hara-kiri. La CIRC ne reconnait pas les éléments de corruption de l'équipe précédente car, en faisant ça, elle ouvrirait la boîte de Pandore. L'Union Cycliste Internationale est une antenne du CIO et on n'a jamais vu un croiseur attaquer le vaisseau amiral.
picture

Hein Verbruggen avec Lance Armstrong sur le Tour de France 2002

Crédit: Imago

L'un des acteurs principaux de ce rapport n'est autre que Lance Armstrong. L'Américain a été protégé parce qu'il était la chance de l'UCI. Son image de survivant et sa nationalité faisaient de lui l'ambassadeur idéal d'un cyclisme post-affaire Festina. A-t-il simplement été "the right man in the right place" ?
P.B. : Sur le moment, ce n'est qu'un concours d'opportunité entre Lance Armstrong qui débutait sa série de victoires sur le Tour de France et la fédération internationale qui avait un besoin impératif de s'universaliser. Il y avait une convergence d'intérêts qui est rapidement tombée dans le conflit d'intérêts. L'un a aidé l'autre, avec de l'argent au milieu. Hein Verbruggen et Lance Armstrong sont deux politiques avec deux caractères ressemblants. Ils sont glaçants et autoritaires.
Les deux hommes se ressemblaient. Mais comment expliquez-vous que la situation ait perduré avec Pat McQuaid, son successeur à la tête de l'UCI ?
P.B. : McQuaid était à Verbruggen ce que Medvedev fut à Poutine… L'un a remplacé l'autre, avec un positionnement très faible et un charisme de lavabo. Il a poursuivi cette même politique expansionniste, contrôlé à distance par Verbruggen. McQuaid a continué sur le même mode jusqu'à la fin.
Parlons du présent, le rapport de la CIRC assure que le dopage centralisé et d'équipe n'a plus voix au chapitre. Le dopage individuel, si. Le problème a simplement été déplacé ?
P.B. : Le problème demeure, effectivement. Je ne suis pas encore persuadé qu'on puisse dire que le dopage institutionnalisé n'existe plus. Notamment dans les pays de l'est. Il a simplement évolué et se fait désormais par micro-dosage. On flirte avec les barèmes. Là-dessus, l'UCI a fait un petit coming out. Mais les principales recommandations ressemblent à des vœux pieux. Un exemple concret avec l'équipe d'Astana où il y a de fortes présomptions de double jeu. On menace de ne pas reconduire la licence de l'équipe… mais l'UCI remet ce soin entre les mains de la commission des licences. Pourquoi ne le fait-elle pas sur son seul nom ? Elle va envoyer trois personnes au feu et qui vont devoir faire face à la pression d'un gouvernement…
Si l'on en croit le rapport, le gain de performance lié au dopage serait passé de "3 à 5%" contre "10 à 15%" il y a dix ans. Comment la commission est-elle parvenue à quantifier cela ? Ne laisse-t-on pas entendre ou croire que la tricherie est désormais plus petite, donc plus acceptable ?
P.B. : Oui, c’est ce que cela laisse entendre. Mais je ne sais pas sur quoi ils se basent pour sortir de tels chiffres… On peut aussi se baser sur d'autres choses, liées à la perception : sur le dernier Tour de France, deux Français sont montés sur le podium. Ça faisait 30 ans que ça n'était pas arrivé. En France, je sais qu'on essaie de jouer le jeu, même s'il y a encore des failles. Et ça, c'est un indicateur encourageant. Il y a dix ans, ç'aurait été du domaine de l'utopie totale. Néanmoins, comme le rappelle l'UCI, le ménage n'est pas encore totalement fait. Nous avons évalué à 30% le personnel d'encadrement des équipes professionnelles à être passés par la case dopage par le passé… Le dopage demeure, la tricherie existe encore. C'est une forme d'honnêteté de le reconnaitre mais ils n'ont pas poussé trop loin les feux.
picture

Lance Armstrong et Jan Ullrich sur le Tour de France 2001

Crédit: Getty Images

Un coureur "respecté" qui a témoigné devant la CIRC pense que 90% du peloton est encore dopé aujourd'hui. Un autre 20%. On voit bien qu'une forme d'empirisme demeure…
P.B. : C'est de l'empirisme et du flou artistique. Mais il ne faut pas caricaturer ou forcer le trait : tout le monde n'est pas à mettre dans le même sac. Il y a eu des choses bien faites. C'est un effort de longue haleine. Aujourd'hui, il serait facile de dire 'tout ça pour ça ? Un an et demi d'enquête, 174 personnes auditionnées…' Mais c'est déjà énorme. A ma connaissance, c'est la première fois qu'une fédération internationale fait cela. L'autocritique est parfois sévère.
L'UCI est-elle aujourd'hui à l'abri d'une rechute et d'une autre dérive autarcique ?
P.B. : Le monde du sport à l'échelle internationale n'a pas d'égal en matière de copinage, de cooptation et de mode de gouvernance antidémocratique. Ces fédérations vivent souvent dans une bulle et sans organe de contrôle. Du coup, quand un frein arrive de l'extérieur, ils ne comprennent pas et continuent à faire comme si de rien n'était. Le CIO et FIFA vivent en toute impunité. L'UCI a réalisé quelque chose de peu commun et d'inhabituel mais cela a ses limites.
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité