Romain Bardet (AG2R La Mondiale), la raison au service de l'instinct

Il a tenu bon. Mais au fond, qui en doutait vraiment ? A l'issue de l'ultime étape de montagne à Morzine, Romain Bardet (AG2R La Mondiale) a conservé sa deuxième place, si magnifiquement acquise la veille au Bettex. L'Auvergnat n'a pas tremblé malgré les averses haut-savoyardes. Ses adversaires les plus proches, Nairo Quintana, Adam Yates et Richie Porte ne l'ont pas attaqué. Et aucune chute ne s'est produite dans la si redoutée descente de Joux-Plane. Le Français est donc le dauphin de Chris Froome sur ce Tour 2016. Le voilà entré dans une nouvelle dimension, sans infraction aucune.

13e en 2013, 6e en 2014 et 9e l'an dernier avec une victoire d'étape, le natif de Brioude a gravi les échelons un par un jusqu'à celui qui constitue, aujourd'hui, le point culminant de sa carrière. Son premier podium sur le Tour ne vient pas de nulle part. Il est la (première) consécration d'un coureur qui mêle à merveille raison et folie. Sérieux et romantisme. Le premier au service du second.

Bardet, c'est les gains marginaux de la Sky, le panache en plus. Un calculateur qui ne veut plus calculer en course. Qui a horreur des schémas préconçus. Mais qui cherche à diminuer l'incertitude à son paroxysme dans son entraînement, méticuleux, sans être obsessionnel non plus. Il dit ne pas concevoir les nombreux sacrifices consentis comme des contraintes, mais prend plutôt du plaisir à savoir qu'il met toutes les chances de son côté. Ce qui ne lui interdit pas des moments de relâche. Comme ses parties de "ball-trap", avec des proches en Auvergne, qui lui occasionne parfois des petites douleurs à l'épaule.

Dès son arrivée chez les pros, en 2012, son approche méticuleuse du métier de coureur avait frappé ses équipiers. "Avec lui, j'ai radicalement changé, avant je m'entrainais, puis c'était frites et fricadelle, confiait dans L'Equipe son plus fidèle lieutenant, Mikaël Chérel. En Romain, j'ai trouvé depuis trois ans un point d'appui pour aller plus haut." Avide de connaissances, le futur diplômé de l'école de management de Grenoble - il est d'ailleurs en stage de communication au club de rugby de l'ASM - n'a pas peur d'explorer des pistes de travail et fait tout pour mettre en œuvre ses convictions.

En 2014, il puise dans ses propres deniers pour partir seul dans la Sierra Nevada, convaincu des bienfaits des stages en altitude dans un endroit isolé, où il n'y a rien à faire à part rouler, manger et dormir. Chris Froome et les autres le font bien. Pourquoi pas lui ? L'expérience est concluante. Il l'a renouvelé en 2015. Et cette année, il a doublé la dose (mars puis mai), accompagné par sa garde rapprochée du Tour lors de la seconde occasion. Toute l'équipe AG2R - La Mondiale s'est rangée derrière son leader, consciente qu'il la tire vers le haut.

La soudaine chaleur l'avait cloué à la pente de la Pierre Saint-Martin en 2015 ? Bardet a travaillé en conséquence pour habituer son corps aux grands écarts de température, s'infligeant des entrainements en Espagne à 35°C avant de les conclure vers les cimes, où l'air se fait plus frais. Son approche du Tour a également été corrigée. Le nombre de reconnaissances a été revue à la baisse. Ou placées plus intelligemment, comme ce fut le cas lors du Dauphiné (2e derrière Froome), où il profita du séjour pour reconnaitre certaines étapes alpines, comme le chrono de Megève. De quoi arriver beaucoup plus frais au départ du Tour.

Cette recherche de la perfection - incarnée aussi par le soin qu'il apporte à la nutrition, où il est suivi par Denis Riché, un micro-nutritionniste - fait de lui un coureur sûr de sa force. Bien préparé, il sait qu'il peut se lâcher. Et dieu sait qu'il aime ça. Il considère le vélo comme un jeu. C'est ce qui fait sa force, le terreau de ses plus beaux succès. L'an passé, lors du Dauphiné, il avait réalisé un numéro dans la descente scabreuse du col d'Allos pour s'imposer à Pra-Loup. Un mois plus tard, c'est dans la descente de la Madeleine qu'il était allé sauver son Tour en levant les bras en solitaire à Saint-Jean-de-Maurienne.

Cette année ? C'est encore dans une descente, celle de la côte de Domancy, qu'il s'est échappé pour remporter, vendredi, la seule victoire française du Tour 2016. Son directeur sportif, Julien Jurdie, avec qui il est pourtant si proche, lui avait donné l'ordre de "sécuriser" sa place sur le bitume détrempé. Il a désobéi. Quitte à tout perdre au détour d'un virage mal négocié, ou d'une ligne blanche trop glissante. Il n'a écouté que son instinct et celui de Mikaël Chérel, en qui il dit avoir une confiance aveugle.

C'est un paradoxe qui traduit bien son caractère joueur, imprévisible : c'est au Bettex, une arrivée au sommet, qu'il a fait la différence. Mais sur le papier, on l'attendait au tournant sur l'une des quatre arrivées en bas d'une descente. Il sait frapper là où ne l'attend pas. Là où les autres n'osent pas. Et maintenant qu'il a les moyens physiques de ses ambitions - en atteste ses progrès en contre-la-montre - Bardet est devenu un adversaire redoutable et redouté. Le dauphin logique et légitime de Chris Froome. Et un candidat crédible à la victoire finale pour les années à venir.