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Escarabajo : la nouvelle génération colombienne face au mythe

Benoît Vittek

Mis à jour 28/06/2017 à 17:47 GMT+2

TOUR DE FRANCE - Avec Nairo Quintana et un incroyable réservoir de talents, le cyclisme colombien connaît un nouvel âge d’or. 30 ans après les pionniers emmenés par Lucho Herrera, la nouvelle génération s’attaque désormais au Tour pour dépasser ses prédécesseurs de légende.

Colombia's Nairo Quintana of team Movistar climbs in the last kilometers of the 18th stage of the 100th Giro d'Italia, Tour of Italy, cycling race from Moena to Ortisei on May 25, 2017

Crédit: Getty Images

Voilà 30 ans que c’est annoncé : un Colombien va gagner le Tour de France. À quelques 8.000 kilomètres des cimes pyrénéennes, une nation traversée par les Andes s’en est convaincue au milieu des années 1980. La certitude de ce peuple, qui a fait de la Petite Reine sa favorite depuis bien longtemps, s’est immédiatement répandue avec une force contagieuse animée par les exploits des premiers grimpeurs colombiens venus conquérir le vieux Continent.
Dans ces années 1980, une légende naît. Celle des Escarabajos. Ces fins scarabées se permettent dès leur arrivée dans le cyclisme européen, alors qu’ils sont encore amateurs, de bousculer des sommités telles Bernard Hinault ou Laurent Fignon. En 1984, Martin Ramirez s’offre ainsi le Dauphiné. Quelques semaines plus tard, Lucho Herrera triomphe de l’Alpe d’Huez sur le Tour. C’était donc écrit : un Colombien allait gagner le Tour de France, et rapidement.
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Slide Alpe d'Huez 1987 Delgado Herrera

Crédit: Getty Images

Le rêve jaune

Depuis, l’espoir du peuple colombien se transmet de génération en génération. Celle, brillante, qui irrigue aujourd’hui le peloton saura-t-elle relever le flambeau pleinement ? S’il bute pour l'instant sur Froome, Nairo Quintana (Movistar) a bien réveillé le Sueño amarillo ("rêve jaune"), quelque peu endormi dans les années 1990 et 2000. Dès samedi, il sera rejoint par Esteban Chaves (Orica-Scott) dans la quête d’une première victoire sud-américaine sur la Grande Boucle. Une prouesse digne du mythe des Escarabajos.
Depuis toujours, les Colombiens savent honorer leurs légendes, notamment cyclistes. Mais c’est peut-être un Britannique qui saura le mieux vous les raconter. Matt Rendell, journaliste polyglotte fasciné par l’histoire de ces Escarabajos, s’est lancé sur leurs traces pour signer “Kings of the Mountains - How cycling heroes changed their nation’s history”. Rendell remonte aux premières heures de la Vuelta a Colombia. Sa naissance, en 1951, est un tournant historique pour le cyclisme colombien.
Les Colombiens ont ouvert la porte pour le reste du monde.
Partenaire de l’événement fondateur, le journal El Tiempo définit déjà ce qui fait toujours la spécificité des Escarabajos : “S’il nous est permis la comparaison, les routes de France et de Colombie sont aussi différentes qu’un billard et des montagnes russes. Sa difficulté va rendre la Vuelta a Colombia particulière, si ce n’est unique, parmi les grandes épreuves du cyclisme mondial.
Façonné à l’image de son pays, le cycliste colombien sera longtemps (et reste principalement) un pur grimpeur, ce qui freinera sa progression vers les podiums européens. Il est également en proie aux difficultés qui empoisonnent le système sportif et le pays en général. Avec l’émergence des Escarabajos trois décennies plus tard, “les Colombiens ont été la première nation métissée à adopter ce sport profondément européen”, explique Matt Rendell, “et le premier pays en voie de développement à envoyer des coureurs de classe mondiale sur les chasses gardées des Européens. Ils ont ouvert la porte pour le reste du monde.” Et pour les générations suivantes.
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Nairo Quintana et les fans colombiens sur la Vuelta

Crédit: Getty Images

Trois décennies plus tard, la réémergence

Aujourd’hui, les jeunes pousses peuvent faire leurs gammes sous les couleurs roses de Manzana-Postobon, ex-Colombia es Pasion ou encore Café de Colombia. Nairo Quintana et Esteban Chaves, mais aussi Jarlinson Pantano, ont découvert le très haut niveau avec cette structure où tout fait écho aux années 1980 - à la différence près que ses nouveaux dirigeants ont adopté des positions résolument anti-dopage dans un pays où la question de la drogue est très sensible.
Pour Oscar Vargas, troisième de la Vuelta en 1989, aujourd’hui directeur sportif chez Postobon, ces nouveaux talents bénéficient aujourd’hui de conditions bien meilleures. Ils retrouvent l’avantage naturel offert par la vie en altitude, avantage gommé lorsque l’EPO-roi gonflait artificiellement l’hématocrite. Et loin des considérations sportives, “nous vivons des temps calmes avec le processus de paix”. Retiré précipitamment des pelotons professionnels alors que le pays était en proie à la guérilla, lui-même n’a pas connu cette chance. Son père avait été assassiné, sa femme et ses enfants étaient menacés.
Pendant qu’Oscar Vargas s’explique, une flèche rouge et blanc remonte la file des voitures des directeurs sportifs. Le soleil malaisien mord sa peau mate mais Egan Bernal promène tranquillement ses 20 ans et son immense potentiel. Les tests réalisés par le nouveau protégé de Michele Bartoli auraient révélé des possibilités supérieures à celles de Miguel Indurain ou Chris Froome. Sky et Movistar ont flairé la pépite mais c’est pour l’instant Androni-Giocattoli qui profite de son talent.

Nouvelle génération, nouveaux atouts

J’ai commencé à monter à vélo parce que mon père était coureur en Colombie”, raconte le jeune grimpeur toujours aussi serein, étayant ses réponses détaillées par des anecdotes qu’il incarne à mesure qu’il les raconte. “On regardait le Giro, le Tour, la Vuelta… et il me disait qu’il voulait me voir là, avec les grands champions, les Armstrong, les Contador. Il me disait: ‘Mon rêve, c’est que tu cours là.’
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Egan Bernal (Androni)

Crédit: Eurosport

Né dans les années 1990, Egan Bernal n’a pas entendu les commentateurs radio colombiens raconter en direct la légende des Escarabajos avec force et exagérations. Lorsqu’on lui demande qui est le premier Colombien à avoir remporté un Grand Tour, il suggère “Nairo? No?” avant d'esquisser un sourire gêné le précédent Herrera. Le récent vainqueur du Tour de Savoie Mont Blanc ose même affirmer une certaine admiration pour le style Froome, un blasphème !
Egan Bernal a tout de même été couvé par quelques glorieux anciens et a commencé à s’entraîner avec Esteban Chaves après quelques échanges sur les réseaux sociaux. Il vit aujourd’hui en Italie, est représenté par un agent qui gère aussi les intérêts de Nairo Quintana et Michal Kwiatkowski, et son chemin vers les sommets semble déjà tracé. Passé sur les bancs de l'université, choyé par de nombreux parrains, il dispose d'atouts inimaginables pour ses prédécesseurs. Bernal, Chaves, Quintana ou un autre, c’est une certitude : un Colombien va gagner le Tour de France.
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