Les débats du Tour : Froome, 50 jours en jaune et quelle place dans l'histoire ?

Oui, à 95%. À moins d’une subite défaillance ou d’une chute fatale (les 5% restants), je ne vois pas comment l’Allemand pourrait ne pas finir en vert à Paris et devenir le premier vainqueur allemand du classement par points depuis Erik Zabel en 2001, dont il vient de battre le record de victoires d’étapes sur le Tour en s’imposant une 13e fois à Bergerac.

Sagan, Cavendish et Démare out, Kittel n’a plus de rival à sa mesure... si tant est qu'il en existait un au départ du Tour. Le sprinteur de la Quick-Step n'a encore jamais été battu à la régulière. Et rien n'indique que le vent va tourner vu sa nouvelle démonstration dans le Périgord. Plus important encore, le trou est fait au classement. Son premier poursuivant, Michael Matthews, pointe à 102 points. Soit plus de deux victoires d’écart. Sachant qu’il ne reste plus que quatre étapes de plat (voire cinq avec l’arrivée au mur de Rodez, favorable à l’Australien), autant dire que l’affaire semble (presque) bel et bien déjà plié.

Cela ne fait aucun doute, Marcel Kittel est une tête au-dessus de la meute des sprinteurs cette année. L’Allemand a offert une démonstration à Bergerac, en l’emportant très largement, alors qu’il n’était pas très bien placé à un kilomètre de l’arrivée, et ce alors que son poisson-pilote Matteo Trentin a quitté la course, arrivé hors-délais dimanche. Vous pensez donc Kittel intouchable ? Prenez donc l’exemple de Trentin. Le Tour a déjà montré à maintes reprises son caractère impitoyable. Le scénario dantesque de dimanche en est la piqûre de rappel la plus marquante.

Si l’on ne souhaite pas à Kittel une chute qui mettrait un terme à ses rêves de maillot vert, l’Allemand n’est pas à l’abri d’une défaillance en montagne. Vis-à-vis de Michael Matthews, ou même d’André Greipel, le coureur de la Quick-Step connaît plus de difficultés quand la pente s’élève. L’étape du 14 juillet à Foix a par exemple une bonne tête de traquenard parfait. Avec seulement 101 kilomètres mais trois cols de première catégorie, l’étape de vendredi va être nerveuse, peut aller vite et pourrait donc offrir des délais très courts pour le grupetto. Un coup de moins bien pourrait ainsi coûter très cher. Même quand on compte plus de 100 points d’avance au classement.

Mercredi, au départ de la 11e étape à Eymet, Chris Froome débutera sa 50e journée en jaune sur le Tour de France. Un nombre symbolique qui mérite forcément l’attention. Car, à cet égard, le Britannique égale tout simplement Jacques Anquetil, et pointe juste derrière les trois autres quintuples vainqueurs du Tour, à savoir Eddy Merckx (96), Bernard Hinault (75) et Miguel Indurain (60). C’est d’autant plus fort qu’il les a engrangés au cours de trois Tour et demi, contre cinq pour Anquetil et Indurain, huit pour Hinault et six pour Merckx. À ce ratio-là, il apparaît même deuxième derrière le Cannibale. Ce qui traduit une vraie suprématie sur son époque. La toute puissance de la Sky l'y aide, c'est vrai. Mais les équipes de Merckx, Hinault, Indurain et Anquetil étaient-elles faiblardes pour autant ?

Froome n’est évidemment pas l’égal de ces mastodontes-là. Pas encore. Mais il emprunte le chemin pour le devenir. À 32 ans, l'heure du déclin n'a pas encore sonné. Il est bien parti pour remporter un 4e Tour. Et l’hypothèse de le voir décrocher une 5e couronne, l’an prochain, n’a absolument rien de farfelu.

Le porteur du maillot jaune est d’ores et déjà dans la légende du Tour, sans la moindre contestation possible. Avec ses trois sacres, avant peut-être un quatrième sur les Champs dans une semaine et demie, le Kenyan blanc tient déjà une bonne place dans le grand livre de l’histoire du Tour. Mais je ne pense pas que ces 50 maillots jaunes, aussi impressionnants soient-ils, changement réellement quoi que ce soit. Ce pour plusieurs raisons.

Le nombre de maillots jaunes est significatif dans le sens où il appuie la domination d’un coureur sur l’épreuve et sa constance. Mais il ne dit rien de la difficulté pour obtenir ces maillots. Est-ce que Rinaldo Nocentini, huit jours en jaune en 2009 grâce à une échappée fleuve, est plus grand dans l’histoire que Stephen Roche ou Charly Gaul, vainqueurs à Paris en ayant porté la tunique moins longtemps ? Il est aussi le reflet du cyclisme de ces dernières années où le poids des équipes se fait très important pour cadenasser la course, ce dès les premières étapes. Ce qui reste vraiment dans les mémoires, ce sont les victoires. Un maillot jaune est la récompense d’une journée. Un Tour de France celle d’une vie. A cet égard, Froomey est toujours derrière le quatuor Merckx – Hinault – Indurain – Anquetil.

En se pointant à cinq kilomètres de l’arrivée ? Au regard du tracé de cette 11e étape, cela pourrait bien être LA solution raisonnable pour tout spectateur qui attend autre chose que de faire la sieste devant sa télé. Mais je laisserai quand même aux acteurs une chance de livrer un scénario autrement plus emballant que lors des premières étapes de plaine qui ont à chaque fois plongé ce Tour dans la torpeur. Mon espoir réside dans l’ultra-domination de Marcel Kittel. Tout le monde l’a vu. Tout le monde le sait. À la régulière, le sprinteur allemand est intouchable sur les arrivées massives. Les équipes de Greipel, Kristoff et Bouhanni l’ont encore vérifié ce mardi ? Alors à quoi bon lui livrer la victoire sur un plateau en muselant les échappés tout au long de la journée ?

Si j’étais directeur sportif de ces formations-là (soyons fou), je changerai mon fusil d’épaule. Radicalement. Je laisserai la Quick-Step Floors seule face à ses responsabilités. Et j’organiserai même une coalition avec les autres équipes frustrées de victoires (et elles sont nombreuses) pour constituer une échappée très difficile à tenir en laisse. De plus, la montagne arrive jeudi. Alors pour ceux qui grimpent comme une planche à repasser, et ceux qui ne sprintent pas comme Kittel, autant essayer quelque chose de différent. Il suffit juste d’avoir un peu d’imagination, non ?

Non.

Bon d’accord, j’argumente un peu le fond de ma pensée, mais elle ne sera pas des plus optimistes quant à l’espoir d’une étape un peu plus animée. Certes, l’étape est un peu plus longue, avec une nouvelle journée à plus de 200 kilomètres, mais pas de quoi vraiment croire à un accroissement des chances pour les échappés. Les équipes de sprinteurs vont, comme depuis le début de la Grande Boucle, verrouiller l’étape et s’assurer de son dénouement.

Si jamais elles venaient à décider finalement de laisser filer, la Sky pourrait prendre le relais pour s’assurer de ne pas perdre la moindre seconde au classement général. C’est en tout cas l’attitude dont elle a fait preuve depuis le début du Tour. Le parcours très plat va sans doute donner tout de même quelques idées aux audacieux. De quoi agiter tout au plus les dix premières minutes. Et donc certainement les dix dernières.