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"Dans 20 ans, tout le monde tirera son chapeau à Kaepernick"

Laurent Vergne

Mis à jour 26/09/2016 à 09:56 GMT+2

Colin Kaepernick est pris depuis un mois dans une tempête qui a incontestablement secoué les Etats-Unis. La violence des réactions suscitées par sa protestation témoigne des divisions de la société américaine. Aujourd'hui majoritairement conspué malgré des soutiens croissants, trouvera-t-il grâce au regard de l'Histoire ?

Colin Kaepernick

Crédit: Eurosport

Un symbole. Un héros. Un traitre. Un anti-patriote. Un paria. Un faux-cul. Pour les 318 millions d'Américains, Colin Kaepernick est un peu tout cela, selon les points de vue. En protestant contre les violences policières faites à la communauté noire et en appuyant pour cela là où ça fait mal, à savoir l'hymne et le drapeau américains, qu'il boycotte donc depuis un mois, le quarterback de San Francisco a profondément divisé son pays.
La meilleure preuve du tourbillon qu'il a provoqué dans l'opinion tient en un paradoxe : selon un sondage effectué la semaine dernière par ESPN, Kaepernick est aujourd'hui le joueur le plus détesté de la NFL par le grand public. Lors de la précédente consultation, il y a deux ans, il n'apparaissait même pas dans les dix premiers noms cités. Mais dans le même temps, depuis début septembre, il est aussi le joueur dont le maillot a été le plus vendu. Là non plus, il n'était pas dans le Top 10 avant d'entamer sa protestation.
Une chose est sûre, il n'est plus seul aujourd'hui. Plusieurs joueurs de la NFL ont adopté la même attitude que lui depuis le début de la saison il y a trois semaines, en posant un genou à terre pendant l'hymne. C'est une lame de fond qui est en train de se lever, en NFL et même en dehors. A l'image de l'internationale américaine de football, Megan Rapinoe, qui a, elle aussi, posé un genou à terre pendant l'hymne américain avant la rencontre Etats-Unis-Thaïlande, à Colombus, le 15 septembre. "Nous devons regarder toutes les choses que notre drapeau et notre hymne représentent et nous poser une question : est-ce que cet hymne et ce drapeau protègent vraiment tout le monde ?", s'est interrogée la joueuse.
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Colin Kaepernick signant des autographes aux fans des 49ers le 1er septembre dernier

Crédit: AFP

Ditka : "Si on n'aime pas ce pays, si on n'aime pas ce drapeau, qu'on dégage !"

Mais si les soutiens se multiplient, le camp des anti-Kaepernick demeure de loin le plus massif. Les "anti" reprochent deux choses au joueur de San Francisco : la forme et le fond. Pour beaucoup, le problème n'est pas de s'élever comme Kaepernick, mais de le faire en s'attaquant à l'hymne et au drapeau. Le Star-Splangled Banner et le Stars and Stripes sont des symboles sacrés aux Etats-Unis.
Tim Tebow avait lui aussi créé un buzz gigantesque il y a cinq ans en NFL en posant un genou à terre, pour des motifs bien différents. A l'époque, le quarterback de Denver marquait à travers cette attitude (à demi-agenouillé avec la tête sur un bras) baptisée le "Tebowing" sa piété religieuse. Son avis sur le "Kaepernicking" était donc guetté. Ouvertement conservateur, Tebow estime que son collègue défend mal ses opinions. "Avoir des convictions et se lever pour les défendre, c'est une très bonne chose. Après, tout est dans la façon dont on se lève pour le faire", a commenté Tebow.
D'autres se sont montrés moins soft. Comme le légendaire entraîneur Mike Ditka, entré au Hall of Fame et aujourd'hui consultant sur ESPN. Son message à Kaepernick pourrait s'apparenter en une formule présidentielle jadis célèbre par chez nous : casse-toi pauvre con ! "Je n'ai aucun respect pour Kaepernick, a-t-il lancé vendredi. Il n'a probablement aucun respect pour moi non plus. C'est son choix. Mon choix à moi, c'est d'aimer ce pays, de respecter ce drapeau et je ne vois pas un pays avec toutes les atrocités dont on essaie de nous parler. Je vois un pays où il y a des opportunités, un pays où, si vous travaillez, vous pouvez devenir tout ce que vous voulez. Mais si on n'aime pas ce pays, si on n'aime pas ce drapeau, qu'on dégage !"
Donald Trump, le candidat républicain à la Maison Blanche, n'a pas dit autre chose, invitant lui aussi Kaepernick à aller voir ailleurs. "C'est terrible, ce qu'il fait, a jugé le magnat de l'immobilier. Je pense qu'il devrait trouver un pays qui lui convient mieux si le nôtre ne lui plait pas."
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Colin Kaepernick et Eric Reid

Crédit: AFP

Sois riche et tais-toi

Ce type de discours en mode "les plus gênés n'ont qu'à s'en aller" peut sembler à la fois brutal et réducteur, mais il est partagé par une bonne partie du peuple américain, heurté par les prises de positions de Colin Kaepernick, auquel il est aussi beaucoup reproché de ne pas être le mieux placé pour protester. "On parle d'un type qui a signé un contrat de 6 ans pour 114 millions de dollars et qui n'est même plus sur le terrain, et c'est lui qui pense comprendre les souffrances d'une part du peuple américain", rappelait Fox News, début septembre. Cet argument-là, que l'on pourrait résumer à "sois riche et tais-toi", revient fréquemment. Au fond, pour un Kaepernick, c'est perdant-perdant. Si les richissimes stars du sport U.S. se taisent, c'est un témoignage de leur indifférence. Si elles parlent, on leur claque leur illégitimité à le faire.
Mais pour ceux qui le soutiennent, tout ceci n'a que vocation à détourner le fond du débat. Kapernick n'est qu'un thermomètre. Se défouler sur lui ne fera pas chuter la température. "Ce qui devrait horrifier les Américains, a ainsi écrit l'ancienne star de la NBA Kareem Abdul-Jabbar, ce n'est pas que Kaepernick choisisse de rester assis pendant l'hymne national, mais que près de 50 ans après la destitution de Mohammed Ali et l'ostracisation de Tommie Smith et John Carlos, nous avons encore besoin d'interpeller la société pour des problèmes raciaux. Ce qui est indigne de notre pays, c'est son incapacité à résoudre ce problème-là."

La contestation avait sauté une génération

Ali, Smith, Carlos, les références sont puissantes, mais là aussi l'Amérique s'interroge sur la réelle portée, à long terme, du mouvement engendré par la protestation de Colin Kaepernick. "A l'âge d'Instagram, elle aura l'impact d'un simple selfie", prophétisait à chaud Brian Smith, éditorialiste du Houston Chronicle, le 27 août dernier. Un mois plus tard, il parait pourtant difficile de la tenir pour quantité négligeable. L'affaire Kaepernick a dépassé le cadre d'un simple buzz sur réseaux sociaux et c'est en soi une première victoire pour son initiateur.
Il est certes trop tôt pour savoir ce qu'en retiendra l'Histoire. Mais Bille Jean King, l'ancienne numéro un mondiale du tennis, femme très engagée et activiste et voix écoutée, est convaincue que Kaepernick sera regardé avec beaucoup plus d'indulgence qu'aujourd'hui. Et même un peu plus que cela. "Je suis certaine que, dans 20 ans, toute le monde lui tirera son chapeau comme nous l'avons fait pour Tommie Smith et John Carlos, a-t-elle confié à USA Today. C'est comme dans une course de relais. Il vient de récupérer le témoin de ces aînés-là."
Et King de suggérer que la contestation à voix haute incarnée par de grandes figures du sport avait peut-être "sauté une génération", celle des Michael Jordan et des Tiger Woods. D'où la violence des réactions. En attendant une possible réhabilitation au regard de l'Histoire, Colin Kaepernick doit donc braver la tempête.
John Carlos et Colin Kaepernick
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