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Critiqué, jalousé, Guardiola doit toujours en faire plus que les autres pour convaincre

Thibaud Leplat

Mis à jour 22/03/2016 à 12:29 GMT+1

LIGUE DES CHAMPIONS - Contre la Juventus, Pep Guardiola a passé 75 minutes aux enfers. On a alors entendu de tout sur lui, son football et ses idées grotesques. Il a fallu quatre buts pour faire taire provisoirement les ricaneurs. Mais pourquoi les victoires comme les défaites du coach espagnol sont-elles toujours jugées avec tant de mépris et de jalousie ? Explications mythologiques.

Pep Guardiola

Crédit: AFP

Il n’avait pourtant rien fait d’autre que de révéler le rapt d’Egine par Zeus à son père. Qu’aurions-nous fait à sa place ? Nous serions-nous tu ? Il y a dans la mythologie grecque un épisode qui peut nous dire des choses intéressantes sur l’étrange malédiction qui poursuit Pep Guardiola à chacune de ses apparitions. C’est l’histoire de Sisyphe. Écoutons-là. Zeus, mécontent de la dénonciation de Sisyphe à Asopos (le père d’Egine), lui avait envoyé le génie de la Mort pour l’emporter. Mais au lieu de se laisser faire et d’accepter son sort, il enjoint secrètement à sa femme de ne pas lui rendre les hommages funèbres.
Ainsi, quand il arriva face à Hadès, le dieu des Enfers, celui-ci ne parvenant pas à l’emporter tout à fait, entendit le rusé Sisyphe se plaindre de l’impiété de son épouse. Il obtint donc du dieu, indigné, la permission de revenir sur terre pour la châtier. Or une fois revenu auprès des siens, Sisyphe n’en fit évidemment rien et, d’un éclat de rire, célébra sa victoire sur Hadès. Il avait trompé la mort. Zeus le foudroya aussitôt et, pour prix de son insolence, le condamna à pousser pour toujours un rocher à contre-pente. Pour l’éternité on le verrait ainsi descendre, puis remonter, puis redescendre, puis remonter. Fatal orgueil.

Aux grands hommes, le football reconnaissant

Si les Grecs avaient leurs contes, leurs dieux et leurs panthéons pour se raconter le mystère de l’existence humaine, ses injustices et ses absurdités, nous avons à notre tour inventé des héros mythologiques à la portée de notre quotidien. Ils jouent le mercredi en Europe et le week-end dans tous nos stades. Ils poussent un ballon sous les yeux passionnés de foules qui ont confié à leur art et à leur ruse le soin de les faire vibrer.
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Bayern Munich coach Josep Guardiola during the press conference

Crédit: AFP

Si nos héros habitent nos conversations, c’est qu’ils partagent avec ceux des Anciens la même lourde responsabilité; celle d’avoir confié à quelques-uns le soin d’accélérer notre rythme cardiaque, de nous rendre tout à coup irascibles, inquiets ou perturbés pour un motif aussi futile qu’un ballon qui s’obstinait à ne pas vouloir entrer dans les filets adverses. Ils accordaient à nos existences normales le privilège provisoire et délicieux de l’héroïsme à peu de frais.
Aussi, le jour où l’un d’entre eux tromperait notre vigilance et aurait le malheur d’être plus rusé que tous les autres, nous n’hésiterions pas à le foudroyer à notre tour. En bouleversant le football des années 2010, en démontrant qu’on pouvait jouer et gagner, s’amuser et séduire à la fois, il avait trompé la vigilance des divinités qui gouvernaient jusqu’ici toutes nos opinions. Il avait trompé la défaite. Il avait négligé la victoire. Pep devait payer.

Guardiola, cet imposteur

On raconte ainsi qu’un accord secret empêcherait Guardiola d’emporter avec lui Alaba, Kimmich ou Coman à City. On écoute attentivement et on en vient même parfois à trouver légitime cette curieuse interdiction (pourquoi est-il le seul entraîneur à qui sont imposées de telles contraintes de recrutement ?). Il n’y avait d’ailleurs plus aucun mérite, ajoute-t-on, à choisir un club aussi argenté que Manchester City pour prochaine étape (peut-être aurait-il dû choisir Auxerre pour s’attirer les faveurs des Pharisiens), à n’avoir jamais été éliminé d’aucun quart de finale de Champions League de sa vie (c’était au Barça puis au Bayern, osaient-ils, que l’imposteur devait ses succès).
L’absurdité n’ayant pas de limites, elle aime ponctuer ces remarques édifiantes de quelques commentaires esthétiques condamnant le style de jeu "trop téléphoné" (sans jamais nous expliquer en quoi il consistait), et rendant gloire à la stratégie turinoise "si intelligente" (quand elle s’était contenté de se replier et de sortir en contre sans jamais réaliser plus de quatre passes successives). Ce n’était plus de goût dont il s’agissait, mais bien de ressentiment.
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Arbitro Eriksson, Bayern Monaco-Juventus, AFP

Crédit: AFP

Le procès Guardiola

Souvenons-nous de ce qu’on contemplait il y a dix ans, juste avant Pep. Lors d’une finale de Coupe du Monde 2006, on admirait la France repliée autour de ses géants Thuram-Gallas-Makelele-Vieira daignant de temps à autres céder le ballon au plus célèbre compagnon de nos longues années de béton, Zinédine Zidane. À la fin de cette saison maudite, on s’était résolus à remettre le Ballon d’Or à Fabio Cannavaro, admirant chez lui - la mort dans l’âme - le défenseur moderne, le brillant destructeur qui manquait encore à la France.
On avait intériorisé si profondément cette antonymie simpliste entre le résultat et le jeu (c’était le jeu du football "moderne" répétions-nous alors), qu’on était prêts à tous les renoncements pourvu qu’un soir on éprouvât à notre tour le bonheur, au bout de la tension et de l’ennui, de soulever quelque laiton. Seule la victoire était belle, nous étions-nous convaincus, oubliant pour toujours les préceptes de nos pères fondateurs : José Arribas, Jean Snella et Albert Batteux.
Ces hommes enfouis dans notre passé avaient fait Nantes (l’amour de la passe), Reims (l’éloge du beau jeu) et tout le football français (et la dévotion pour le milieu de terrain). Comme nous, Pep avait eu Platini pour idole de jeunesse, et avait su se montrer digne de cet héritage. Mais nous, qu’avions-nous fait de cette tradition ? Pas grand chose.
Depuis 1989 et l’arrivée de Gérard Houllier - ce Zeus à lunettes - en haut de la pyramide du football français, on nous avait si obstinément répété qu’il valait mieux abandonner nos rêves de football si par malheur on mesurait moins d’un mètre quatre vingt, que 83% des buts étaient marqués après maximum cinq passes et que la meilleure attaque c’était toujours la défense, qu’on avait fini par se rendre complice du rapt affectif en quoi avait consisté l’éradication systématique de tous nos rêves d’enfants.
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Cannavaro

Crédit: Eurosport

Le triomphe de Zeus

En contredisant frontalement cette école qui s’auto-proclamait "moderne" et "pragmatique" (tout en prônant des préceptes frustres et conservateurs), Pep Guardiola avait ressuscité le goût raffiné pour un football qu’on croyait à jamais disparu. Pep était descendu aux enfers et, en faisant confiance à l’intelligence plutôt qu’à la force pour tromper la vigilance de la mort, révéla l’imposture des prêtres qui régnaient sur nos préjugés. Voilà pourquoi pour eux, Pep sera toujours coupable.
Aujourd’hui encore, les censeurs en veulent au "petit jeu" (c’est le traditionnel reproche adressé successivement au Reims de Batteux, aux tergiversations de Kopa, au Nantes d’Arribas, Suaudeau ou Denoueix, aux Bleus d’Hidalgo, au PSG de Blanc, l’OM de Bielsa, au Gym de Puel, au Rayo de Jemez, à l’ESTAC de Furlan...). Ils en veulent aussi au Bayern, au Barça et à tous ceux qui, comme Pep, préfèrent l’intelligence à la force, l’esquive au duel, la passe au contact, le football des Anciens à celui des Modernes.
Au moment de les laisser vaquer à leur ressentiment et d’entamer la seconde mi-temps contre la Juve, Guardiola a collé sa joue contre la pierre, et à la tête de toute une tradition oubliée, a entamé une nouvelle ascension (sans défenseur central de métier, avec deux ailiers français de moins d’un mètre quatre-vingt, Ribéry et Coman, en multipliant les passes et la circulation de ballon avec Thiago). On vit tout à coup se dessiner sur son visage un curieux sourire de satisfaction. Le héros ne regrettait rien. Pis encore. Il renchérissait. C’était la morale de cette histoire : Sisyphe était un homme heureux.
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Pep Guardiola et Massimo Allegri lors de Bayern-Juventus

Crédit: AFP

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