La question qui fâche: Messi peut-il être considéré comme le plus grand sans avoir gagné le Mondial?

Lionel Messi a dit stop. Définitivement. Vraiment ? Ça, c’est une autre question qui trouvera sa réponse ultime quand l’odeur de la Russie et de la Coupe du monde 2018 approchera des narines de Leo. L'envie d’en découdre aura peut-être pris le dessus sur le goût rance de la déception et d’une nouvelle finale ratée avec l’Albiceleste. Mettez-vous deux minutes à sa place : le numéro 10 de Barcelone vient de laisser échapper la Copa America et une quatrième finale - dont une de Coupe du monde - maillot argentin sur le dos. Sa réaction est (aussi) épidermique. Et ne dit rien de la suite.

Mais puisque Messi a annoncé qu’il partait, loin du pays qui l’a vu naître, pour poursuivre sa belle vie catalane, là où rien ne lui résiste - surtout pas les titres -, il est l’heure de faire le bilan d’une vie d’international argentin. Que dit-il ? Que Lionel Messi (29 ans) aura porté 113 fois la tunique albiceleste et marqué 55 buts, ce qui fait de lui le meilleur buteur de l'histoire de la sélection, une petite longueur devant Gabriel Batistuta. Voilà pour le bilan individuel. Collectivement, c’est moins brillant. Et ça pose une question. LA question : Lionel Messi peut-il être considéré comme le plus grand joueur de tous les temps sans avoir glané un titre majeur - les J.O. n’en sont pas un en football - avec l’Argentine ? Plus directement : peut-on être considéré comme le meilleur joueur de l’histoire sans avoir décroché la Coupe du monde ?

Lionel Messi est le fruit de son époque. Un joueur de génie qui doit essentiellement sa gloire aux exploits à répétition qu’il réalise depuis désormais plus d’une décennie avec le FC Barcelone, l’une des plus belles machines à tout rafler de l’histoire du jeu dont il est le fer de lance absolu. Ajoutez-y cinq Ballons d’Or et vous avez un profil assez glorieux et l’archétype du footballeur idéal. En 2016, c’est un fait : le football de clubs a pris le pouvoir par la force, Lionel Messi en est son ultime bras armé.

Au fond, Messi a bien fait de naître en 1987, un an après la folle épopée d’un joueur pas comme les autres et qui a été considéré au temps de sa splendeur décadente comme le meilleur du monde. Et même, pour certains, comme le meilleur de tous les temps devant le roi Pelé, vainqueur de trois Coupes du monde entre 1958 et 1970. Diego Maradona, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’a pas gagné le quart de ce que Lionel Messi a décroché avec le Barça, dont il fut aussi un membre moins éminent que la "Pulga". Mais Maradona doit sa gloire à ce qu’il a réussi avec Naples, en portant un club de seconde zone au sommet d’un championnat sélectif comme peu. Et, surtout, en réussissant la plus grande Coupe du monde de l’histoire, individuellement parlant.

En 1986, au Mexique, Diego Maradona a littéralement porté l’Argentine sur ses épaules. "El Pibe de Oro" n’avait pas une grande équipe à ses côtés. Mais il a su la sublimer et réussir LE "one-man show" ultime. Jetez-vous sur les vidéos de ses matches si la mémoire vous fait défaut. Car il n’y a pas que l’Angleterre et ce quart mythique. Maradona, ce n’est pas une main et un slalom. Mais tout le reste. Diego a été géant. On peut le dire sans exagérer : Maradona a gagné une Coupe du monde à lui tout seul (ou presque). Et c’est unique. C’est aussi pour ça, aujourd’hui, qu’il reste considéré par beaucoup comme le plus grand joueur argentin de l’histoire. Par voie de conséquence, si Maradona est le numéro un en son pays, Messi peut difficilement l’être au niveau planétaire.

Vous allez me dire que le peuple argentin n’est pas le mieux placé pour choisir parce que l’affect prend une part trop prépondérante... Choisir entre Maradona et Messi, c’est un peu demander à un enfant s’il préfère une mère aimante ou un père qui aurait quitté la maison il y a très longtemps… Un point pour vous, même si la part émotionnelle, autant que les chiffres, sont constitutifs de l'histoire. Il ne faut jamais l'oublier.

Quid de Pelé alors ? Au fond, c’est la même chose : le génie brésilien est l’émanation d’une époque où le football n’était pas aussi (sur)médiatisé qu’aujourd’hui, où le moindre entraînement n’était pas épié et filmé en direct et où la scène ultime s’appelait Coupe du monde. S’y produire avec brio vous assurait la gloire. Eternelle, pour certains. Pelé et Maradona en sont les émanations ultimes.

Quand Pelé a débuté son incroyable carrière, le Ballon d’Or n’existait pas. Quand Maradona passait en revue toutes les défenses d’Italie, il n’était pas éligible à une récompense qui ne s’offrait alors qu’aux Européens. L’époque a changé. Messi en a profité plus que personne. C’est mérité.

Cela fait-il de lui le meilleur joueur de l’histoire du jeu ? Puisqu’il est par essence impossible de comparer des joueurs qui n’ont jamais été opposés et ont évolué à des époques incomparables - sur le terrain, comme à côté -, votre réponse variera probablement en fonction de l’âge de vos artères. De la place que chacun, de Pelé, Maradona, comme Messi, Puskas, Cruyff ou Di Stefano, ont laissée dans votre imaginaire et votre cœur, souvent d’enfant. L’émotion, et non les chiffres, dicte nos sentiments. Quelque part, c’est rassurant.