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A la recherche d'un football perdu : le football brésilien, un grand reportage de Laurent Vergne

Laurent Vergne

Mis à jour 13/07/2014 à 15:10 GMT+2

Depuis plus d'un mois, nous avons tenté de vous faire découvrir l'histoire et la personnalité du football brésilien, ce futebol qui tient une place unique. Un voyage qui met encore plus en lumière l'échec cinglant de la Seleçao 2014, bien au-delà du simple résultat.

Enquête au coeur du football brésilien, Neymar

Crédit: AFP

Il n'y a qu'une Coupe du monde au Brésil susceptible de se prêter à un tel voyage. Dans quatre et huit ans, en Russie et plus encore au Qatar, il n'aurait pas de sens. Le Brésil, tout autant pour ce qu'il a apporté que pour l'importance que ce jeu tient dans ce pays, occupe une place à part dans le football international. Tout à la fois au-dessus de la mêlée, parce qu'il constitue une référence, ultime, et à côté, parce que rien d'autre ne lui ressemble. La Coupe du monde au Brésil, ce n'est pas le foot qui revient à la maison. C'est le foot là où il se sent le mieux. Là où il est comme chez lui. Ici, de Rio à Sao Paulo, il est rare de marcher plus de dix minutes sans que le foot vous happe. Comme dans Botafogo, où, au détour d'une rue, une peinture sur un pan de mur vous jette à la figure, pour votre plus grand plaisir, les légendes du club.

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Les légendes de Botafogo reproduites sur un mur

Crédit: Eurosport

C'est sur les traces de ces légendes, de ses mythes fondateurs aux héros les plus récents, que nous avons essayé de vous faire voyager durant cinq semaines. Bien sûr, il y avait derrière tout cela le pur plaisir de revivre des pages d'histoire (encore que) ou de (re)découvrir des personnages tout à la fois incomparables et incontournables. De Garrincha à Socrates en passant par Mario Americo.
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Mais au-delà de ces histoires, mémorables et/ou poignantes, il y avait autre chose. Car chaque étape de ce voyage résonne comme un écho à ce Mondial 2014. Et à ce qu'est la Seleçao aujourd'hui. Trois exemples :

1. Le Maracanazo

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Le Maracana de 2014 accueillera-t-il un triomphe après le désastre de 1950 ?

Crédit: DR

Son ombre a plané tout au long de cette Coupe du monde sur l'équipe de Scolari. Ce qui lui était demandé, ce n'était pas tant de décrocher la sixième étoile que d'offrir aux Brésiliens un sacre à domicile. Au lieu de quoi le Brésil a rejoint le Mexique au rang des doubles organisateurs incapables de s'imposer chez lui. Le Mineirazo, dans un registre et un contexte totalement différent, c'est le Maracanazo acte II.

2. Le "joga bonito"

Nous avons évoqué ici la césure qui s'est opérée depuis le début des années 90, suite au double échec de Tele Santana en 1982 et 1986. Depuis, le Brésil a gagné deux Coupes du monde et disputé une finale. Mais il a coupé les ponts avec ses racines et perdu une partie de son âme.
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Julio Cesar et le Brésil, Coupe du monde 2014

Crédit: AFP

"L'exception 1994" (se refermer pour gagner) est devenue une norme aujourd'hui parfaitement assumée, quand Neymar avouait avant le coup d'envoi du Mondial que "bien jouer" était "la dernière préoccupation de l'équipe". On ne peut pas être champion du monde tous les quatre ans. Mais quand elle perd, aujourd'hui, que reste-t-il à la Seleçao et de la Seleçao ?

3. Les surnoms

Leur quasi-disparition, surtout. Cela peut sembler totalement anecdotique. Mais c'est un pan de la culture footballistique du Brésil depuis des décennies. On l'a vu, elle tend à s'éteindre, comme un autre symbole de la standardisation du football brésilien qui, à force de trop ressembler aux autres, finit par ne plus savoir quelle est son identité.
Voilà bien tout le paradoxe. Cette plongée, légitimée et rendue possible par le retour de la Coupe du monde au pays, s'est effectuée précisément à l'heure où le football brésilien et son équipe nationale en particulier n'ont jamais semblé aussi éloignés de leur histoire et de leurs valeurs. Au même titre que la Seleçao 2014 apparait comme une naine comparée à ses devancières, à commencer par la pionnière des équipes sacrées, celle de 1958.
Tout au long de ce mois, un sentiment, confus mais constant, s'est fait jour: l'âme du football brésilien n'était pas dans ce Mondial 2014 mais elle était partout ailleurs. Cela ne m'a jamais paru autant frappant qu'avec le Maracana et São Cristavão. Le Maracana, on y arrive comme un enfant à qui on a parlé du Père Noël et qui va enfin le rencontrer. Puis on est là, et... il manque quelque chose. En réalité, le Maracana, c'est encore en fermant les yeux, en essayant d'imaginer sa folle effervescence, trente ou cinquante ans plus tôt, qu'on en profite le mieux.
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Maracana, 2014

Crédit: Panoramic

  • Le Maracana reste un mythe, mais ce n'est plus le Maracana : notre reportage
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Une fois les yeux ouverts,  reste une enceinte ultra-moderne. Elégante, belle même, mais sans plus rien qui la distingue vraiment des autres stades qui ont poussé depuis vingt ans aux quatre coins du monde. Du Maracana, je n'irais peut-être pas jusqu'à dire, comme le capitaine russe Vasily Berezutsky, "bof, on dirait Loujniki". Mais je vois ce qu'il entend par là. Si on vous pose ici, dans ce stade, sans rien vous dire de la charge historique du lieu ni dans quel pays il se situe, vous ne ressentirez pas davantage d'émotions que dans un autre grand stade moderne. Aujourd'hui, le Maracana, comme la Seleçao, c'est d'abord un nom, plus qu'une part de rêve actuel.
Le Maracana ne sent plus la pisse. Il sent bon la FIFA. Il s'est "FIFA-isé". En tant que journaliste, je ne peux pas me plaindre de ne pas me faire uriner dessus par quelqu'un qui se soulagerait dix rangées au-dessus de moi. Mais s'il ne sent plus la pisse, il ne sent plus tout à fait non plus ce football qu'il a incarné comme aucune autre enceinte au monde. Comme une salle de boxe où les effluves de parfum auraient remplacé celles de sueur. C'est moins agréable, mais plus conforme au lieu.
A quelques hectomètres de là, du mythe au miteux, voici donc le stade de São Cristovão, coincée sous l'autoroute. Il ne ressemble à rien mais son immense mérite est ailleurs: il n'a pas changé depuis les premiers exploits de Ronaldo, qui a débuté ici au début des années 90. Là, pas besoin de fermer les yeux pour imaginer. On peut voir O Fenomeno, du haut de ses quinze ans, galoper sur la pelouse bosselée et enchainer les buts. C'est dans ces moments-là que transparait le football brésilien, et pour ces moments-là que le voyage valait le coup d'être vécu, et, espérons-le, raconté.
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L'inscription qui rappelle les débuts du prodige Ronaldo, à Sao Cristovaõ.

Crédit: Eurosport

Le football a changé et il changera encore. Le football brésilien aussi. Le danger, c'est que le futebol ne soit plus rien d'autre que le football brésilien. Comme il y a le football français, russe, mexicain ou d'où vous voulez. Le risque c'est, qu'à force, il finisse par laisser indifférent. A chacun, selon son vécu et sa sensibilité, de voir et savoir s'il trouve son compte dans cette évolution. Ce football, qu'on le veuille ou non, a fasciné plus que tout autre. Son histoire ne ressemble à aucune autre. Alors, est-ce que c'était vraiment mieux avant ? Non, ce n'était pas mieux avant. Avant, c'était brésilien. 
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Les équipes du Brésil et et l'Italie au moment des hymnes de la finale 1970

Crédit: Imago

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