Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Coupe du moinde 2014 - Brésil : Sarria 1982, le jour où une certaine idée du football est mort

Laurent Vergne

Mis à jour 04/07/2014 à 00:01 GMT+2

Le 5 juillet 1982, une des plus belles équipes de l'histoire disparaissait à la surprise général aux portes du dernier carré de la Coupe du monde, en s'inclinant face à l'Italie. L'échec du Brésil de Zico et Socrates, ce jour-là, à Sarria, marquerait la fin d'une certaine idée du football brésilien. Du football tout court, donc...

Zico et son maillot martyrisé par son chien de garde, Claudio Gentile

Crédit: Imago

C'est sans doute l'idée reçue la plus insupportable de toute l'histoire du sport et il ne faut jamais manquer une occasion de lui tordre le cou. La voici : on ne retiendrait, parait-il donc, que les vainqueurs. Les autres, tous les autres, échapperaient, instantanément ou au fil de l'eau, à la mémoire. Il n'y a rien de plus faux, il n'y a jamais rien eu de plus absurde et cette affirmation sera toujours absurde. Ceux qui continuent de l'affirmer n'ont rien compris. Ou rien vu, ni rien vécu. Ils font en réalité un contre-sens. A part l'encre dans laquelle on pose leurs noms dans les livres au rayon palmarès, les vainqueurs n'ont aucune prérogative mémorielle sur les vaincus.

Hongrie 54, Pays-Bas 74, Brésil 82, le podium magique des maudits magnifiques

Le débat est ailleurs. "Seule la victoire compte", entend-on également très souvent. Et là, ça se tient. Selon le point de vue. "Gagner n'est pas la chose la plus importante, c'est la seule chose importante", disait Vince Lombardi, le mythique entraîneur des Green Bay Packers en NFL. Pour le compétiteur, rien n'est plus vrai. Mais pour le spectateur, pour l'observateur, cela reste restrictif. Et cela n'a rien à voir avec la trace qui subsiste dans les mémoires. Il est des vainqueurs qui vous indiffèrent. Et des perdants qui vous accompagnent pour toujours.
Le Brésil tombé au champ d'honneur face à l'Italie à l'Estadio Sarria de Barcelone le 5 juillet 1982 est de cette trempe. Il a rejoint la Hongrie de 1954 et les Pays-Bas de 1974 sur le podium des maudits magnifiques. Or qui peut sérieusement prétendre que ces trois équipes n'ont pas marqué pour toujours l'histoire du football, bien davantage que certains vainqueurs ? La supériorité de ces équipes-là, justement, tient au fait que leur legs à l'histoire n'est en rien dépendant de leur résultat final. Elles sont au-delà de ça. Au Brésil, qui a tout de même connu quelques vainqueurs en matière de Coupe du monde, la Seleçao de Tele Santana occupe ainsi une place de choix au côté de celle de 1958, 1962 et 1970. C'est le carré magique. Quid de 1994 et 2002? Elles apparaissent loin derrière.
picture

Brésil - Italie, 5 juillet 1982. Socrates et Zoff, les deux capitaines

Crédit: Imago

Si j'en avais le pouvoir, je peux vous garantir que j'échangerais les deux victoires de 94 et 2002 pour un titre en 1982
Les gens sont bien au courant qu'elles ont gagné, rassurez-vous. Mais si vous leur demander de choisir ce qui les a marqués, 1982 arrivera bien avant. Plus frappant encore, parfois même les plus jeunes qui, par définition, n'ont pas vécu 1982, la placent aussi au-dessus de la mêlée récente. Comme un héritage qui se transmet. Rencontré à Sao Paulo lors du match d'ouverture contre la Croatie, Alessio, lui, a 45 ans. Il n'attend pas grand-chose de l'équipe actuelle en termes de spectacle. Il a vécu la désillusion du Mondial 1982 et les deux titres qui ont suivi, douze et vingt ans plus tard. "Si j'en avais le pouvoir, affirme-t-il avec force, je peux vous garantir que j'échangerais les deux victoires de 1994 et 2002 pour un titre en 1982. Le Brésil n'aurait peut-être que quatre titres, mais justice serait rendue à ce qui reste la dernière immense équipe du Brésil".
"Justice". "Injustice". Les mots reviennent sans cesse concernant la bande à Zico et Socrates, équipe magnifiant à ce point l'esthétisme du jeu, venue buter sur une conception tellement plus froide. Comme s'il avait mesuré instantanément la portée de cette défaite et ce qu'elle engendrerait à terme pour l'identité du jeu brésilien, Zico avait eu ces mots quelques minutes seulement après la fin de la rencontre, dans les entrailles de Sarria: "Aujourd'hui, le football est mort". Un certain football, en tout cas, oui. Un certain football brésilien, surtout. "Si je prends 9 buts mais que j'en marque 10, c'est moi qui gagne", aimait à dire Tele Santana. Sauf qu'au lieu de gagner 10-9, face à l'Italie, il a perdu 3-2. Pourtant, un 0-0, ce jour-là, aurait suffi à envoyer son Brésil en demi-finales...

Il y un avant et un après Sarria

Depuis, ses successeurs ont inversé le problème. Aujourd'hui, ce serait plutôt "si je ne prends pas de but et que j'en marque un, c'est toi qui perds." Carlos Alberto Parreira a poussé le précepte plus loin encore, devenant le seul sélectionneur de toute l'histoire de la Coupe du monde à gagner une finale sans marquer une seule fois en 120 minutes. Le vainqueur a toujours raison. Parreira a donc eu raison. Tele Santana a eu tort. Vous ne trouverez pourtant pas un Brésilien pour vous dire que le premier est au-dessus du second. Pas plus que Dunga, le capitaine victorieux de 1994, n'arrive à la cheville de Socrates, brassard en berne en 1982, dans le gotha du football auriverde. Le football a aussi droit à la contradiction après tout.
Après ce Brésil-Italie de l'été 1982, la Seleçao a changé. Sarria, c'est un monde perdu, marquant un avant et un après. Ce n'est ni mieux ni moins bien. Ou cela peut-être les deux, selon les sensibilités de chacun. En tout cas, à coup sûr, c'est différent et c'est pour cette raison que, trois décennies plus tard, les Brésiliens y reviennent encore et toujours. Car l'évidence est là : tant que l'équipe du Brésil s'accrochera à la vision plutôt restrictive qui est la sienne depuis un quart de siècle, la Seleçao de 1982, celle de Tele Santana, Zico et Socrates, demeurera un point d'ancrage, une référence incontournable. Qu'elle ait perdu ne change rien à l'affaire.
picture

Tele Santana, légendaire figure d'une équipe non moins légendaire

Crédit: Imago

Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité