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Coupe du monde - Seleçao : 29 juin 1958, le jour où le Brésil a épousé son destin

Laurent Vergne

Publié 29/06/2014 à 09:21 GMT+2

Il y a 56 ans aujourd'hui, le Brésil remportait pour la première fois la Coupe du monde. La fin d'un gaspi, symbole d'une période phare pour le pays au plan du développement culturel.

29 juin 1958, le Brésil enfin sur le toit du monde après sa victoire en finale contre la Suède (5-2)

Crédit: Imago

Il y a des dates comme ça, qui marquent un avant et un après. Une pierre au milieu du chemin, excluant tout retour en arrière, modifiant le cours de l'histoire ou d'une vie. Pour l'équipe du Brésil de football, cette date, c'est le 29 juin 1958. Ce jour-là, la Seleçao a apporté au pays du futebol son premier titre de champion du monde. Pas le dernier. Incapable de s'imposer lors des six premières éditions du Mondial, le Brésil allait ensuite remporter cinq des douze suivantes. Presque une sur deux. Mais l'acte fondateur restera à jamais 1958. Là-bas, en Suède, à des milliers de kilomètres de chez eux, les hommes de Vicente Feola ont changé à jamais le destin de la Seleçao.

La fin du complexe du chien-bâtard

Jusqu'alors, le Brésil se vit comme un pays maudit, incapable d'embrasser son destin. Enclin à l'auto-flagellation et au dénigrement de soi, un peu, aussi. Cela se ressent sur son football. A travers le Maracanazo, bien évidemment, ce drame national de la défaite finale à domicile contre l'Uruguay. Passé à onze minutes du titre suprême au Maracana, le Brésil se dit qu'il n'y arrivera jamais. Comme s'il souffrait d'un complexe d'infériorité ancrée dans ses gênes. C'est le complexe du "chien-bâtard", comme le définira le légendaire écrivain Nelson Rodrigues. Le Brésil admire tout ce qui ne vient pas de lui, pour mieux se dénigrer. On mesure mal d'ici à quel point il pesait et à quel point la victoire de 1958 a contribué à en débarrasser le Brésil, en tout cas au plan footballistique. C'est la naissance de la "patrie en crampons", autre expression de Nelson Rodrigues.
Paradoxalement, Rodrigues a écrit ces mots quelques mois seulement avant le triomphe suédois de la Seleçao. Jusqu'au bout, beaucoup sont restés sceptiques. Le Brésil allait encore trouver le moyen de passer à côté du sacre. Malgré Didi, Vava, Garrincha et le gamin Pelé. Peu importe les joueurs, leur destin commun, c'était l'échec, la médiocrité. Celui du chien-bâtard face au reste au monde. La plupart des journalistes brésiliens (et les autres aussi, d'ailleurs), pensent qu'une fois de plus, face à la rugosité européenne, surtout avec ce Mondial sur le Vieux-Continent, la Seleçao finira par coincer. Quand bien même elle déjouerait les pièges et étalerait sa supériorité, elle coincera devant la gloire, la laissant se dérober sous ses crampons.

Les larmes de la libération

C'est ce que tout le monde a cru lors de la finale, quand les Suédois ont rapidement ouvert le score. Une fois encore, l'histoire allait se répéter. "Je me souviens très bien de ce moment, a raconté Mario Zagallo il y a quelques années. Je me suis retrouvé plongé huit ans en arrière quand nous avions perdu en finale. Je me suis dit 'ce n'est pas vrai, ça va recommencer'." Le futur sélectionneur rappelle aussi que, deux minutes avant l'égalisation brésilienne, Lennart Skoglund a eu la balle de 2-0 au bout du pied. Mais Zagallo a sauvé sur sa ligne. "Si nous avions concédé ce but, dit-il, je ne sais pas si nous aurions pu revenir dans le match. L'histoire aurait peut-être été différente."
En réalité, cette équipe était simplement trop forte et trop révolutionnaire pour ne pas dépasser tout ça. Ultra-complète, tactiquement parfaite avec son système en 4-2-4 qui a tant dérouté, et magnifiée par le talent de ses artistes, elle ne pouvait pas s'ancrer dans la tradition maudite. Elle tardera pourtant à donner sa pleine mesure. Quand elle le fera, en demi-finale et en finale, le récital sera mémorable : 5-2 contre la France, 5-2 contre la Suède. Dix buts dans les deux derniers matches du tournoi, pour un champion, c'est historique. On n'avait jamais vu cela, on ne l'a plus jamais revu. Les larmes qui ont coulé au Rasunda Stadium au coup de sifflet final le 29 juin, sur les joues de Pelé ou de Vava, ce sont des larmes de libération. Celle d'un pays libéré de ses démons.
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Finale 1958 : Pelé en larmes dans les bras de Gilmar.

Crédit: AFP

Les pionniers de 1958 ont pour toujours changé la donne

Le Brésil, culturellement, a alors vécu une période bénie. Or, le football entre bien évidemment dans ce cadre culturel. C'est aussi en 1958 que naît officiellement la Bossa Nova avec le morceau Chega de Saudade. Un an plus tard, Orfeu Negro obtient la Palme d'Or à Cannes. C'est un film français, mais adapté d'une œuvre de Vinicius de Morais. En 1962, année du deuxième titre consécutif de la Seleçao en Coupe du monde, la Palme du célèbre festival reviendra au film brésilien La Parole donnée, d'Anselmo Duarte.
C'est aussi à cette époque que Brasilia, la nouvelle capitale, sort de terre. Erigée en 1958, inaugurée officiellement en 1960. Difficile de ne voir qu'un simple hasard entre l'émergence du pays sur la scène internationale et l'avènement de son football, de sa culture. Les pionniers de 1958 ont pour toujours changé la donne. "Et si le football brésilien souffre aujourd'hui d'un complexe, ce serait plutôt de supériorité", rappelle le journaliste Juca Kfouri. Les temps ont donc bien changé. Ce sentiment de puissance, le Brésil le doit à la génération 1958, qui l'a imposé de façon évidente comme la référence footballistique mondiale incontournable. Aussi vrai que la pluie tombe en Amazonie, le football est brésilien. Depuis le 29 juin 1958.
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