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Coupe du monde 2014- L'Angleterre est tombée mais elle se relèvera… à condition de ne pas l’enfoncer

Philippe Auclair

Mis à jour 21/06/2014 à 19:10 GMT+2

L'Angleterre est éliminée du Mondial après deux matches. Tout n'est pourtant pas à jeter. Il a des choses à espérer comme l'explique Philippe Auclair.

Auclair Rooney

Crédit: Eurosport

Les dernières quarante-huit heures ont été bizarres, presque irréelles. Enfants, lorsqu’un orage avançait et qu’un éclair zébrait le ciel, nous comptions les secondes qui s’écoulaient avant qu’on entende le roulement de grosse caisse du tonnerre. Trois d’entre elles - le déluge était à un kilomètre. Il était temps de quitter les champs et de regagner la maison. Luis Suarez a fait tomber la foudre par deux fois à Sao Paulo jeudi dernier, mais les nuages n’ont crevé que le lendemain, lorsque ça a été au tour des Italiens de prendre l’eau. Curieux décalage. L’Angleterre, déçue, mais pas si surprise que ça à l’abord, s’est alors réveillée en sursaut, comme si ce n’était que maintenant que l’orage l’avait atteinte. Elle savait pourtant bien qu’un miracle était plus qu’improbable, qu’en échouant face à l’Uruguay, c’en était certainement fait de ses chances d’aller plus loin. Mais la réaction immédiate à cette défaite avait été la résignation, tandis qu’aujourd’hui, après le verdict que tout le monde attendait était tombé, la voilà qui pique sa crise quadri-annuelle, en des termes qui défient parfois le sens commun.
J’en veux pour preuve une chronique relevée samedi matin dans le Times, signée de son "rédacteur en chef du football" Tony Evans, une fusillade dont les projectiles partaient dans tous les sens, même si la cible en était claire: Roy Hodgson, un manager qui, selon Evans, avait commis une erreur "indigne d’un entraîneur d’équipe du dimanche" en n’alignant que deux milieux de terrain, Steven Gerrard et Jordan Henderson, dans un match de phase finale du Mondial. On doit donc en conclure que le 4-2-3-1 est un système obsolète, condamné à l’échec, qui n’a pas sa place au plus haut niveau. Il avait pourtant causé bien des problèmes à l’Italie quelques jours plus tôt, et n’avait pas servi l’Allemagne - entre autres - si mal que cela jusqu’à ce que Joachim Löw, en partie par choix, en partie par contrainte (la blessure de Reus), ne démarre en 4-3-3 contre un bien médiocre Portugal.
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England's Wayne Rooney after the defeat to Uruguay (Reuters)

Crédit: Reuters

L’Angleterre n’a pas encore de Suarez, de Müller...

Ce genre de pseudo-analyse tactique est bien sûr fondé sur l’incapacité d’accepter que le football échappe le plus souvent à la logique, que le résultat d’un match n’est pas inévitablement déterminé par des paramètres sur lesquels les entraîneurs ont un contrôle absolu. On dissèque a posteriori pour se voir conforté dans ses a priori : un paradoxe qui, hélas, n’empêche pas les donneurs de leçons de vitupérer du haut de leur caisse à savon. Si l’Angleterre ne jouera que pour l’honneur face à Costa Rica, ce n’est pourtant pas à cause de la philosophie supposément antédiluvienne de Roy Hodgson (et de son assistant Gary Neville, pourtant considéré comme un génie du décortiquage tactique lorsqu’il est devant les caméras de Sky Sports). C’est d’abord à cause de deux évidences. La première est qu’elle ne dispose pas encore d’un finisseur de classe internationale, malgré la progression spectaculaire de Daniel Sturridge. Ce ne sont pas les occasions qui ont manqué lors de ces deux premiers matches au Brésil: c’est la finition, la précision dans le dernier geste. L’Angleterre n’a pas encore de Suarez, de Müller, de van Persie ou de Benzema.
Aligner Rooney en pointe (une option qui, au passage, n’était mentionnée par personne avant le tournoi, quand les journalistes sélectionnaient leur "onze idéal") signifiait soit sacrifier Sturridge, soit le repositionner sur un flanc, dans un rôle qui, de son propre aveu, ne lui convient pas. Wilshere aurait apporté plus de densité dans l’entrejeu dans le cadre d’un 4-3-3, mais les Anglais auraient aussi perdu de leur tranchant dans les trente derniers mètres et de leur capacité d’exploser vers l’avant en contre. Là encore, la courte défaite contre l’Italie doit servir de référence; elle avait permis d’entrevoir (mieux que cela, en fait) ce dont cette jeune équipe si véloce était capable dans les trente derniers mètres. Fallait-il jeter ce plan de jeu à la poubelle contre l’Uruguay? Et si Rooney - le meilleur des Anglais, au demeurant - n’avait pas placé sa tête sur la transversale ou tiré sur Muslera lorsqu’il avait toute la largeur du but à sa merci? Et si Godin avait été expulsé comme il le méritait? Si, si…Les faits de jeu ne donnent raison à rien, à personne.
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England national team

Crédit: Imago

Mais les deux buts encaissés par Joe Hart n’étaient pas des faits de jeu, eux. Ils étaient bien, pour une fois, la conclusion logique de carences plus graves, la deuxième de ces "évidences" auxquelles je faisais allusion plus haut. L’Angleterre a joué quinze matches de phase finale de Coupe du monde depuis celle de 2002, et n’a marqué plus de deux buts dans un match qu’une seule fois - c’était contre le Danemark, il y a douze ans de cela (3-0).  Mais elle n’avait aussi concédé que six buts lors des treize rencontres qui avaient précédé le désastre de Bloemfontein contre l’Allemagne, en 2010. C’est derrière qu’elle puisait sa force. On ne dirait certainement pas la même chose aujourd’hui. Le déséquilibre entre les ressources dont dispose Hodgson selon qu’il se tourne d’un côté ou de l’autre du terrain est patent. Devant, il y a foison de jeunes talents (n’oublions pas les blessés: Walcott, Rodriguez et Oxlade-Chamberlain); derrière, c’est un quasi-désert, mis à part au poste de latéral gauche. Ceux qui étaient au Mondial l’étaient au mérite, pourtant. Le meilleur milieu défensif anglais de la Premier League, édition 2013-2014, avait été Gareth Barry, 33 ans, de facto à la retraite pour ce qui est de la sélection. C’est le monde à l’envers, un monde auquel il va falloir s’habituer, et dont la face ne serait pas changée si l’on nommait un nouveau sélectionneur; ce ne sera pas le cas, d’ailleurs, comme l’a indiqué Greg Dyke, président de la FA.

Hodgson a fait confiance aux jeunes

Le grand public n’est pas dupe. Un sondage mené par ce même Times auprès de ses lecteurs faisait état d’une très large majorité (72%) en faveur du maintien de Hodgson. D’autres étaient plus hostiles à l’ancien entraîneur, c’est exact (50% d’opinions favorables pour The Independent, 32% seulement pour le Daily Mail), mais nous sommes très loin de l’irréparable cassure dont Graham Taylor ou Steve McClaren avaient fait les frais en d’autres temps. Chaque fois que l’Angleterre tombe et se blesse, on se précipite sur ce qui n’est pas un cadavre pour en faire l’autopsie. La scène aurait amusé Molière. Je ne parle pas du Malade imaginaire, mais plutôt des Sganarelles qui se précipitent à son chevet. On fait quoi? On saigne? On nettoie le clystère? Ce désarroi, répété au fil des compétitions, est devenu une constituante de la psyché du football anglais. Un brin de masochisme, un soupçon de haine de soi, une sorte de délectation perverse dans l’échec figurent immanquablement au menu.
Il y a pourtant des motifs d’espérer. Hodgson et son staff ont eu le courage de "faire confiance aux jeunes". Ils ont su reconnaître que la raison exigeait de le faire, que l’Angleterre n’avait pas d’autre choix. Elle vit une transition qui, vu l’âge de ses joueurs actuels, ne s’achèvera peut-être qu’en 2018, qui n’est rien de moins qu’un bouleversement culturel. La déception est immense; elle l’est toujours ici, où le technicolor de 1966 perd chaque jour un peu plus de son acuité. Soyons patients. Sterling est un éclair. Barkley aussi (peut-être le plus vif), et il y en a d’autres. Comptons les secondes, comptons les années. Attendons le tonnerre, même s’il n’a pas résonné cette fois.
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