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Mondial 2014 - Le surnom, cet art de vivre qui a contribué à la légende du foot brésilien

Laurent Vergne

Mis à jour 07/07/2014 à 17:31 GMT+2

Plus encore qu'une tradition, le surnom est un art au Brésil. Il est profondément ancré dans la culture brésilienne. Et les sobriquets de ses principales stars sont une des raisons du rayonnement international du futebol.

Le Roi Pelé aurait-il connu la même gloire internationale s'il s'était appelé toute sa carrière Edson Arantes do Nascimento?

Crédit: Eurosport

Si Edson Arantes do Nascimento ne s'était jamais appelé Pelé, mais uniquement Edson Arantes do Nascimento, aurait-il aujourd'hui le même poids dans l'histoire du football ? La question peut sembler absurde. Un joueur est un joueur, peu importe son nom, c'est ce qu'il fait sur le terrain, les buts qu'il marque et les titres qu'il conquiert qui le définissent. Oui. Sauf que, en réalité, tout est un peu plus subtil. Bien sûr, Pelé ne doit pas sa carrière et sa notoriété aux quatre lettres accolées à jamais à sa personnalité. Mais elles ont contribué à son aura, à son rayonnement international. Surtout quand on sait qu'à ses débuts à Santos, il était surnommé "Gasoline". Difficile de croire que le "Roi Gasoline" ou "Roi Edson Arantes do Nascimento" aurait connu pareille fortune, non ?

Footballeur ou président, c'est pour tout le monde pareil

Ainsi va le football brésilien. Le joga bonito a contribué à la légende de la Seleçao, et les surnoms ont donné à ses principaux acteurs une dimension romantique supplémentaire. L'utilisation massive du surnom n'est évidemment propre ni au Brésil, ni même, pour ce qui concerne le Brésil, au seul football. Ici, l'ancien président, Luiz Inacio Lula Da Silva, est appelé "Lula" par tout le monde. Il n'est même connu que sous ce nom et 90% des Brésiliens seraient sans doute incapables de citer son patronyme en entier.
A l'étranger aussi, des exemples multiples existent. Cinq des vingt-trois Espagnols sacrés champions du monde en 2010 étaient connus par leur surnom plutôt que leur patronyme complet. Dans les années 80-90, pour tout le monde, la star du Real Madrid, Jose Miguel Gonzalez Martin Del Campo, c'était Michel. Simple commodité. Lors de la Coupe du monde 1994, le meneur de jeu de la Bolivie, Erwin Sanchez, se faisait officiellement appeler "Platini". Les Américains sont très friands de surnoms eux aussi. Particulièrement dans le sport. Il arrive même que le surnom supplante le prénom, comme pour Magic Johnson que, très vite, plus personne n'a appelé Earvin. Mais le nom reste presque toujours inabordable. Au Brésil, il peut très rapidement passer au second plan.

Mille origines possibles

Puis au Brésil, c'est encore autre chose. Le surnom possède ici une dimension supplémentaire. Quelque chose d'unique. Dans son livre "Futebol, a Brazilian way of life", le journaliste anglais Alex Bellos met le doigt sur cette spécificité. Pour lui, cette pratique traduit ici un état d'esprit, une culture solidement ancrée. Presque un art de vivre. "Au Brésil, le surnom reflète la culture orale et informelle qui est ici la norme", explique-t-il. Cette familiarité n'est pas une marque d'irrespect, mais de chaleur. Personne n'appelle personne par ce que nous appelons nous le "nom de famille". Ici, tout le monde s'appelle par son prénom. Voire, donc, par son surnom.
Dans le football, cela se traduit depuis des décennies par la généralisation de ces sobriquets. Il existe mille origines possibles aux surnoms de joueurs. Il colle parfois à la peau dès la prime enfance, ou surgit à l'adolescence ou même encore parfois en début de carrière. Il peut ainsi tout à la fois souligner un trait de caractère ou une caractéristique physique infantile ou juvénile, ou bien une façon de jouer, être d'abord le surnom de la personne puis celui du joueur ou caractériser directement le joueur. Ou encore l'origine géographique, pour distinguer deux noms identiques. Par exemple, Juninho Pernambucano, l'ancien Lyonnais, pour ne pas le confondre avec Juninho Paulista. Tout est possible. Ainsi, Roberto Dinamite, l'avant-centre de la Seleçao dans les années 70, n'a pas été surnommé comme ça dès sa tendre enfance. C'est le joueur qui a fait le surnom.

Comme si le Brésil était une équipe de potes

La longueur des noms est une des raisons de l'emploi du surnom. Seul le début du patronyme subsiste alors. C'est le cas de Neymar par exemple. Ou de Fred. C'est la manière la plus sobre. La moins excitante, aussi. Après ça, les limites n'existent pas. Les surnoms peuvent faire référence à une star, du sport ou du spectacle, à des animaux. L'enfance, on l'a dit, est souvent déterminante. Hulk, notamment, est appelé comme ça depuis qu'il a 5 ans, parce qu'il était dingue du fameux comics. Son cas est particulièrement intéressant. Le joueur Hulk, musculeux, plus puissant que réellement doté de la finesse brésilienne, ressemble à son surnom. Serait-il devenu le même type de joueurs s'il avait été surnommé différemment étant petit? Pas sûr. Lui-même a avoué que son sobriquet l'avait incité à se bâtir un corps à la hauteur. On ne peut pas continuer à s'appeler Hulk avec un poitrail de maigrichon. La personnalité détermine donc le surnom qui façonne la personnalité. Voilà de la matière pour les psychanalystes.
Garrincha, lui aussi, n'a pas attendu longtemps pour être affublé de son nom-surnom. C'est sa sœur, parce qu'il lui faisait penser à ce petit oiseau insaisissable, qui l'avait choisi. Cela lui collait tellement mieux à la peau que Manoel Dos Santos, nom on ne peut plus basique au Brésil. Pour Alex Bellos, cet aspect a contribué à la popularité du football brésilien et à lui conférer ce rapport unique avec les amoureux du football, au même titre que son jeu. L'équipe de 1958, par exemple, était celle de Didi, Vava, Pelé ou Garrincha. "Cela, dit-il, crée un lien affectif entre les joueurs et les fans, comme si le Brésil était une équipe de potes, avec qui on joue au foot dans le parc. Aucune autre équipe nationale n'a ça. Vous n'aurez jamais le même rapport avec quelqu'un qui s'appelle Beckenbauer, Cruyff ou Keegan".
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Le Brésil 1958.

Crédit: AFP

Une tradition menacée

Mais attention, tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. Il existe un sectarisme du surnom au Brésil. Chez les attaquants, les joueurs offensifs, les créateurs d'une manière générale, ils sont quasiment systématiques. Mais plus on recule sur le terrain, moins ils sont usuels. Pourquoi? Parce que le public s'est toujours identifié aux créateurs, pas aux besogneux. Injuste, mais c'est comme ça. Il existe ainsi très, très peu d'exemples de gardiens de but avec des surnoms et ils sont rares chez les défenseurs, centraux surtout. Thiago Emiliano Da Silva est Thiago Silva. David Luiz Moreira Marinho est David Luiz. Pas de fioritures. Et ce n'est pas nouveau. Revenons à l'équipe de 1958. Tous les surnoms évoqués plus haut concernent uniquement les joueurs offensifs. Aucun défenseur...
En revanche, une tendance visiblement lourde se dessine, celle d'un assagissement. L'équipe du Brésil alignée dans ce Mondial ne serait pas au sommet d'un Top des Seleçaos niveau surnoms. La grande mode, c'est donc le raccourcissement. Fred. Neymar. Willian. Bernard. Jo. Oscar. "Ici, on dit que c'est le signe d'un grand manque d'originalité mais finalement, cela correspond assez bien à cette équipe peu créative", regrette le journaliste Guilherme Tavares. Un autre signe de la standardisation du football brésilien... Si son jeu ressemble à n'importe quel autre et qu'en prime, ses noms commencent aussi à perdre toute originalité, que restera-t-il du futebol do Brasil ? Décidément, tout fout le camp.
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Fred, un des nombreux joueurs dont le patronyme se résume au prénom.

Crédit: Eurosport

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