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Mondial 2014 - Angleterre - Uruguay, ou quand l'inventeur du football rend visite au pays du futebol

Laurent Vergne

Mis à jour 19/06/2014 à 18:33 GMT+2

On doit le football aux Anglais. Et le futebol aux Brésiliens. C'est peu dire que les premiers ont perdu le leadership planétaire au profit des seconds. Aujourd'hui, le football brésilien n'a que peu de rapports avec son "créateur".

La sélection d'Angleterre à l'entraînement au Brésil

Crédit: AFP

Nous reviendrons un peu plus tard, d'ici la fin de ce Mondial 2014, sur l'homme qui a implanté officiellement le football au Brésil. Charles Miller, Britannique né il y a quasiment 140 ans, a amené sur cette terre ce jeu qui allait complètement bouleverser le géant sud-américain. Il était écossais, mais sa mère était anglaise, d'origine brésilienne, ce qui en faisait un pionnier idéal. Un siècle et de grosses poussières après, que reste-t-il du lien historique entre les deux lointains cousins? Pas grand-chose. Les traces britanniques se sont évaporées. Un ou deux noms de clubs anglicisés à leur création, une place ou deux à Sao Paulo ou Rio. Mais dans les faits, l'ADN du football brésilien s'est rapidement émancipé de sa facture originelle.
Les Britanniques ont implanté le football dans de très nombreux pays, dont le Brésil donc, mais aussi l'Argentine, l'Uruguay sans parler de toutes leurs colonies, de l'Australie au Canada en passant par la Nouvelle-Zélande. Mais aucun pays ne s'est affranchi aussi fortement de son créateur que le Brésil. Jusqu'à inventer sa propre identité, le "futebol". On peut même aller jusqu'à considérer que ce jeu propre aux Brésiliens s'est construit par opposition au football anglais.

Longtemps, le football anglais est resté recroquevillé sur lui-même

En 1914, l'équipe anglaise d'Exeter vient effectuer une tournée au Brésil. Elle lamine tous ses adversaires, mais s'incline 2-0 à Rio face à ce qui est considérée comme la première équipe du Brésil officielle. Une sorte de passage de témoin. Mais au-delà du résultat, c'est le style des deux jeux qui, déjà, frappe. Dans leur monumental ouvrage Seleçao Brasileira, 1914-2006, Antonio Carlos Napoleão et Roberto Assaf évoquent cette rencontre comme un point de départ. "Habitués au professionnalisme, les joueurs anglais luttaient sur chaque ballon. Les amateurs brésiliens, eux, recherchaient surtout le beau geste et le plaisir", expliquent-ils. Tout était donc déjà là, dès le premier match.
Pourquoi donc les footballeurs du monde entier, ou qu'ils soient, se sentent tous un peu cousins du foot brésilien, attirés par lui, fascinés aussi, alors que les Anglais, qui ont inventé ce jeu, n'ont jamais exercé ce phénomène? Brent Gordon est professeur d'histoire à Sao Paulo. Anglais, il est marié à une brésilienne. C'est un passionné de football et particulièrement de son histoire, ici, au Brésil. Il évoque d'ailleurs dans un de ses cours la naissance du football brésilien et son impact sur la fondation de l'identité brésilienne. "Cela tient à des questions culturelles et historiques, répond-il. On peut tout à la fois dire que le football a contribué à faire du Brésil ce qu'il est devenu et que le Brésil a contribué à faire du football ce qu'il est devenu. Aucune de ces deux réalités ne s'applique à l'Angleterre ou à la Grande-Bretagne.Puis si le football a été créé en Angleterre, longtemps, le football anglais est resté recroquevillé sur lui-même, laissant les autres jouer entre eux. Par exemple, ils n'ont pas mis les pieds en Coupe du monde avant 1950. Au Brésil, d'ailleurs. A l'époque, les Brésiliens les appelaient "les maitres du football" dans la presse locale. Les temps ont bien changé…"
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Des fans postés devant le stade Sao Paulo avant le match d'ouverture du Mondial Brésil - Croatie

Crédit: AFP

Peu de grandes stars brésiliennes sont venues en Angleterre

C'est le moins que l'on puisse dire. A l'époque, le palmarès planétaire des deux équipes était vierge. Depuis, le Brésil a été cinq fois champion du monde, s'imposant comme la référence commune. "L'Angleterre est un pays de football, incontestablement, reprend Brent Gordon. Il y a une grande passion pour ce sport. Mais ce n'est pas le pays du football. Encore moins aujourd'hui qu'il y a 60 ans. Ça tient aussi au fait que l'équipe d'Angleterre n'a pas les résultats à la hauteur de son histoire. Or le rayonnement footballistique d'un pays, qu'on le veuille ou non, passe d'abord par sa sélection nationale. Pas par ses clubs." Dans ce domaine, il faut bien admettre que les Anglais sont à la traine. Certes, ils appartiennent au cercle restreint des champions du monde. Mais depuis leur titre en 1966, ils n'ont atteint qu'une seule fois les demi-finales, en 1990. En 11 éditions, c'est peu. Dans le même temps, l'Allemagne a fini 8 fois dans les quatre premiers. Le Brésil 6, l'Italie aussi. La France 4.
D'ailleurs, au Brésil, l'Angleterre n'est pas plus attendue qu'une autre, en dépit de ce lien historique. Plutôt moins que l'Argentine, l'Uruguay, l'Espagne du fait de son statut de championne du monde ou même la France, avec laquelle le football brésilien a des rapports étroits depuis longtemps. "Si vous regardez bien, il y a historiquement très peu de grands joueurs brésiliens qui sont venus jouer en Angleterre depuis un demi-siècle, note encore Brent Gordon. Cela n'aide pas à s'identifier à ce football pour les Brésiliens. Zico et Socrates sont venus jouer en Italie, Ronaldo a joué en Italie et en Espagne, Ronaldinho en France, en Espagne et en Italie. Jairzinho en France, Romario en Espagne, Rai en France, etc. Il y a des Brésiliens en Angleterre, bien sûr mais globalement, les grandes figures brésiliennes, les légendes, sont allées dans les pays latins, pas chez nous."
Totalement émancipé de son créateur, le football brésilien ne nourrit donc tout au plus qu'une respectueuse politesse, comme envers un arrière grand-oncle que l'on n'aurait pas vu depuis des années. Pas sûr que cette Coupe du monde 2014 soit de nature à recréer une forme de fascination ou d'admiration…
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Les joueurs de l'Angleterre saluent l'accueil qu'ils ont reçu au Brésil

Crédit: AFP

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