L'Albanie a bien grandi mais elle n'est qu'au début de son histoire

En football comme dans la vie, le destin est parfois cruel. Au moment du tirage au sort des groupes de l’Euro 2016, Lorik Cana savait que ce mercredi serait son jour, son retour au stade Vélodrome. Et puis finalement non, trop simple, trop téléphoné, Cana ne dirigera pas la défense des Kuq e Zi contre les Bleus à Marseille. La faute à un mauvais réflexe dont Chris Smalling aurait peut-être dû s’inspirer d’ailleurs.

Malgré sa défaite initiale contre la Suisse, l’Albanie, réduite à dix, a montré un beau visage. On l’a vue déterminée, volontaire, courageuse, et techniquement à l’aise jusqu’aux trente derniers mètres où l’absence de talent et de réussite a été rédhibitoire. Cependant, même une défaite ce mercredi ne compromettrait pas totalement les chances de qualifications de l’Albanie en cas de victoire contre la Roumanie.

Les progrès de la sélection albanaise ne sont pourtant pas le fruit du hasard ou de l’apparition miraculeuse d’une génération dorée. Il n’y a pas de star dans cette équipe, juste des joueurs patriotes de devoir et quelques joueurs de ballon à surveiller comme Kaçe et Hysaj. Il y a surtout sur le banc un homme, Gianni De Biasi, qui travaille depuis 5 ans pour transformer l’Albanie en une sélection contre laquelle les trois points ne sont plus gagnés d’avance. Avec le temps et les bons résultats, l’Albanie ne sortira plus dans le 5e chapeau des tirages au sort, et sa probabilité de qualification pour les compétitions internationales augmentera afin que cet Euro 2016 ne reste pas une exception dans la très mince histoire des succès du football albanais.

Ce retard par rapport à ses voisins a une explication historique : celle d’un régime communiste paranoïaque qui a choisi de s’isoler plutôt que d’investir dans le sport comme les autres. On se souvient que des équipes albanaises déclaraient forfait régulièrement, et que l’Albanie s’est retirée de plusieurs olympiades. Puis les années 1990 ont également été très dures, entre un exode de masse en Italie et la crise des pyramides en 1997 qui a placé le pays au bord de l’anarchie.

Dans ces conditions, il y a un déficit flagrant dans la capacité de fabriquer des sportifs de haut niveau, tant au niveau du savoir-faire que des infrastructures. C’est sur ce dernier point que l’Albanie tente de rattraper son retard en construisant des stades et en améliorant ses installations.

Cet investissement sur l’avenir est d’autant plus indispensable que l’apparition d’une sélection officielle du Kosovo pourrait changer la donne à l’avenir. Lors de Suisse-Albanie, le Kosovo était fortement représenté des deux côtés. La question d’un changement de sélection ne se pose pas tellement pour les joueurs actuels mais pour les jeunes à venir. Le Kosovo sera-t-il une sorte d’Albanie B dans laquelle les joueurs qui n’ont pas le niveau pour jouer avec les Rouge et Noir se consoleront ? Ou bien les joueurs originaires du Kosovo vont-ils progressivement choisir de jouer pour cette sélection ?

Cela forcerait l’Albanie à revoir intégralement son mode de recrutement, en accélérant le processus de fabrication de joueurs directement en Albanie sans compter sur les ressources offertes par la diaspora originaire du Kosovo. Cela remettrait également en question son rôle d’élément d’unité de la nation albanaise par-delà les frontières dessinées par l’histoire, ainsi que le rappelle Lorik Cana, lui-même originaire du Kosovo.

En attendant, il reste deux matchs à l’Albanie pour créer l’exploit, avant d’écrire un nouveau chapitre d’un football albanais qui comptera deux sélections. Qui sait, peut-être assistera-t-on à un Albanie-Kosovo en phase finale de l’Euro 2028.