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FIFA : pour sauver Blatter et Platini, il ne reste que la machine à remonter le temps

Philippe Auclair

Mis à jour 21/12/2015 à 20:20 GMT+1

Pour Philippe Auclair, la suspension infligée à Joseph Blatter et à Michel Platini sanctionne d'abord un système d'un autre temps.

Le logo de la FIFA, le 8 octobre 2015, à Zurich

Crédit: AFP

Sepp Blatter était d’humeur combative quand il s’adressa à la presse internationale ce lundi matin. La Commission d’éthique dont il avait été l’initiateur avait pu le suspendre pour huit ans, mais on allait voir ce qu’on allait voir. Il allait saisir la Commission d’appel de la FIFA; le TAS; la justice suisse; et la Curie romaine s’il le fallait, ne pouvait-on s’empêcher de penser. "Je suis toujours président!", clamait-il, maudissant ceux qui l’avaient trahi comme Néron se lamentait de ce monde qui allait perdre un grand artiste.
Ce n’était pas seulement l’énergie du désespoir qui animait le presque-octogénaire. C’était aussi un réel sentiment d’injustice, né d’une incapacité absolue à comprendre que nous ne sommes plus en 2010, mais en 2015, que le système qu’il commença à mettre en place en qualité de bras droit de Joao Havelange ("tu as créé un monstre", lui avait dit celui-ci) appartient à un passé en lequel le football ne peut plus trouver de réponses aux questions sans fin que lui pose l’opinion et, ce qui est autrement plus important, la justice.

Les cerveaux de cette cabale ? "Blatter et les Américains"

Car si Blatter et son allié et héritier présomptif d'il n’y a pas si longtemps, Michel Platini, en sont réduits aujourd’hui à fonder de très minces espoirs de réhabilitation sur une décision favorable du TAS, voire de tribunaux civils, ce n’est pas à cause d’un complot ourdi par des forces mystérieuses, mais bien parce que le FBI et, dans leur cas précis, la justice suisse ont précipité leur chute. Il est tout de même étonnant que ce fait ne soit pas rappelé plus souvent; ou se pourrait-il qu’accuser le système judiciaire helvétique de partialité soit trop fort de café, même pour les partisans les plus aveuglés des deux hommes?
J’ai tout récemment eu la possibilité de m’entretenir avec l’un de ces fidèles, dont le nom importe peu, même s’il est bien connu dans le monde du ballon. Un dialogue de sourds ne maîtrisant pas le langage des signes s’est ensuivi. Mon interlocuteur assurait que Platini avait été victime d’une conspiration, et que, tôt ou tard, son "innocence" serait établie. L’avenir le dira. Mais lorsque je lui demandai qui était ou étaient le ou les cerveaux de cette cabale, il me répondit avec le plus grand sérieux: "Blatter et les Américains".
Blatter, vraiment? Le machiavélique président de la FIFA aurait donc eu recours à une auto-dénonciation qui lui a valu d’être mis en cause par la justice de son pays et d’être traîné dans la boue par les médias pour faire tomber Platini? Sa colère serait feinte, son indignation de façade? Et cela, quand il avait été réélu en mai dernier? You must be joking.

Nous ne sommes plus en 2010

Les Américains? Que ceux-ci soient désireux de faire exploser la machine mafieuse qui pourrit le football depuis si longtemps ne fait aucun doute. Que Bill Clinton, ambassadeur numéro 1 de la candidature américaine à l’organisation du Mondial 2022, n’ait jamais avalé la désignation du Qatar par un Comité exécutif dont plus de la moitié des membres sont aujourd’hui suspendus, inculpés, emprisonnés ou en cavale, évidemment. Comme Blatter le dit lui-même: "Si on avait fait un autre choix en décembre 2010, nous n’en serions pas là aujourd’hui". Si Michel Platini n’avait pas pris sa place au fameux déjeuner de l’Elysée et n’était pas revenu sur sa promesse de voter pour les USA… C’est tout à fait exact.
Mais nous ne sommes plus en 2010. Et la seule chose qui pourrait vraiment désormais sauver Blatter - et Platini - est une machine à remonter le temps. Au 1er décembre 2010, par exemple, la veille du grain qui est devenu tempête. On ne va pas faire de Hans-Joachim Eckert, le président de la Chambre de Jugement qui a prononcé la suspension de Sepp et Michel, un parangon de vertu et de transparence. Son résumé lacunaire et tendancieux du rapport Garcia, publié en novembre 2014, n’a pas convaincu beaucoup de monde de sa stricte indépendance vis-à-vis du système FIFA. Mais nous ne sommes plus en 2014. La Commission d’éthique n’a plus d’autre choix que de faire son travail du mieux qu’elle le peut.
Oui, en ce sens, les Américains portent une part de responsabilité; pas parce que les investigateurs et juges de la Commission d’éthique seraient à leurs ordres, des marionnettes manipulées depuis Washington, mais parce que les arrestations du 27 mai à Zurich, les inculpations en série – seize de plus au début de ce mois -, alliées à l’enquête du procureur suisse Michael Lauber sur plus d’une centaine de transactions bancaires douteuses liées à l’attribution des Mondiaux de 2018 et 2022, les contraint à agir. Et ils l’ont fait. Les noms de Sepp Blatter et de Michel Platini s’ajoutent à une liste qui, il n’y a pas si longtemps, aurait pu passer pour un Who’s Who de la gouvernance du football mondial. Pour beaucoup au sein de la Commission d’éthique et de la FIFA elle-même, où il n’y a pas que des "pourris" et des "vendus", c’est une délivrance. Ils et elles peuvent enfin faire leur travail.

L'implosion d'un système

Les référents d’hier ne valent plus. Faire du cas de Michel Platini une aberration, la conséquence d’un complot, c’est se voiler la face, s’imaginer qu’on est encore, toujours, en 2010. Blazer, Warner, Chung, Fernando, Makudi, Webb, Teixeira, Leoz et bien d’autres sont les "victimes" de l’implosion d’un système. Personne, sauf les intéressés, n’avait remis en question la validité des sanctions prises à l’égard de ces hommes, ou douté du bien-fondé des décisions de la Chambre de Jugement à leur égard. Pourquoi le faire aujourd’hui ? Ils sont encore quelques-uns à croire que les choses continueront comme avant la visite de la Schweizer Polizei au palace Baur au Lac en mai dernier. Quand on vit en vase clos, le nez collé contre la paroi de l’aquarium, il est compliqué de perdre les mauvaises vieilles habitudes et de voir l’hameçon qui frétille dans le bocal.
Sheikh Salman, candidat à la présidence de la FIFA, continue de s’appuyer sur les réseaux qu’il a bâtis au sein de la Confédération asiatique dont il est le président. Peu importe qu’il ait – au mieux – laissé tomber les footballeurs de la sélection bahreïni lorsque ceux-ci furent emprisonnés et, dans certains cas, semble-t-il torturés pour le rôle qu’ils avaient joué lors du "printemps arabe", lorsqu’il était à la tête de leur Fédération. Il s’imagine que les liens tissés par le biais de petits arrangements entre amis suffiront à lui donner les clés du pouvoir. Un peu comme Galba, Othon et Vitellius s’imaginaient qu’ils pourraient succéder à Néron lorsque celui-ci se suicida en 69 après JC, "l’année des quatre empereurs". Se rapporter aux Historiae de Tacite pour voir ce qu’il advint d’eux. Peut-être que cette machine à remonter le temps existe bien, en fait. Mais elle n’est pas réglée sur 2010. Plutôt sur 69, année erratique. Autres temps, autres moeurs, comme ils disaient alors.
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