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Gérard, Stevie G et moi

Bruno Constant

Mis à jour 25/11/2016 à 10:57 GMT+1

La nouvelle est tombée jeudi matin. Steven Gerrard, l'ancien capitaine emblématique de Liverpool, a décidé de raccrocher les crampons, à l'âge de 36 ans, dont vingt-sept passés au sein du club de son coeur. L'occasion d'évoquer la personnalité et l'histoire de ce joueur de légende.

Steven Gerrard, mains sur les hanches

Crédit: AFP

L'annonce a tout de suite ravivé un merveilleux souvenir : ma première rencontre avec Steven Gerrard. Elle fut brève mais, croyez-moi, intense. C'était le 29 mai 2009 au terme de ma deuxième saison complète seulement à l'occasion de la cérémonie du trophée du Joueur de l'Année décerné par la Football Writters' Association, l'association des journalistes britanniques de presse écrite. Le dîner de gala se tenait à l'hôtel Royal Lancaster, sur Hyde Park, dans l'ouest de Londres, et on m'avait vivement conseillé de venir habillé en costume cravate. Traditions britanniques obligent !
Durant la soirée, un confrère parti fumer sur le perron de l'hôtel m'avait dit de décrocher son téléphone si celui-ci sonnait et de venir le prévenir. "J'attends un coup de fil de Gérard...", m'avait-il lancé en s'échappant sans finir sa phrase. Deux minutes plus tard, le téléphone a vibré sur la table blanche immaculée, avec le nom de... Gérard Houllier. J'ai décroché et la voix, qui m'est familière, m'a aussitôt demandé : "Passe-moi Stevie, s'il te plaît". Je lui ai expliqué alors qui j'étais mais il m'a coupé : "C'est pas grave, passe-moi Stevie tout de suite, je veux le féliciter." Sans réfléchir, je me suis exécuté ! J'ai traversé la salle remplie de tables rondes, jusqu'à celle du capitaine des Reds.

"Dis-lui que c'est le boss !"

On m'avait dit que Gerrard n'était pas le joueur le plus aimable de la planète, qu'il ne portait pas les journalistes dans son coeur - j'y reviendrai plus tard - et je me souviendrai toute ma vie du moment où il me dévisagea alors que j'avais commis le crime de lèse-majesté de déranger la star à table, entourée de sa famille. J'avais hésité mais Houllier avait insisté : "Dis-lui que c'est le boss !" J'ai prononcé les mots "magiques" et je vis alors son expression se détendre et son visage s'illuminer : "Le boss ?"
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Steven Gerrard (Liverpool)

Crédit: Panoramic

Gerrard s'était levé au garde-à-vous et avait pris le téléphone avant de s'écarter, au calme, pour converser avec l'entraîneur qui l'a lancé chez les pros à Liverpool, en 1998, à l'âge de 18 ans, puis confié le brassard de capitaine cinq ans plus tard. "Gérard était presque comme un père", lâcha-t-il un jour. Quelques minutes plus tard, Gerrard est revenu vers moi, et, alors qu'il me redonnait le téléphone, me remercia plusieurs fois en me serrant la main fermement. Je vous passe les détails lorsque j'ai dû expliquer la scène à mon confrère qui regretta très longtemps d'être allé fumer cette cigarette !
Durant les années qui ont suivi, j'ai croisé plusieurs fois Steven Gerrard après des Arsenal - Liverpool ou des Tottenham - Liverpool. Il se souvenait toujours de moi, me serrait la main. Je lui glissais à chaque fois que je serais très heureux de pouvoir réaliser une interview avec lui. Il répondait "oui". Mais celle-ci n'est jamais arrivée, sans savoir si c'était lui qui était simplement poli ou son club qui bloquait les sollicitations. Gerrard n'accordait que de très rares interviews et le plus souvent toujours au même journaliste, Henry Winter, grande plume de la presse britannique et aujourd'hui au Times, avec lequel il a écrit la première édition de son autobiographie, en 2006 (un ouvrage que je vous recommande vivement pour comprendre la force qui habite Gerrard).

Le jour où il a cru qu'Anfield s'écroulait

S'il n'aimait pas les journalistes, c'est qu'il n'avait pas confiance en eux depuis la tragédie de Hillsborough et les accusations de plusieurs tabloïds britanniques qui avaient osé reporter la faute sur les... supporters ("des animaux"). L'idée même était insupportable à Gerrard qui, parmi les 96 victimes asphyxiées, avait perdu son cousin Jon-Paul, alors âgé de 10 ans. Celui pour lequel il a joué chacun de ses 710 matches sous le maillot de Liverpool, dédié chacun de ses 186 buts, habité par cette colère et cette détermination qui ont porté ses moments de gloire. Et peut-être aussi ses moments de désespoir. Comme cette glissade maléfique, à Anfield, face à Chelsea, en avril 2014, alors que, pour la première fois de sa carrière, il pensait toucher du doigt son rêve ultime de remporter le titre de champion d'Angleterre avec les Reds.
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Steven Gerrard of Liverpool on his knees during the Barclays Premier League match between Liverpool and Chelsea at Anfield on April 27, 2014 in Liverpool, England. (Photo by Clive Brunskill/Getty Images)

Crédit: Eurosport

Durant toute sa carrière, Gerrard a semblé animé par cette furieuse envie de tout renverser quand tout semblait perdu. On pense évidemment à cette fameuse nuit d'Istanbul en 2005 où il marqua le premier des trois buts d'une remontée légendaire face à l'AC Milan, qui menait 3-0 à la pause. Mais, s'il y en avait un seul pour résumer l'immense carrière de Steven Gerrard, c'est assurément cette demi-volée inscrite quelques mois plus tôt face à l'Olympiakos dans le vacarme d'Anfield. "Ce jour-là, j'ai cru que le stade allait s'écrouler", lança-t-il plus tard.

Les orties, la fourche et l'amputation

Jamais un joueur n’a autant porté en lui l’identité d’un club, à l’image du sang qui coule dans ses veines, "rouge Liverpool", comme il aime à le rappeler. Lui le joueur d’un seul club qu’il a rejoint à l’âge de 8 ans et renoncé à quitter pour Chelsea en 2005, meurtri par l’image de ses propres supporters brûlant son maillot devant les portes d'Anfield. Lui le gamin de Huyton, quartier difficile et misérable de la banlieue est de la ville d'où est également originaire Joey Barton. Un caractère impulsif qui a parfois joué des tours à ceux qui n'aimaient pas ses goûts musicaux - Phil Collins, en l'occurrence - comme en 2008 ou l'approchaient devant des supporters éméchés à la sortie d'un pub (2013). Mais également sur le terrain où, comme Zidane, il a reçu de nombreux cartons rouges (8). Le rouge, évidemment.
Cette rage un peu débordante qui a bien failli stopper sa carrière avant même qu'elle ne commence. C'était un jour d'automne où les feuilles recouvraient ce carré de pelouse, au pied de la cité de Bluebell à Huyton, qu’il rebâtissait Anfield, Goodison ou Wembley. Il avait frappé de toutes ses forces dans un ballon coincé au milieu des orties sans voir la fourche qui traînait là et qui lui avait transpercé la basket et surtout le... gros orteil ! A l'hôpital le plus proche, le médecin avait anéanti son rêve en lui disant qu'il faudrait peut-être amputer. Jusqu’à l’intervention des dirigeants de Liverpool qui avaient une autre idée de son destin.
Bruno Constant fut le correspondant de L'Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd'hui avec RTL, Europe 1, Rfi et i-Télé en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté.
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