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Le foot portugais est reparti avec ses vieux démons

Nicolas Vilas

Mis à jour 25/08/2014 à 20:23 GMT+2

Le championnat portugais a repris, non sans remous. L’été a été agité. Problèmes économiques et politiques continuent de gangréner le "futebol", juge Nicolas Vilas.

Jackson Martínez sous les couleurs du FC Porto.

Crédit: Eurosport

Dans le football portugais, les années passent, comme partout. Mais les problèmes perdurent, un peu plus qu’ailleurs. La saison à peine commencée, la Ligue (LPFP) est toujours dans la tourmente. L’immense majorité des clubs pros ont réclamé la tête de son président, Mario Figueiredo. Et ils l’ont obtenue. Tous en appellent aux trois grands (Benfica, Porto, Sporting) dont la pesante influence est maintenant assumée. Mais ces ogres ennemis réussiront-ils à s’entendre pour soulager les maux récurrents et fourmillants qui affectent leur sport préféré ?
Crise de gouvernance
Déjà deux journées d’entamées en Liga et toujours pas de patron confirmé aux rênes de la Ligue (LFPF). Les circonstances de sa réélection en juin dernier pourraient être un indice supplémentaire du boxon régnant au sein de la gouvernance des clubs pros. Mario Figueiredo a fait en sorte d’annuler les listes concurrentes à la sienne pour obtenir un nouveau mandat de quatre ans comme président de la Ligue. Seuls 8 des 32 clubs acceptent de bourrer l’urne. Sept – dont le Sporting - lui donnent leur confiance. Les autres font front et vont jusqu’aux tribunaux pour tenter d’annuler le scrutin. La fédé intervient et supplie Benfica, Porto et Sporting de s’unir au sein d’une commission afin de réinstaurer un dialogue.
Au-delà de leur incapacité à gérer les conflits qui les rongent, les autorités du foot portugais s’en remettent à l’incontournable trio dont la mainmise et le partage du pouvoir est donc maintenant légitimé par les instances. C’est finalement le Conseil de Justice de la FPF qui, le 29 juillet, exige un nouveau vote validant la liste de Fernando Seara. Celle de l’autre prétendant, le "révolutionnaire" Rui Alves, est en suspens. "Bizarre", commente l’intéressé. En cas de destitution, Figueiredo a fait savoir qu’il allait réclamer réparation : 700 000 euros, correspondants aux 12 000 euros mensuels qu’il devrait percevoir jusqu’à la fin de son nouveau mandat (2018). De quoi plomber un peu plus les comptes de "son" institution.
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Jorge Jesus (Benfica)

Crédit: Panoramic

Crise économique
"Le passif de la Ligue pourrait être proche des cinq millions d’euros." Le président de l’Académica, José Eduardo Simões (qui en 2012 a été condamné à six de prison avec sursis pour corruption passive et abus de pouvoir), s’inquiète. Et milite. Comme pas mal d’autres dirigeants de clubs, il s’insurge contre la gestion menée par Figueiredo. L’urgence à la Ligue est de trouver les sponsors qui lui permettront de boucler son budget. MF qui affirme que des sociétés de paris en ligne sont intéressées. Seul hic, la Santa Casa da Misericordia jouit d’un monopole en la matière. Le Gouvernement a été appelé à intervenir et il serait disposé à établir un compromis. Les soucis de trésoreries de la LPFP ont atteint un tel point que les arbitres auraient des retards de paiements et que certains fournisseurs auraient attentés des actions en justice. La Ligue serait à l’image de beaucoup de clubs : asphyxiés par les dettes, en quête de sources de revenus et anxieux par les scandales qui éclaboussent le Grupo Esprito Santo dont la dette (6 milliards d’euros) pourrait être un nouveau frein à la survie de pas mal de sociétés sportives.
La dépendance bancaire de Benfica, Porto, Sporting à l’égard du GES avoisine les 215 millions d’euros. L’exposition bancaire totale de ces trois seuls clubs dépasse les 500 millions. Leur passif global se situe au-delà des 1 180 millions d’euros, soit presque autant que l’ensemble des 18 équipes de Bundesliga ! Mais contrairement aux Allemands, les "Grandes" peinent à faire gonfler leurs actifs (autour de 780 millions d’euros). Et c’est à eux que les dirigeants du foot portugais veulent confier leur destinée. Les mêmes qui ont décidé qu’à partir de cette saison le nombre de clubs pros allait augmenter. Les patrons de clubs qui peinaient déjà à trouver des fonds à 38 vont devoir se partager à 42 ce que Benfica, Porto et Sporting voudront bien leur laisser…
L’éternelle question des droits télé
Avec une répartition plus équitable des droits télé, le foot portugais ne se limiterait peut-être pas à un plan à trois. Mais les résultats de ces derniers leur offrent argent, pouvoir, contrôle, passion et donc… raison. Un cercle vicieux et vertueux. La centralisation des droits télé est LA question centrale des élections de la Ligue. Figueiredo l’avait établie comme une priorité au début de son mandat mais en s’attaquant au puissant groupe Oliverdesportos il s’est attiré de nombreuses inimités. L’historique diffuseur a aussi des billes dans de nombreux clubs qui se sont rangés de son côté. Le Benfica, lui, en a profité pour lancer sa chaîne (Benfica TV) qui assure la diffusion de ses matches mais aussi ceux de la Premier League, du Brasileirão ou d’autres clubs (Farense, Boavista, la saison dernière).
Le candidat Fernando Seara affirme "défendre la centralisation des droits télévisuels." Ce juriste pourrait incarner le parfait compromis entre les différentes parties. Un proche d’Olivedesportos, un sympathisant du Benfica mais aussi de Pinto da Costa (Porto) et qui compte sur le soutien du Sporting. Voilà qui conforte le président de l’AG de la Ligue démissionnaire à penser que l’annulation du scrutin de son patron est "une décision politique."
Tout est clean ?
Ce passage de la Liga à 18 clubs est surtout la conséquence de la réintroduction dans l’élite du Boavista. L’autre club de Porto passe de la D3 au top. Sans escale. Il y a sept ans, le champion du Portugal 2001 était rétrogradé pour corruption dans le cadre de l’affaire du Sifflet Doré. Une décision invalidée cette année, pour vice de procédure. Mais dix ans après le début de ce vaste scandale, les suspicions perdurent… Et ce n’est plus (seulement ?) l’intégrité des arbitres qui préoccupe mais celle de l’ensemble des acteurs. L’immense majorité des clubs lusitaniens ressentent les effets de la crise. Il y a deux ans, le salaire minimum en Liga a été gelé (1455euros) mais celui des catégories inférieures a été baissé, jusqu’à 40% en D2 (848,75 euros). Et ils sont nombreux à percevoir ces sommes. Pas toujours simple de joindre les deux bouts, même lorsqu’on est footballeur.
Une aubaine pour la "mafia du foot" qui tente de distribuer un maximum d'enveloppes. Les paris sportifs demeurent un sujet sensible et longtemps fermé au Portugal. Fin 2013, Figueiredo martelait : "En ne réglementant pas sur le sujet, nous permettons qu’il existe au Portugal des systèmes qui combinent les résultats". Le marché noir, très développé en Asie, en profiterait. Plusieurs matches de second plan ont été soupçonnés d’irrégularités. La dernière affaire en date est celle de l’Atlético, dernier de D2 de la saison dernière. Certains joueurs sont soupçonnés d’avoir laissé filer le match. L’actionnaire majoritaire du club, une boite chinoise (qui, elle, ne manque pas d’argent), est aussi dans le viseur.
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A 17 ans, Ruben Neves (Porto) a déjà montré de belles promesses

Crédit: Panoramic

La question de la formation
Cette année encore, les suiveurs du foot portugais vont se féliciter de la performance de leurs moins de 19 ans, finalistes de l’Euro, en juillet dernier. Sa formation se porte donc bien. Et sa représentativité évolue. La fédé s’est ouverte aux jeunes lusodescendants évoluant à l’étranger. Ils étaient trois U19 en Hongrie (Rony Lopes, Jordan Machado et Jorginho), quatre lors de l’édition 2013. C’est plus qu’il y a dix ans. Mais la vraie évolution concerne la place des grands dans la formation. Voilà qu’ils redeviennent les principaux pourvoyeurs dans les catégories de jeunes de la Seleção. Benfica, Porto, Sporting possédaient 14 joueurs (sur 18) lors du dernier Euro U19, contre 5 en 2010 ou 2, en 2006. Les demi-finalistes U17 de l’Euro 2014 parvenaient à 94% (17/18) de ce même trio. C’est cinq de plus qu’il y a dix ans. Les gros remettent des billes dans la formation ? Logique : ils sont les seuls à posséder de réels centres, avec les moyens techniques, financiers, matériels pour faire progresser ces promesses et les garder. Ilidio Vale, coordinateur techniques des jeunes de la Seleção s’en inquiète : "Il est impératif pour l’évolution de la formation au Portugal de créer beaucoup plus d’espaces qui soient fonctionnels."
Manquent les moyens. Braga dont le projet a été différé en est un exemple. A vrai dire, les grands clubs n’ont jamais vraiment délaissé la "formação". La problématique est plutôt l’évolution de ces joueurs au sein de ces grandes institutions. Le président de la fédé, Fernando Gomes, vient de lancer un appel : "Misez sur les jeunes valeurs portugaises avec conviction et en ayant conscience que pour progresser il faut jouer". Aucun des finalistes du Mondial U20 de 2011 n’était au Brésil. Pire, un seul est depuis devenu international A : Nélson Oliveira ; un seul évoluait la saison dernière dans un "Grande" : Cédric. Les grands ne pèchent pas dans la formation mais dans l’exploitation de celle-ci. Surtout lorsqu’il s’agit de joueurs nationaux. Ilidio Vale : "Le jeune joueur portugais n’est pas perçu de la même façon qu’une jeune joueur étranger. Il y aura toujours plus de tolérance envers ce dernier. J’aimerais juste que les jeunes portugais bénéficient des mêmes opportunités que les autres." Au Portugal, aucune limite sur le nombre de joueurs étrangers n’existe. Les récents rapports gouvernementaux visant à instaurer un quota de joueurs nationaux se heurtent aux règlementations visant les ressortissants européens et le Statut d’égalité signé avec le Brésil en 1971.
Un "problème systémique" un peu plus perverti par la crise. Pressés par leurs créanciers de trouver rapidement des liquidités, Benfica ou Porto continuent de faire régulièrement appel à des fonds d’investissement pour acheter et vendre des joueurs. Une pratique condamnée par le nouveau président du Sporting, Bruno de Carvalho, pas du tout en osmose avec ses "collègues", sur bon nombre de points. Pour que cette fameuse Commission des trois grands fasse évoluer les choses, il faudra multiplier les efforts, les compromis ou, comme souvent, les arrangements… 
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