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Liga : Comment le Barça a mis la main sur le marché des enfants footballeurs

Thomas Goubin

Mis à jour 04/04/2014 à 13:57 GMT+2

Le FC Barcelone a tissé une véritable toile d'araignée, particulièrement en Amérique du Sud, où peu de jeunes talents ne peuvent lui échapper. Décryptage d'un marché très particulier… pour lequel le club catalan a été sanctionné d'interdiction de transferts pour la saison prochaine par la FIFA.

Presentation equipe Barcelone avec enfants en 2012

Crédit: Panoramic

Au moment de commenter ou d'analyser l'interdiction de recrutement qui vient de frapper le Barça, peu se sont attardés sur le destin de ceux qui ont provoqué, bien malgré eux, cette sanction. Ces dix joueurs mineurs qui n'auraient pas été transférés dans les règles de l'art selon la commission de discipline de la FIFA. L'ouvrage "Niños futbolistas" du journaliste chilien Juan Pablo Meneses permet d'en savoir davantage sur ces enfants footballeurs et sur l'implacable réseau mis en place par le Barça pour les détecter.
De jeunes promesses qui seront peut-être les prochains Messi, Xavi, ou Iniesta, mais qui pourraient également ne jamais percer. Ils sont argentins, paraguayens ou d'ailleurs. Le phénomène des enfants footballeurs, ces prodiges qui quittent de plus en plus tôt le foyer familial et déménagent parfois sur un autre continent avant même le début de l'adolescence, a été décortiqué par le journaliste chilien Juan Pablo Meneses dans un ouvrage "Niños futbolistas" (éditions Blackie Books), publié en 2013. Un ouvrage non traduit en français mais qui a fait grand bruit dans le monde hispanophone.
Combien vaut ton enfant ?
Pour acheter un enfant footballeur, point de départ de ce livre-enquête, Meneses a parcouru toute l'Amérique latine, de l'Argentine au Mexique. Pour bien comprendre comment fonctionne le business de la vente de joueurs encore mineurs vers l'Europe, il a rencontré les différents acteurs de la filière : parents, agents, entraîneurs, dirigeants de clubs… Au début de son enquête, le journaliste redoutait de poser cette question : "Combien vaut ton enfant ?" Mais rapidement, Juan Pablo Meneses se rend compte que les parents sont plutôt flattés que leur progéniture suscite ce type d'intérêt, et y voient une opportunité de sortir de la pauvreté. Et le Barça dans tout ça ?
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Barcas Jugendakademie La Masia bekommt Zuwachs

Crédit: SID

Meneses accorde une place centrale au club catalan dans son ouvrage. Pour l'auteur, le Barça dispose du système de détection d'enfants footballeurs le plus avancé de la planète. Il raconte ainsi comment un jeune entrepreneur argentin ayant lancé un site mettant à la disposition des recruteurs des milliers de vidéos d'enfants footballeurs se voit surpris d'être rapidement contacté par le club blaugrana. "Le système du Barça est parfait, expliquait Meneses dans une interview à Sofoot.com en décembre dernier. Pour trois raisons. La première : un prodige de plus ou moins dix ans ne peut pratiquement pas échapper au Barça, où qu'il soit dans le monde. (Il y a peu, le Real a signé un Japonais de neuf ans et dans le communiqué annonçant son arrivée, le club merengue insistait sur le fait que le Barça le suivait depuis trois ans.) La deuxième raison : le Barça invente de nouvelles méthodes de détection, comme ces camps d'été pour lesquels la sélection se fait par vidéo envoyées par les enfants ou leurs parents, ou The Chance, ce concours organisé par Nike en 2012 avec la participation de Pep Guardiola. Enfin, tout ce business est fait avec le nom de l'Unicef sur le maillot. C'est une stratégie parfaite."

La faute à... Messi ?

A Lima, Buenos Aires, ou Guadalajara, Meneses a rencontré de petits surdoués. La plupart veulent jouer au Barça et améliorer ainsi le quotidien de leurs parents avec leur premier salaire. "Le Barça est devenu la grande obsession des enfants footballeurs", constate rapidement le journaliste. Meneses parle même de Messi comme du "grand coupable" de la chasse aux jeunes prodiges. "Messi fut une si bonne affaire pour ceux qui ont investi sur cet enfant des quartiers pauvres de Rosario, et qui vaut aujourd'hui 200 millions, que tout le monde a son exemple en tête, et veut faire fortune grâce à un enfant footballeur", écrit le journaliste chilien. La tendance actuelle conduit à signer et à exporter les enfants en Europe dès leurs dix ans.
En 2009, Joseph Blatter avait dû répondre à la préoccupation des membres de la CONMEBOL, dont les clubs étaient lassés de se faire piller par les puissances européennes. Le président de la FIFA avait parlé "d'une obligation morale de défendre des enfants de treize ou quatorze ans" provenant du Brésil, d'Argentine, ou d'autres pays... Avant 18 ans, les transferts d'extra-communautaires en Europe sont strictement interdits. Comment ces enfants parviennent-ils alors à intégrer la Masia ou d'autres centres de formation prestigieux du Vieux Continent ? La ficelle est grosse et connue : un contrat de travail est offert aux parents pour simuler un déménagement pour raisons professionnelles. En réalité, les travailleurs chargés de faire vivre la famille sont… les enfants footballeurs. "A neuf ou dix ans, la grande majorité des enfants a déjà signé un contrat ou quelque chose qui y ressemble", découvre Meneses lors de son enquête.
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Sepp Blatter

Crédit: SID

Le FC Barcelone n'est évidemment pas le seul club à s'adonner à la détection et à l'achat de jeunes footballeurs. Son grand ennemi est également concerné. Meneses cite ainsi le cas de Leonel Angel Coira, enfant argentin présenté par le Real Madrid comme sa nouvelle acquisition en 2011. Il avait alors sept ans. "On m'a dit que beaucoup d'argent a circulé", assure, sous couvert de l'anonymat, un agent équatorien installé en Espagne, interviewé par Meneses. "Tout ce qui se dit sur le contrôle de la FIFA, sur la protection de mineurs, ce sont des déclarations pour les medias", ajoute l'agent.
La FIFA, qui vient de sanctionner le Barça, n'est pas épargnée, dans l'ouvrage de Meneses. Le journaliste relève ainsi que le grand ordonnateur du football mondial soutient la Danone Cup, compétition réunissant des enfants de dix à douze ans, où rappliquent agents et recruteurs, à la recherche de chair fraîche. "Parier sur des enfants ne coûte pas cher, explique Luis Smurra, avocat et agent de joueurs argentins, c'est pour cela que le FC Barcelone parcourt le monde à la recherche de joueurs d'avenir." En Amérique latine, Meneses a rencontré des parents prêts à vendre leur enfant pour 200 dollars...
On traite les migrants avec une rigueur mécanique comme les futures pièces de ce cette Formule 1 qu'est le Barça
"On s’attaque à ce qui est l’essence de notre club. Nous nous battrons jusqu’au bout pour nous défendre. On ne touche pas à La Masia", a déclaré jeudi, Josep Maria Bartomeu, le président du FC Barcelone. Selon Meneses, "la Masia n'est toutefois plus ce qu'elle était." Dans le chapitre qu'il dédie entièrement au club catalan, le journaliste décrit les nouvelles installations comme bien éloignées "du vieux centre où la majorité (des pensionnaires) étaient de jeunes catalans qui rêvaient d'imiter Cruyff." "Ici, on traite les migrants avec une rigueur mécanique comme les futures pièces de cette Formule 1 qu'est le Barça", écrit Meneses.
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Masia Barcelona

Crédit: AFP

Le marché des enfants footballeurs est un marché sans frontières, au réservoir inépuisable. En enquêtant en Equateur, Meneses apprend ainsi qu'il existe même une école de football aux îles Galapagos ! On apprend aussi que les joueurs du centre de formation de Boca Juniors appartiennent tous au FC Barcelone. (L'auteur se refuse toutefois à faire dans le moralisme. Il se contente d'exposer la réalité brute, et souvent brutale, du commerce des footballeurs mineurs. Si derrière la réussite d'un Messi se cache moult échecs anonymes de mineurs considérés comme des produits jetables, Meneses invite aussi à ne pas oublier combien d'obstacles ont franchi les ex-enfants footballeurs devenus pros.) En sanctionnant le Barça pour avoir enfreint le règlement relatif au transfert de joueurs mineurs, la FIFA semble avoir voulu faire un exemple. A moins qu'il ne s'agisse plutôt de se laver les mains en mettant en avant l'arbre qui cache la forêt obscure du commerce d'enfants footballeurs.
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