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Jérémie Bréchet (ESTAC) : "Les joueurs n'accepteront pas d'être moins payés et seront bradés"

Eurosport
ParEurosport

Publié 12/04/2013 à 21:35 GMT+2

Lundi dernier, dans un restaurant du centre-ville de Troyes où il a ses habitudes, Jérémie Bréchet a évoqué pour nous les conséquences prévisibles de la taxation à 75% sur le prochain marché des transferts. Le défenseur de l’ESTAC (33 ans), "fier de payer ses impôts en France", n'imagine cependant pas autre chose qu'une fuite des meilleures valeurs de la L1.

FOOTBALL 2013 Troyes - Jérémie Bréchet

Crédit: Panoramic

Le gouvernement a décidé de taxer à 75 % les revenus annuels supérieurs à 1 million d’euros. Les clubs professionnels, qui sont concernés, se disent très inquiets…
Jérémie Bréchet : Cette taxation est injuste, démagogique et elle va se révéler inefficace. C’est une promesse électorale de François Hollande, juste pour attirer la lumière. Cette mesure, et nous en aurons vite la preuve, ne va servir qu’à faire fuir les hauts revenus et les compétences, et je parle en général, pour toutes les professions concernées. Quand beaucoup de hauts revenus seront partis, ce sont les classes moyennes qui vont être un peu plus imposées. Pour les clubs professionnels et le niveau du football français, cela risque de devenir très compliqué.
Craignez-vous de voir les meilleurs joueurs de Ligue 1 s’en aller ?
J.B. : Bien sûr. A part le Paris-SG et éventuellement Monaco, qui pourra supporter le surcoût imposé par cette taxation ? Personne, pas même Lyon, Lille ou Marseille. Tous les clubs français sont endettés (1). Les joueurs n’accepteront pas d’être moins payés, et ils demanderont à partir. Et les clubs devront sans doute les brader. Et il deviendra difficile, voire impossible, de faire venir de très bons joueurs de l’étranger. Quand Zlatan Ibrahimovic a signé au Paris-SG, je me rappelle que beaucoup de responsables politiques s’indignaient à propos de son salaire. Mais quand ils ont su ce que cela allait rapporter au fisc et à l’économie du pays, ils n’ont bizarrement plus rien dit ! Que des joueurs comme Ibrahimovic, Thiago Silva ou Beckham viennent en France, c’est génial !
Vous savez ce que vont vous répondre les défenseurs de cette mesure : que les plus aisés doivent plus que les autres contribuer à l’effort de redressement national…
J.B. : Mais moi, je suis fier de payer des impôts sur le revenu, d’être soumis à l’ISF ! J’ai envie de payer mes impôts en France. De consommer français. Mais trop d’impôt tue l’impôt. Si les gens en payaient moins, si les prélèvements obligatoires étaient moins élevés, ils dépenseraient plus d’argent. Moi, je préfèrerais être moins imposé, et investir par exemple dans une PME. Un joueur qui gagne plus d’un million d’euros par an paye déjà des impôts, a un train de vie qui correspond à ses revenus, et injecte de l’argent dans l’économie française, parce qu’il achète des biens immobiliers, des belles voitures, des montres, bref, ce qu’il veut. Si ces gens partent, la France perdra beaucoup. Cela rapportera peanuts, en comparaison de ce que cela coûtera. Moi, qui ne suis qu’un simple footballeur, sans grosses notions d’économie, j’arrive à le comprendre, mais pas le gouvernement. C’est bizarre, non ? C’est un piège abscons, mais le pouvoir continue dans cette voie, pour garder la face…
Le gouvernement assure que cette taxation sera limitée à deux ans. Vous y croyez ?
J.B. : Pas vraiment. La croissance est nulle, il cherche de l’argent partout. Il devrait s’attaquer à la fraude. Là, il y a de l’argent à trouver. Il devrait créer un ministère de la lutte contre la fraude…
Vous qui avez joué à l’étranger (Italie, Espagne, Pays-Bas), avez-vous eu le sentiment que le rapport à l’argent est différent en France ?
J.B. : Complètement. En France, la question de l’argent est taboue. Avoir de l’argent en France est mal perçu. Ceux qui réussissent ne sont pas aimés, parfois stigmatisés. Ailleurs, on te félicite. La réussite engendre de l’émulation. Ici, non. On ne me l’a jamais dit directement, mais c’est parfois sous-jacent.
Avez-vous gagné beaucoup d’argent dans votre carrière ?
J.B. : Je n’ai pas à me plaindre. Je vis très bien, mais j’aurais pu gagner plus. Seulement, je n’ai pas toujours négocié. Quand j’étais à l’Inter Milan, j’avais le choix entre la Real Sociedad, entraînée par Reynald Denoueix, et Bolton. En Angleterre, j’aurais eu un plus gros salaire. Mais j’ai choisi l’Espagne. Et Denoueix a été viré au bout de deux jours. Je n’ai même pas eu le temps de le voir…
Pourriez-vous vivre sans travailler, une fois que vous aurez arrêté de jouer ?
J.B. : Oui, mais en revoyant mon train de vie à la baisse. J’espère jouer encore deux ans. Après ? Je vais passer des heures à lire dans ma bibliothèque, car j’adore ça. Plus sérieusement, je n’imagine pas ma reconversion ailleurs que dans le monde du foot. J’ai connu beaucoup de choses : être champion de France, la Ligue des champions, la lutte pour le maintien, les blessures, le chômage, j’ai joué à l’étranger (NDLR, il a aussi 3 sélections en équipe de France)… Je vais passer mes diplômes. J’ai des idées sur la formation, les entraînements… Mais je n’ai jamais spécialement travaillé mes réseaux. Je n’ai pas envie d’être recruté quelque part parce que je suis le pote de quelqu’un, mais parce que je suis compétent.
Quand vous avez débuté à Lyon, les mentalités des jeunes joueurs étaient-elles différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui ?
J.B. : Je ne vais pas dire que c’était mieux avant. C’était juste différent. Quand j’ai débuté en pro (1998-1999), j’entendais déjà dire que les jeunes n’étaient pas assez respectueux… Dans le vestiaire de l’OL, il y avait des mecs comme Alain Caveglia ou Christophe Delmotte, qui en imposaient. Moi, Caveglia, il me faisait presque peur (rires) ! C’étaient des mecs pros, rigoureux, sérieux. Ils ont d’une certaine façon terminé mon éducation, car je suis parti tôt de chez mes parents. Ils n’hésitaient pas à recadrer les jeunes. Mais ceux d’aujourd’hui, il ne faut pas sans cesse les accabler. Sans pour autant les dédouaner.
Pourquoi ?
J.B. : Tout va très vite dans le foot actuel. Avant, l’âge et l’expérience établissaient la hiérarchie. Aujourd’hui, c’est l’argent et la valeur marchande. Un jeune qui a de la valeur ne va pas aller un mois en CFA s’il fait le con. Les clubs ne sont pas idiots. Les jeunes, eux, voient simplement ce qu’on leur montre. C’est moins de leur faute que celle du système. Un gamin fait trois ou quatre bons matches, et déjà on dit qu’il va signer dans un très grand club, où il va gagner beaucoup d’argent. Et d’une certaine façon, les médias ont contribué au pourrissement du système, en présentant certains jeunes comme des stars. J’ai surtout vu cela en France. Au PSV Eindhoven par exemple, l’institution est plus forte que les joueurs. J’ai aussi constaté cela à l’Inter ou à la Real Sociedad. Raymond Domenech, que j’ai connu en Equipe de France Espoirs, disait souvent qu’il fallait être acteur de sa carrière, et non pas spectateur. Il avait raison…
Êtes-vous du genre à tenir un rôle d’encadrement auprès des jeunes ?
J.B. : Avec l’âge, un peu plus. On devient moins patient… J’ai été peut-être parfois trop gentil. J’aurais sans doute dû en remettre certains dans le droit chemin. Aujourd’hui, je donne certains conseils, je dis davantage ce que je pense.
(1) En réalité, tous ne sont pas endettés, mais l'écrasante majorité n'arrive plus à boucler son exercice budgétaire.
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