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L'impuissance d'un buteur comme Zlatan Ibrahimovic (PSG), le plus grand mystère du football

Thibaud Leplat

Publié 22/09/2015 à 00:40 GMT+2

C’était Cavani, Lacazette et maintenant, c’est Ibrahimovic. Pourquoi un buteur ne marque plus ? C'est le plus grand mystère du football (avec celui du gardien de but qui n’arrête plus rien), parce que, précisément, il nous force à nous arrêter un instant sur l’objet de notre passion et à l’observer d’un peu plus près. Et si tout était de notre faute ?

Zlatan Ibrahimovic face à Malmo

Crédit: Panoramic

C’est un classique entre toutes les histoires. Celle d’un réalisateur qui ne réalisait plus, d’un écrivain qui n’écrivait plus, d’un amoureux qui ne l’était plus. C’est l’histoire du premier jour où malgré les bons mots, les fleurs, les chemises et les compliments, l’érotisme n’opérait plus et ses yeux doux se détournaient des nôtres. Ce secret consentement aux moindres de nos désirs et dont on avait goûté les délicieux effets jusque-là, cette aptitude inédite à obtenir ce qu’on voulait par la grâce d’un seul regard ou d’une communication secrète entre nos corps, cette façon de s’entendre dire oui sans jamais avoir à prononcer aucune question claire, tout ce charme qui occupait nos journées depuis des années venait tout à coup de se rompre. Sans qu’on comprenne vraiment pourquoi, plus rien n’allait.
Quand dans nos vies, c’est à notre tour de tirer un penalty, on se demande toujours de quelle surface serait notre réparation. Marquer un but à un pantin devant une cage presque vide, c’est facile. Triompher du désir et des questions d’une foule tout entière, c’est une autre affaire. Si le football est peut-être la plus futile de toutes les bagatelles, il est aussi la plus ingrate de nos préoccupations. C’est la seule qui vaut au perdant d’être exécuté en place publique.
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Zlatan, le nez dans le gazon face à Reims

Crédit: Panoramic

Roland Barthes, meilleur buteur

Car si on parle de “confiance perdue”, de “malédiction du buteur”, de “manque cruel de réussite” c’est qu’on ne veut pas révéler le commerce secret qu’entretient la foule avec son buteur fétiche. Lorsqu’un Lacazette, un Benzema, un Ibra, un Cavani n’arrive plus à marquer, il se reproduit devant nos yeux le plus grand des mystères de l’amour (et du football) : pourquoi quand on en a le plus besoin, l’être aimé semble-t-il toujours se défiler ? Là réside tout le drame du buteur. Les autres peuvent manquer une frappe, un crochet, forcer la complaisance ou la magnanimité à la moindre tentative maladroite, ils emporteront toujours un peu de notre tendresse avec eux. Il n’y a rien de plus émouvant que de voir un Jérémy Toulalan frapper de 35 mètres, un Christophe Jallet jouer des coudes dans un corner dans la surface adverse, un Blaise Matuidi tenter l’impossible de son pied faible. Parce que l’attaquant entretient un rapport passionnel avec la foule, pour lui, tout est différent.
Quand il n’y arrive pas, elle s’impatiente, elle lui en veut. Elle ressemble à l’amoureux de Roland Barthes. “Il y a une scénographie de l’attente, écrit-il dans Fragments d’un discours amoureux :je l’organise, je la manipule, je découpe en morceau de temps où je vais mimer la perte de l’objet aimé et provoquer tous les effets d’un petit deuil. Cela se joue donc comme une pièce de théâtre”. Chaque frappe manquée viendra aggraver un peu plus son cas. Chaque match sans marquer c’est un retard de plus à enregistrer, une frustration à porter à son débit aux côtés de celles qu’on pensait avoir oubliées depuis longtemps mais qui venaient de ressusciter d’un seul coup.
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Zlatan Ibrahimovic

Crédit: AFP

Aussi, avec tous les autres impatients, on se mettait à compter, à calculer, à regretter, de façon compulsive. Comme cet amoureux impatient à une table de café, on enregistre chaque seconde de retard de l’être aimé. Si on s’obstine à ce point à dénombrer les minutes, les jours, les semaines sans but c’est qu’il y a bien dans cette attente non résolue, quelque chose qui n’est plus de l’ordre de la déception sportive mais plutôt de la trahison amoureuse. On avait oublié (volontairement ?) les appels de balle, les appuis en pivot, la présence sur la première ligne de pressing, la pression constante sur la défense adverse, le surnombre au milieu pour faciliter la circulation de balle. On avait oublié (pour toujours ?) les bons moments passés ensemble. Depuis qu’il ne marquait plus, Ibra était un traître. Une allumeuse, même. Voilà tout.

Faire le vide (autour de soi)

Alors, pour comprendre l’incompréhensible, on prend conseil auprès de tous les autres, cherchant dans ces recommandations hasardeuses le réconfort de condamnations définitives. Nous n’y étions pour rien. Tout était de sa faute. Il n’y avait qu’à “faire le vide”, “ne plus se poser de question”, “attendre le déclic”. Voilà ce que nous diraient les Inzaghi, Raúl, Trezeguet, Van Nistelrooy et compagnie, comme s’ils n’avaient jamais rien raté de leur vie, comme si leur pied n’avait jamais tremblé dans une surface de réparation. “Penser à rien”, voilà précisément ce qui est impossible à l’amoureux transit. Car depuis des mois le buteur nous avait rassasiés de tentatives réussies et de poteaux rentrants. Trop habitués à ces productions industrielles, on se figurait désormais que les buts se fabriquaient par trentaines dans des usines et qu’il suffisait donc de se planter devant un gardien seul pour recevoir une passe et marquer automatiquement. Imperceptiblement notre attention ne se portait plus sur les qualités du joueur, sur le plaisir du jeu artistique, mais sur son tableau de chasse.
Nous avions négligé ces choses qui pourtant faisait la beauté de notre sport : le mouvement, la feinte, l’esquive. Nous avions oublié, sans même nous en rendre compte, que les plus beaux buts étaient imaginaires. En transformant progressivement le génie en “chirurgien”, en “expert” dont on louait le “réalisme, on avait soustrait de l’attaquant impuissant sa profondeur métaphorique. “Tâchons de comprendre une bonne fois pour toute, écrit Cesar Luis Menotti en juillet dernier au sujet de Leo Messi qui ne marquait plus avec l’Argentine, pour jouer une symphonie, il faut un pianiste brillant mais aussi des cordes et des instruments à vent. Bref, tout un orchestre”.
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Zlatan Ibrahimovic, l'attaquant du PSG, face à Malmo.

Crédit: AFP

Retour vers le passé

Dans Los 11 poderes del líder, Jorge Valdano raconte comment il avait vu Ezequiel Castillo, attaquant argentin de son Tenerife dans les années 90, transformer une sécheresse devant le but en une magnifique opportunité artistique. Plutôt que de patienter que la maudite "réussite" revînt comme un printemps en plein hiver, il fit exactement l’inverse et pria pour que cette famine durât pour toujours : "Un jour, il est arrivé dans le vestiaire avec la solution : il allait réaliser un film intitulé ‘mes 100 plus beaux buts manqués’. Depuis ce jour, chaque échec avait pris un sens nouveau parce qu’il venait affermir une idée nouvelle : ‘et voilà, encore deux nouveaux échecs pour mon film’ ,’aujourd’hui je suis content j’ai raté l’un de mes meilleurs buts’; ou alors quand il marquait enfin ‘tout cela me retarde dans mon projet’". C’est le génie poétique du buteur. Si l’espérance n’a pas d’effet rétroactif et qu’elle ne corrigera jamais un échec enfoui dans le passé, l’imaginaire, lui, offre une collection inépuisable de buts à refaire encore et encore.
Faire de la “confiance” le principal motif de l’efficacité devant le but c’est donner à des préoccupations existentielles (rendre les gens heureux, conclure une action collective, faire gagner les siens, se dresser contre l’adversité) une cause simpliste et accidentelle. Les buteurs sont des hommes dont le travail est de nous faire exploser de joie. Ce n’est pas rien. Les pannes dont ils souffrent, l’espace de deux, trois, quatre matches ne sont donc pas la conséquence d’une malédiction mystérieuse mais la preuve même que chaque but est un miracle. Au fond, leur métier ne consiste pas à répondre à nos attentes mais à les ressusciter. Prions pour qu’ils ne marquent pas à chaque match. Prions pour que les plus beaux buts ne soient jamais inscrits. Prions pour qu’il reste encore beaucoup de surprises à inventer.
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