Un passé à faire passer

"Je ne me souviens pas avoir perdu ici." Jean-Michel Aulas a pénétré sur la pelouse de Santiago-Bernabeu, hier, avec le même plaisir et la même admiration qu'à chaque fois, en regardant tout là-haut, au sommet de ces tribunes deux fois plus hautes que Gerland. Même si le Real Madrid sera virtuellement qualifié au coup d'envoi (1-1), d'où l'amusant ping-pong de JMA avec José Mourinho sur l'intérêt du 0-0, l'OL a posé le pied dans la capitale espagnole en sentant que les choses avaient changé, après la suffisance de l'an passé. Parmi les 80.000 personnes qui garniront Santiago-Bernabeu ce soir, peu auront le souvenir d'avoir vu le Real Madrid se qualifier pour les quarts de finale. Real - Lyon, jusqu'au coup de sifflet final, sera placé sous le signe de la double malédiction qui frappe le club le plus titré d'Europe : sept matches sans victoire contre Lyon en C1, six éliminations consécutives en huitième de finale. Autrement dit, depuis 2003, date de la dernière demi-finale merengue, Lyon est un club plus performant que le Real Madrid dans la reine des compétitions.

Tous les yeux se tournent vers un homme au moment d'ausculter cette incongruité : José Mourinho. Il a déjà pour lui d'avoir conduit le Real Madrid à marquer le premier but de son histoire à Gerland. Il a surtout pour lui d'être le tenant du trophée, avec l'Inter, et cela l'autorise à faire de la malédiction un non-sujet. "Madrid a gagné neuf Ligue des champions et vous me parlez comme si on ne gagnait jamais. Si vous voulez parler du passé, le Real est le champion des champions en Europe ! La 'Décima', quand elle viendra, cela se fera naturellement, grâce au travail bien fait, et pas par obsession. L'an dernier, l'Inter avait la volonté d'aller en finale. On a joué contre des équipes qui en avaient l'obsession, et ce ne sont pas elles qui sont passées. Si on ne franchit pas les huitièmes cette année, ce sera la prochaine fois."

Bien sûr, les conséquences seront beaucoup plus outrageuses si le Real venait à enregistrer un nouvel échec. Mais les conditions de l'échec sont-elles réunies ? "Les séries sont têtues, il y a parfois des équipes contre lesquelles vous réussissez mieux, mais toutes les séries ont une fin aussi, sous-pèse Jean-Michel Aulas. L'arrivée de Mourinho a créé un choc psychologique, c'est vrai, mais aussi une exigence de résultats." Cette exigence se conjugue à la troisième personne du singulier. "Mourinho est un des trois entraîneurs qui a gagné la Ligue des champions avec deux clubs différents, dit le Portugais en parlant de lui à la troisième personne. Il en veut une troisième. Mais même si nous échouons, il y restera une place dans l'histoire, pour Mourinho et pour le Real Madrid. Personne n'a peur dans mon équipe. Nous voulons profiter de ce match et vivre un moment positif." Mourinho assène, comme une thérapie préventive : "Le passé ne compte pas avant un match comme celui-là."

"Ce qui me gêne, c'est que Mourinho a souvent raison", a réagi Jean-Michel Aulas quand nous lui avons rapporté ces propos. "S'il le dit, il le pense forcément. Il a ses certitudes, qui vont se heurter à celles de 18 joueurs Lyonnais et de Claude Puel, qui est un tenace, et qui a dans l'idée de faire chuter le meilleur entraîneur du monde." Les Lyonnais sont cependant parfaitement conscients que le ressort principal de leur victoire l'an passé s'est évanoui. "L'effet de surprise ne jouera plus, confirme JMA. Notre principale chance est de ne pas être pris au sérieux. On a acquis une crédibilité en Europe mais elle a baissé nos chances de réussite, car l'OL est attendu aujourd'hui." Comme s'il oubliait sa volonté de dédramatiser, Mourinho finit par lâcher : "Ce match est fondamental, car après un huitième, les sensations et la confiance en soi augmentent. Les gens commencent à penser à la finale..." JMA répond avec une moue peu convaincue quand on lui suggère que Mou joue tout son crédit à Madrid sur ce match : "Mourinho joue plus que sa crédibilité. Il joue sa fierté." Comme Lyon la saison dernière.

Les éliminations successives du Real en huitième des finale : Juventus en 2005 (0-1, 2-0), Arsenal en 2006 (0-1, 0-0), Bayern Munich en 2007 (3-2, 1-2), AS Roma en 2008 (1-2, 1-2), Liverpool en 2009 (0-1, 0-1) et Lyon en 2010 (0-1, 1-1).

Les précédents Lyon - Real Madrid : 3-0 et 1-1 en 2005 (poules), 2-2 et 2-0 en 2006 (poules), 1-0 et 1-1 en 2010 (8e de finale), 1-1 en 2011 (8e de finale aller).