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Le foot est une affaire d'intelligence : La Gantoise en donne la meilleure preuve

Thibaud Leplat

Mis à jour 14/12/2015 à 12:42 GMT+1

LIGUE DES CHAMPIONS - Ni riche, ni forte, ni belle. La Gantoise est pourtant l’équipe la plus intéressante de la Ligue des Champions après le premier tour. L’idée d’avoir encore à attendre tout un hiver pour les voir donner la leçon à l’Europe est profondément déprimante. C’est l’heure des révisions.

La Gantoise fête sa qualification

Crédit: Panoramic

De quelle matière est faite la Coupe d’Europe ? Sans doute d’un peu de terre souple et de pelouse bien coupée. Si on insistait, on évoquerait aussi le rituel du mercredi soir, les costumes, les étoiles dans le stade, les sandwichs en tribune et la petite musique devenue en quelques années - comme le Père Noël grâce à Coca-Cola - la plus grande réussite du marketing de ces vingt dernières années. La Coupe d’Europe a la force d’une liturgie qui ne semble jamais s’amoindrir, ni perdre de sa solennité.
On a beau passer des semaines chaque année à suivre les innombrables matches de qualifications pour départager lequel des participants mérite le titre officieux et très disputé de "grand favori de la compétition", il y avait pourtant quelque chose qui nous manquait depuis quinze ans (et Anderlecht) qu’on voyait poindre de l’autre côté de l’hiver les huitièmes de finale tant attendus. Il manquait des Belges à notre Champions League. Ils sont de retour, enfin.
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La joie des joueurs de La Gantoise contraste avec la déception de ceux de Lyon

Crédit: AFP

Bien sûr jusque-là le long de leur parcours, ils étaient rares ceux qui ne ricanaient pas en entendant le nom de ce club dont on ne savait pas bien de quelle ville il portait le blason. La Gantoise pour nous c’était peut-être une marque de bière ou une de ces équipes de vélo pour Classiques du Nord dont on entendrait les patronymes dignes des chansons de Brel s’énoncer à la télévision française avec tout le naturel qui sied aux commentateurs habitués. Nous étions en Flandres. La preuve, il y avait Matz Sels, Sven Kums, Brecht Dejaegere et un entraîneur au nom et aux allures de directeur sportif. On aurait bien vu Hein Vanhaezebrouck, la main droite sur le volant et la gauche à tenir un haut-parleur à portée d’un grégaire de bout de peloton dans lequel il braillerait des consignes incompréhensibles.

À cours d’école

Ils avaient bien ri les potaches Christophe Josse et Eric Di Meco à la télévision française lors de ce Lyon-La Gantoise il y a quelques semaines. Quand les deux compères du premier rang virent Rafinha, Matton et Nielsen s’aligner devant un ballon à 18 mètres de la cage d’Anthony Lopes, il s’étaient étouffés : "Ils nous préparent un petit tour de magie les Belges !" avait pouffé l’un, "oui, c’est la David Copperfield !" avait repris l’acolyte, "le grand moment de prestidigitation c’est maintenant !" S’il y a quelque chose de terrifiant à entendre ce genre de railleries de cour d’école en direct, ce n’est pas l’ignorance dont elle est le symptôme - après tout on n’est pas obligé de savoir que ces combinaisons sont courantes en Bundesliga pour parler football, heureusement même - non, c’est plutôt quand elle se pare d’arrogance que l’insouciante raillerie devient insupportable.
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Vanhaezebrouck

Crédit: Panoramic

Les deux camarades pensaient sans doute que les combinaisons étaient un snobisme pour intellectuels scandinaves et qu’il n’y avait rien de tel, dans les équipes viriles, qu’une trajectoire bien sentie dans une lucarne opposée pour faire l’objet de tous les compliments. En marquant ce but grâce au mouvement intelligent des trois hommes détournant l’attention et masquant les premiers mètres de la trajectoire du ballon - là est tout le problème d’un gardien coincé derrière une muraille - Milicevic convertit le dédain rigolard en une coupable admiration. La ruse avait vaincu la force. Di Meco : "Ça nous apprendra à nous moquer des Belges". C’est la surprise et non la force qui change le hasard en intelligence et la réussite en tactique. Voilà notre première leçon.

La poitrine de Depoitre

Car l’enseignement de La Gantoise n’est pas celle du passager clandestin admirable s’immisçant à force d’héroïsme au milieu des géants. Il ressemble d’avantage à celui qu’avait déjà donné la défense en zone en 4-5-1 de l’Atletico de Simeone en 2014 à une Europe somnolente. Cette saison, La Gantoise, à chacun de ses matches européens donne à son tour un cours d’intelligence. Avec 26 millions de budget (soit moins que le SM Caen en Ligue 1), il y a comme une ivresse à contempler combien l’imagination, quand elle est bien employée, est une ressource inépuisable. C’est ainsi que quelques secondes avant leur premier match contre Lyon, on vit sur le line-up une drôle de forme se dessiner. 3 défenseurs, 2 demis, 2 inters, 3 attaquants. C’était un WM, la disposition qu’on se refusait à jouer depuis 1953 et la victoire du 4-2-4 hongrois contre les Anglais à Wembley.
Ensuite, pour le match retour ce fut un 3-4-3 d’un type nouveau où les milieux jouaient en couverture (et non en losange comme chez Cruyff). Contre le Zenit mercredi soir on vit des transmissions rapides sur les côtés (Moses Simon côté gauche en relais avec Asare et Rafinha), des appuis tout en coups de hanches et amorties de poitrail par Depoitre, des changements de côtés par Kums et une formation systématique en attaque placée avec 4 joueurs sur la ligne adverse (Foket-Milisevic-Depoitre-Simon) pour faire reculer toute la défense et deux intérieurs en percussion en deuxième ligne (Neto et Asaré).

La ruse et la force

On peut toujours ricaner, se dire qu’ils n’iront pas bien loin et taper dans le dos de Vanhaezebrouck en prenant l’accent belge. Les petits de la Gantoise, certes, ne sont pas des génies, ni des innovateurs tactiques empanachés comme Pep ou ceux qu’on aime admirer sur les bancs d’Europe les mieux lustrés. Mais ceux-là, s’ils nous ressemblent, c’est qu’ils portent encore jusqu’au fond de leurs oreilles les traces de la boue collante qui recouvrent tous les terrains du Nord en cette saison. Ils n’ont ni la grâce des footballeurs latins, ni l’allure rafraîchie des joueurs venus du Sud. Mais si La Gantoise est l’équipe la plus intéressante de ces huitièmes de finale c’est qu’elle pousse son adversaire à réfléchir, à inventer des réponses à des problèmes tactiques dont on pensait qu’ils n’avaient plus cours en 2015.
Comment défendre, comme en 1953, contre une ligne de 5 attaquants dont l’un n’a de cesse de reculer ? Comment empêcher les ailiers de prendre appui sur les demis avant de déborder comme dans les années du 4-2-4 ? Comment arrêter un géant au milieu d’une surface comme dans les années du WM en Angleterre ? Si ces Belges sont nos amis c’est qu’ils ont l’art de nous contredire avec rondeur et élégance. Le football est d’abord un jeu d’intelligence et de stratégie. La matière de la Coupe d’Europe c’est donc la matière grise. C’est la meilleure leçon de l’école de Gand.
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