De l’anonymat à la Seleção en quatre mois, l’incroyable ascension d’Anderson Talisca (Benfica)

"J’ai l’impression de vivre un rêve." Lundi, Anderson Talisca chatouillait les nuages avant même que son avion s’envole. Il était prêt à décoller pour la Chine et à rejoindre la sélection olympique brésilienne lorsqu’il a appris qu’il était convoqué chez les A par Dunga. La blessure du Parisien Lucas lui a ouvert la porte de la grande Seleção. "On est allé le chercher dans l’avion", s’amuse Gilmar Rinaldo, le coordinateur de la Canarinha. A 20 piges, Talisca célèbre un baptême précoce et inattendu. Y compris pour son entraîneur, Jorge Jesus. Il y a quelques jours, JJ lançait : "Il va devoir beaucoup souffrir pour atteindre la sélection principale du Brésil." Cette promotion n’a pas seulement cloué Jesus. Alexandre Gallo, le coordinateur des équipes de jeunes du Brésil, le concède, à son tour : "Je ne m’attendais pas à une telle évolution."  Newton Mota, son découvreur, le voyait "en Seleção A, d’ici quatre ans." Même Ivone, sa maman, n’en revient pas : "Jamais je n’ai imaginé qu’il irait aussi loin."

Les socios du Benfica ont vite fait connaissance avec le gamin de Bahia. Le 18 juillet dernier, Anderson Talisca disputait son premier match en "encarnado" et marquait son premier but. Estoril plia (0-1) dans le premier match de la Taça de Honra organisée par le District de Lisbonne. Moins de quatre mois plus tard, le voilà, avec  8 réalisations, meilleur buteur de la Liga portugaise juste devant Jackson (FC Porto) et Moussa Maazou (Maritimo). A lui tout seul, il est plus prolifique que sept équipes de son championnat (Gil Vicente, Penafiel, Arouca, Académica, Nacional, Boavista, Moreirense). Monaco a été la victime de son dépucelage en Ligue des champions. "Ce fut le meilleur moment de ma vie", s’envole-t-il encore.  

Face à Setubal (5-0), il est devenu le premier benfiquiste à inscrire un triplé à l’extérieur depuis Angel Di Maria (un 27 février 2010 à Leixões). Il est l’auteur de plus d’un tiers des buts du SLB (28). Avec 9 buts en 15 rencontres, il réalise de meilleurs débuts à la Luz que le légendaire Cardozo (meilleur buteur étranger de l’histoire du club) et réalise une prouesse seulement égalée par Saviola (2009-2010) ou van Hooijdonk (2000-2001). Des stats qui ont de quoi surprendre.  JJ explique : "Au Brésil, il ne marquait pas autant. Il mettait beaucoup de buts aux entraînements." Il est le milieu (offensif) le plus créateur depuis plus de trente ans et Diamantino Miranda. Car non, Talisca n’est pas un avant-centre. Mais une sorte de super milieu offensif que Jesus a testé dans les couloirs mais qu’il a vite replacé dans l’axe, en soutien de ses attaquants.

La polyvalence et l’audace de Talisca auraient-elles de quoi en faire un cador ? Jesus n’hésite pas à la comparer à un Ballon d’Or : "Les caractéristiques physiques et techniques de Talisca ressemblent beaucoup à celles de Rivaldo. C’est pour ça que je l’ai recruté. Quand j’ai vu le gamin, j’ai tout de suite pensé à Rivaldo…" Marquinhos, l’un de ses anciens entraîneurs, martèle : "C’est une comparaison heureuse. Ils se ressemblent par leur force de projection dans le jeu. C’est sûr que Rivaldo a été l’un des meilleurs du monde et que Talisca a encore beaucoup de chemin à parcourir."

En plus des cris d’amour envoyés à Jorge Jesus, comme la star du Barça, Anderson est un amoureux de Jésus Christ. "Un pasteur m’accompagne et nous discutons souvent, confesse-t-il à Record. Il m’aide à m’orienter. C’est super important pour moi. Beaucoup de gens ne savent pas ce que Dieu représente pour eux mais moi je sais." Il affirme ne pas boire, ne pas fumer. Un romantique qui, lorsqu’il s’est vu attribuer le trophée du meilleur joueur du Baiano, en mai dernier, en a profité pour demander Anna Paula en mariage. Tout juste arrivé à la Luz, l’international brésilien Jonas décrit son jeune collègue comme un "garçon intelligent" qui "a tout pour écrire son histoire." Qui est déjà belle.

Il y a un peu mois de 21 ans, Anderson Souza Conceição voyait le jour à Feira de Santana, la deuxième ville de l’Etat de Bahia où 53% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. Anderson en faisait partie. Son physique chétif et décharné le trahit. Son (premier) sobriquet aussi : "Un de mes coéquipiers m’a donné ce surnom quand je suis arrivé à Bahia en 2009. Quand je mettais mes chaussettes, il me disait que je ressemblais à une planche (Talisca, en portugais)." Edson Fabiano, coach des jeunes du Bahia, a vu débarquer un gamin "encore plus maigre que celui que vous voyez. S’il n’avait eu sa technique, il ne serait pas resté", confie-t-il à Maisfutebol.

Le Benfica lui a mis en place un programme spécifique. Talisca a pris quatre kilos de masse musculaire, en quelques semaines. A Salvador, les supporters l’avaient rebaptisé Yaya. "Quand je joue à la console, je choisis toujours Manchester City et joue avec lui, expliquait-il sur Terra en mai dernier. J’aime son football mais pas de quoi s’étendre." Talisca se dit "inspiré par Paulinho" : "un joueur de haut niveau." Mais il est plus qu’un milieu et parmi ses idoles figurent aussi Neymar. Dès son arrivée au sein de la Canarinha il s’est empressé de poster sur Instragram une photo de lui avec la star du Barça.

Avant d’intégrer le Bahia, Talisca a fréquenté la Fondation d’aide au mineur de Feira de Santana (FAMFS). Il a ainsi tenté ainsi d’esquiver la misère et ses vices et s’est adonné à la musique, la capoeira et… le football : "J’allais à l’école mais je ne me suis jamais trop intéressé aux études. Mon vice a toujours été le foot. Plus tard, j’aimerais les reprendre. J’en ai parlé avec ma femme et elle va m’aider." Une sagesse qui ne l’a pas toujours caractérisé. "Je n’ai jamais été parfait, j’ai toujours commis des erreurs que j’ai essayé de corriger", concède-t-il. Avant qu’il ne soit récemment rappelé avec les Olympiques du Brasil, une rumeur circulait selon laquelle il en aurait exclu il y a un an, pour avoir refusé, lors du Tournoi de Toulon, de participer à la visite d’un musée organisée par la CBF.

Si l’info a été démentie, ses rapports avec ses proches ont parfois été décousus. Comme son parcours. A l’âge de 13 ans, il réussit son essai au grand Vasco. "Mais ça ne s’est pas fait parce qu’il n’y avait pas de place pour lui", explique Newton Motta, l’ancien directeur des jeunes vascaino. Faute de chambres libres, Doda retourne à Feira de Santana où le Bahia ira bientôt le dénicher. Il y est devenu un exemple. La fondation FAMFS a mis en place un projet intitulé "Nascer mil Taliscas" (Naitre mille Taliscas) pour venir en aide aux gamins les plus déshérités. Le groupe de funk MK2 a écrit une chanson à son nom. Et bien des gosses du coin aimeraient être associés à ce refrain.

L’été dernier, le SLB a sorti 4 millions d’euros pour s’offrir Anderson Talisca. "Le plus gros transfert de l’histoire du Bahia", publiait fièrement son ex sur son site officiel. "Cette vente est une date marquante, comme l’avait été celle de Daniel Alves à Séville (en 2002)", commente alors le président brésilien qui précise encore qu’il "maintient 50% de la valeur de l’affaire." Sa clause libératoire est fixée à 45 millions d’euros mais le président Luis Filipe Vieira entend déjà la faire gonfler. Son salaire avec. Car le joueur de 20 ans s’engage pour cinq saisons et perçoit un salaire de 20 000 euros nets mensuels. L’un des plus modestes du vestiaire. Mais (pour le moment), il relativise : "Il y a cinq ans, je touchais 50 euros."

Jorge Jesus qui a déjà permis aux Lisboètes de dégager plus de 200 millions d’euros en vente de joueurs depuis flaire le bon coup : "D’ici quelques années, il va nous rapporter quelques millions." Et là encore, peut-être même plus tôt que prévu. Mi-septembre, José Mourinho déclare : "Talisca n’est pas encore en Angleterre parce qu’il n’a pas de permis de travail. Sinon, il y serait déjà. Il y a beaucoup de grandes équipes qui voulaient Talisca." Une éloge qui va virer au règlement de compte avec le coach benfiquiste. Jesus rétorque sur la TVI : "Ils connaissaient autant Talisca que moi je connaissais d’Artagnan." Le Mou en profite pour asséner un nouveau tacle au portugais parfois hésitant de JJ : "Je n’ai pas aimé qu’un collègue de profession doute de mes mots. Je suis, toutefois, heureux de comprendre qu’il lit Alexandre Dumas, contrairement à moi. Je me contente de lire, quand je peux, la grammaire portugaise pour qu’un jour on en m’accuse pas de la violenter. On dirait que c’est un intime de D’Artagnan, et qu’il lit Dumas."

Talisca, pour qui l’école a plus été un hobby, le confesse : "Je n’ai pas compris la polémique entre Jesus et Mourinho. Je ne sais pas qui est D’Artagnan, pour être honnête." Il préfère en sourire : "Ce sont deux entraîneurs de grande qualité et je peux les remercier." Le joueur se déclare même "heureux, parce que c’est la reconnaissance que le travail est fait." Depuis, son nom a été associé à Chelsea, à la Juventus, l’Inter Milan, l’AC Milan, Manchester United, Arsenal, Liverpool ou encore le PSG… Et dire que son dossier, comme le rappelle Foot Mercato, a été recalé par Evian, Lille, Montpellier ou Lyon… Le maillot Auriverde sur les épaules, Anderson est partagé entre ambition et rétention : "Je débute à peine dans le football et je dois encore beaucoup progresser. Ce n’est que le commencement." Déjà tellement apetissant…