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Angleterre - France : Ce soir, l'arche de Wembley sera une arche de l’alliance

Philippe Auclair

Mis à jour 17/11/2015 à 10:01 GMT+1

Etabli à Londres depuis près de 30 ans, Philippe Auclair vit toujours un Angleterre-France comme un moment particulier. Celui de mardi soir, à Wembley, aura forcément une résonnance particulière. Les Anglais, ces drôles de cousins, seront plus que jamais nos frères mardi soir.

Devant Wembley avant Angleterre - France

Crédit: Panoramic

Vous me pardonnerez d’utiliser aujourd’hui un mot que la tradition du journalisme français voit d’un mauvais œil – "Je". Il est vrai que ce "je", dans les circonstances présentes, est aussi un "nous", et que ce "nous", ce n’est pas que celui des Français, mais aussi le "we" des Britanniques, comme Wembley nous le confirmera ce mardi soir. La "moi génération" ne serait-elle qu’un mythe, un refuge de ceux et celles dont le premier instinct, le plus grand besoin est de se vouloir ensemble et que ce siècle empêche de s’exprimer?
Arrivant au bureau que je partage avec quelques collègues anglais lundi matin, c’est un simple "good morning" qui m’a accueilli, un lundi comme les autres, en apparence. Mais ce "good morning" était comme une main tendue à d’autres que moi. Les Anglais n’ont pas de mot pour "pudeur"; mais leur réserve naturelle y ressemble beaucoup, parfois. Quelques minutes plus tard, les premières questions m’étaient posées. Avais-je des amis et de la famille à Paris? Tout le monde allait bien? Ce n’est pas par politesse, ni même seulement par amitié, qu’elles l’étaient. Nous – oui, "nous" -, à Londres, savons ce que c’est que l’horreur aveugle du terrorisme. Le 7 juillet 2005, c’est un hier toujours présent. Quatre assassins bardés de bombes, cinquante-deux victimes, notre ville en état de siège, mais solidaire; comme elle l’est aujourd’hui avec sa soeur parisienne, le sera demain, et bien au-delà.

Après tout, s’ils nous ont donné le football, nous leur avons rendu Cantona, Wenger, Henry et quelques autres

Dès vendredi soir, ils – les Londoniens – ont afflué vers Queen’s Gate, Leicester Square et Trafalgar Square, comme ils l’avaient fait en janvier dernier après la boucherie de Charlie Hebdo. Une bougie brille plus longtemps que le feu d’une kalashnikov. A Liverpool aussi, spontanément, on a veillé, comme dans bien d’autres villes. L’arche de Wembley s’est habillée de lumières bleues, blanches, rouges tandis que la Tour Eiffel s’éteignait pour porter le deuil. La devise de la république sera projetée sur le fronton de l’arène, comme elle l’est depuis deux jours.
Samedi, nous avions été quelques-uns à suggérer que le public réuni pour le plus amical des matchs s’unisse pour chanter La Marseillaise, et ce qui n’était qu’une idée née dans le coeur plus que la tête a fait son chemin, très vite. Vous avez vu ces unes de quotidiens britanniques reproduisant les paroles de notre hymne, enjoignant le stade tout entier à former ses bataillons, ceux de l’armée de la paix et de la fraternité.
Le traditionnel tifo d’avant-match des supporters anglais – la croix de Saint-George – sera remplacé par notre drapeau. La FA entend faire une entorse aux réglements de la FIFA pour que les joueurs des deux sélections entrent ensemble sur la pelouse de Wembley comme s’ils n’étaient qu’une seule équipe. Roy Hodgson, le plus francophile des managers anglais, a donné sa bénédiction à tous ces gestes, et je ne serais pas surpris qu’il en ajoute quelques autres à titre personnel. Après tout, s’ils nous ont donné le football, nous leur avons rendu Cantona, Wenger, Henry et quelques autres.

Londres, si française

L'image plutôt sentimentale et surranée que les Anglo-Saxons se font de nous fait parfois sourire par ce qu’on pourrait prendre de la naïveté, mais qui, à y regarder de plus près, est davantage la marque d’une absence de cynisme. Et nous leur rendons bien la pareille. Londres est devenu le plus attractif des aimants pour des milliers, des dizaines de milliers de jeunes Français et Françaises qui s’y sont établis, une manière d’eldorado.
J’étais l’un d’eux, il y a un bout de temps, même si ce qui m’attirait n’était pas un job, mais la musique, Arsenal et les punkettes. Peu d’ennemis supposés s’aiment autant que nous, et tant pis si "leur" France n’est pas ou plus tout à fait la nôtre. On oublie Azincourt, Waterloo, Bryan Robson à Bilbao : l'arche de Wembley, mardi soir, sera une arche de l’alliance.
Permettez-moi de conclure en citant le commentaire d’un lecteur du New York Times, que m’a fait parvenir un ami anglais, et qui résume si éloquemment ce qu’il ressentait lui-même, et un peuple entier avec lui.
"La France incarne tout ce que les zélotes religieux haïssent, partout dans le monde: l’appréciation de la vie ici sur terre d’une myriade de façons: une tasse de café qui enbaume et un croissant au beurre le matin, de belles femmes en robes courtes qui sourient dans les rues, l’odeur du pain chaud, une bouteille de vin partagée avec des amis, un rien de parfum, les enfants qui jouent au Jardin du Luxembourg, le droit de ne croire en aucun dieu, de se moquer des calories, de flirter, fumer et faire l’amour en dehors du mariage, de jouer, de rire, de s’engueuler, de se moquer des prélats comme des politiciens, de laisser le soin de s’inquiéter de l’au-delà aux morts.
Personne ne fait la vie sur terre mieux que les Français.
Paris, nous t’aimons. Nous pleurons pour toi. Tu es en deuil ce soir, et nous avec toi. Nous savons que tu riras à nouveau, chanteras à nouveau, fera l’amour à nouveau, et tu guériras, parce ton essence est d’aimer la vie. Les forces de la nuit se retireront. Elles perdront. Elles perdent toujours."
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