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Dussuyer : "Si vous ne venez que pour les matches, vous ne pouvez pas prétendre connaître un pays"

Alexis Billebault

Publié 15/11/2016 à 09:10 GMT+1

Depuis plus de quatorze ans, Michel Dussuyer, l’ancien gardien de but de Nice et Cannes, passe l’essentiel de sa vie en Afrique, de la Guinée au Bénin en passant évidemment par la Côte d'Ivoire. Aujourd'hui sélectionneur des Eléphants, qui défient la France mardi à Lens (20h45), il revient sur ses années africaines et son attrait pour un continent à qui il doit sa carrière de technicien.

Michel Dussuyer en pleine discussion avec Gervinho

Crédit: AFP

Avec la Côte d'Ivoire, vous défiez la France. Ce match marque le départ de la préparation pour la CAN 2017...
M.D. : C'est toujours intéressant de se mesurer à la France, qui est une des meilleures équipes du monde et qui dispose de très grosses individualités. Nous avons plusieurs absents (Seri, Bailly, Gervinho), mais nous avons des arguments. Depuis que je suis sélectionneur, j'ai appelé de nouveaux joueurs. Une nouvelle génération arrive, encadrée par des internationaux plus anciens. Cela prend du temps, mais à ce jour, les objectifs ont été atteints : une qualification pour la CAN, même si elle a été obtenue dans la douleur, et une pour le dernier tour des éliminatoires de la Coupe du monde. La Côte d'Ivoire est championne d'Afrique en titre, elle a un statut, mais rien n'est facile pour nous. Yaya Touré, que je n'ai jamais dirigé, a décidé de prendre sa retraite internationale. J'aurais aimé qu'il poursuive un peu avec nous, car on a toujours besoin d'un joueur de sa dimension....
Vous êtes en Afrique depuis belle lurette. Comment un ancien gardien de but, sans aucune expérience africaine, se retrouve sur le banc de la Guinée en 2002 ?
M.D. : Un peu par hasard. J’étais en fin de contrat à Cannes, où j’étais directeur du centre de formation. On m’a parlé de la Guinée, qui cherchait un sélectionneur. J’avais quelque part envie de vivre autre chose. Le pays sortait d’une suspension par la FIFA. C’était à la fin du mois d’août 2002. Je suis parti à Conakry, car il y avait un match qualificatif pour la CAN 2004 quelques jours plus tard contre le Liberia. A peine arrivé, je suis reparti en Gambie pour assister à un match amical joué par les joueurs locaux guinéens. Je n’avais jamais mis les pieds en Afrique subsaharienne, j’étais pris dans un vrai tourbillon. Je n’ai pas eu trop le temps de réfléchir, tellement il y avait de choses à faire.
Des choses qui dépassent largement la simple fonction de sélectionneur…
M.D. : Evidemment, ça me changeait de Cannes (rires). A l’époque, la sélection guinéenne manquait d’organisation. Les joueurs s’entraînaient avec des maillots de leur club, le terrain où tu t’entraînes est celui du match… Il faut être attentif à tous les détails : les déplacements, les hôtels, les équipements. Ce n’est plus le cas avec la Côte d’Ivoire, où c’est vraiment très bien organisé. Mais avec la Guinée, que j’ai dirigée deux fois (2002-2004 et 2010-2015), et le Bénin (2008-2010), il fallait s’assurer que les choses avaient été faites.
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Michel Dussuyer

Crédit: AFP

Avez-vous rapidement compris que le politique, en Afrique, était très impliqué dans la vie de la sélection nationale ?
M.D. : Oui. D’abord, ce n’est pas la fédération qui vous paie, mais le ministère des Sports. C’est-à-dire l’Etat. J’ai vite compris le rôle du politique. Trois jours avant ce match face au Liberia en 2002 avec la Guinée, la sélection avait été reçue en audience privée par Lassana Conté, alors président de la République. Il y avait aussi le ministre des Sports, le président de la fédération et le chef de l’Etat avait déclaré "qu’il fallait laisser le sélectionneur tranquille". Cela m’avait interpellé. C’est par la suite que j’ai compris qu’il fallait mettre des limites pour éviter toute forme d’ingérence, dans le choix des joueurs, mes systèmes de jeu, mes compositions d’équipe, etc… Globalement, je n’ai pas trop eu à subir des tentatives d’intrusion dans mon domaine.
Au Bénin, lors de votre passage entre 2008 et 2010, vous avez d’une certaine façon assisté à un règlement de compte entre les joueurs et les autorités…
M.D. : On venait de disputer la CAN 2010 en Angola, où nous avions pris un point face au Mozambique (2-2), le premier de l’histoire du pays dans cette compétition dans un groupe où figuraient l’Egypte et le Nigeria. Mais au retour à Cotonou, la sélection nationale a été dissoute, officiellement pour manque de patriotisme, ce qui était faux, bien sûr. En fait, le problème était ailleurs : il y avait un conflit entre les joueurs et la fédération à propos des primes. L’équipe a été dissoute et je me suis retrouvé sans travail…
Il arrive de toucher ses salaires avec plus ou moins de retard. Y avez-vous été confronté depuis votre arrivée sur le continent ?
M.D. : Bien sûr. En Guinée, lors de mon second passage, je suis resté un an sans toucher mon salaire. Il vaut mieux avoir un peu de thunes de côté. Quand je suis parti du Bénin, après la dissolution de la sélection, il me restait trois mois de contrat. J’ai été payé, mais avec du retard. L’argent tombe très rarement à date fixe. Mais à ce jour, personne ne me doit rien…
Vous avez toujours fait le choix de vivre majoritairement dans le pays pour lequel vous travaillez, ce qui n’est pas le cas de tous les sélectionneurs…
M.D. : Cela me semble logique de vivre sur place, même si je reviens régulièrement en Europe, pour aller voir évoluer des internationaux ou des joueurs qui pourraient le devenir. Quand vous êtes sélectionneur d’une équipe africaine, vous devez aussi suivre les jeunes, les joueurs du championnat local, connaître les entraîneurs. C’est essentiel. Si vous n’échangez pas, si vous ne venez que pour les stages et les matches et que vous prenez l’avion dès que le match est terminé, vous ne pouvez pas prétendre connaître un pays, sa culture, ses mœurs. J’ai toujours vécu en majorité dans le pays où j’exerce. Les gens sont sensibles à cela, même si, au final, vous êtes toujours jugé sur vos résultats.
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Hervé Renard - Côte d'Ivoire - CAN 2015

Crédit: AFP

L’Afrique est réputée pour être une terre de passion…
M.D. : C’est le cas. Les Africains adorent le football. Ils sont passionnés, et donc parfois excessifs, dans la victoire comme dans la défaite. Si vous perdez, les jours qui suivent, vous pouvez subir quelques réflexions dans la rue… Mais ce n’est pas propre à l’Afrique… Cela dit, j’ai l’impression qu’une victoire ou défaite, en Afrique, peuvent prendre plus d’ampleur. Emotionnellement, l’impact est plus fort.
Vous avez la réputation d’être un sélectionneur qui aime faire jouer ses équipes. Avez-vous pu réaliser cela avec vos sélections ?
M.D. : Oui. Je suis né dans le sud de la France, mais sur le jeu, j’ai une réflexion plutôt anglo-saxonne, alors que les latins sont peut-être un peu plus calculateurs. L’idée de joueur un match en défendant et de le perdre sans rien tenter, ce n’est pas ma philosophie. Et cette vision du football est assez largement répandue en Afrique. Les gens préfèrent que leur équipe gagne en jouant bien, et naturellement, les joueurs adhèrent à cette vision. J’ai envie de prendre l’exemple de Pascal Feindouno : il aurait pu faire une meilleure carrière, car je peux vous dire que ce garçon a un talent… J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi doué. Seulement, Pascal, ce qui l’intéresse, c’est le jeu pour le jeu, la vie pour la vie. Il fallait toujours qu’il ait un ballon avec lui. Un mec adorable, attachant… Qu’il fallait aussi surveiller (rires)…
Cela fait plus de quatorze ans que vous êtes partis en Afrique, hormis un bref retour à Cannes en 2006/2007. Espérez-vous un jour retravailler en France ?
M.D. : Difficile à dire… Le marché français est globalement assez fermé. Il y a un turnover, même si, de temps en temps, un entraîneur étranger arrive. Et quand vous êtes à l’étranger, on s’intéresse moins à vous, à votre travail. Et comme les médias français n’accordent pas beaucoup de place à ce qui se passe en Afrique, en Asie ou en Amérique latine… Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait. J’espère surtout rester le plus longtemps en Côte d’Ivoire, où je suis arrivé en juillet 2015. J’avais déjà travaillé pour les Eléphants en 2006, en tant qu’adjoint d’Henri Michel. Être à la tête d’une des meilleures sélections d’Afrique, c’est une forme de reconnaissance de mon travail... Mais je vous avoue que jouer face à la France, c’est forcément un peu particulier pour moi.
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