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Un vrai vivier de latéraux en France ? Ce n'est pas pour tout de suite...

Ilyes Ramdani

Mis à jour 14/11/2017 à 12:28 GMT+1

MATCHES AMICAUX - Didier Deschamps a convoqué Benjamin Pavard, défenseur central de métier, au poste de latéral droit pour le rassemblement de cette semaine. Une surprise qui révèle un manque criant à ce poste en Bleu. Pourquoi la France peine-t-elle autant à former de vrais latéraux "modernes", en qualité comme en quantité ? Tentatives d'éclairage.

Benjamin Pavard avec l'équipe de France

Crédit: Getty Images

C’était la grande surprise de la liste de Didier Deschamps. Pour les matches face au Pays de Galles (2-0, vendredi) et l’Allemagne, ce mardi, le sélectionneur des Bleus avait convoqué Benjamin Pavard au poste de latéral droit. Défenseur central de formation, l’ancien Lillois n’a joué à ce poste qu’à de rares reprises dans sa carrière, dont deux ou trois fois cette saison à Stuttgart. Visiblement, cela suffit à être parmi les deux meilleurs latéraux droits français du moment.
Ajoutez à cela que l’autre joueur à ce poste s’appelle Christophe Jallet, a 34 ans et n’a quasiment joué qu’à gauche cette saison sous le maillot de Nice… Dans un pays aux 60 millions d’habitants, aux 2 millions de licenciés et à la formation reconnue, l’état des lieux fait un peu tâche. Alors que Deschamps a des choix de riche à faire en défense centrale, au milieu ou en attaque, il semble contraint à un véritable bricolage sur les flancs de sa défense.
Car à gauche, la situation n’est pas beaucoup plus rassurante. Il y a bien quelques spécialistes du poste (Layvin Kurzawa, Lucas Digne) et un titulaire absent (Benjamin Mendy), mais aucun ne s’est véritablement imposé comme une référence sur la durée. Et la situation dure depuis quelques années : les Bacary Sagna, Gaël Clichy, Patrice Evra ou encore Mathieu Debuchy ont défilé à ces postes sans réussir à taire les critiques. Si bien qu’à chaque match des Bleus ou presque, on trouve des tweets nostalgiques de l’époque où les latéraux français se nommaient Willy Sagnol, Eric Abidal ou Bixente Lizarazu…

En jeunes aussi, des soucis à ce poste

Si Benjamin Mendy et Djibril Sidibé semblent avoir le potentiel pour s’imposer, la maigreur du vivier interroge. Que certains postes soient moins bien pourvus une année ou deux, passe encore… Mais que les Bleus aient autant de mal à trouver des solutions à ce problème depuis près de dix ans pose un problème plus large. Le vivier français s’est-il sérieusement éteint au poste de latéral ? En regardant de plus près ce que propose la formation hexagonale à ces postes, il y a effectivement de quoi être inquiet.
S’il partage, un midi à la cantine de Clairefontaine, la table de ses collègues de la DTN, Didier Deschamps pourra réaliser qu’il n’est pas le seul à se creuser les méninges pour occuper les côtés de sa ligne arrière. Il pourra entendre, par exemple, Lionel Rouxel lui raconter qu’il a dû disputer un Mondial entier avec Maxence Lacroix, un jeune défenseur central de Sochaux, en tant que latéral gauche, faute de mieux.
Philippe Montanier, nouveau DTN adjoint, pourra quant à lui ajouter tous les tracas qu’il a eu à composer sa liste de l’équipe de France U20, qu’il a accepté de prendre en intérim cette saison. Faute de latéral droit identifié à ce poste, l’ancien entraîneur de Rennes a appelé Clément Michelin (pourtant un U21 !) et Thibault Campanini, un joueur du Gazélec Ajaccio qui ne comptait aucun rassemblement FFF au compteur. Et Ludovic Batelli, s’il était encore là, raconterait qu’il a été champion d’Europe U19 en 2016 avec Faitout Maoussa, un pur ailier, en latéral gauche.
Bref, Houston (ou Noël, devrait-on dire), il semble y avoir un problème. “Ce n’est pas quelque chose qui nous catastrophe à la DTN ou dans les centres de formation”, tempère Mickaël Vallée. Entraîneur au centre de formation de Sochaux ces dernières saisons, il a été recruté cet été par la DTN pour exercer à l’INF Clairefontaine, le temps de la préformation française. Et le technicien de nous rappeler, en préambule, qu’on parle d’un rôle en pleine mutation : “Le problème qui se pose, c’est que c’est un poste de plus en plus exigeant et difficile. Avant, on leur demandait juste de défendre, aujourd’hui on leur demande d’être des contre-attaquants, des ailiers de débordement, parfois des buteurs…
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Clément Michelin sous le maillot de Toulouse

Crédit: Panoramic

La France a-t-elle manqué le virage des nouveaux latéraux ?

C’est le fameux mantra du latéral moderne. Mais, à l’étranger, cette mutation n’a pas gêné les grandes nations. Avec Danny Rose, Kyle Walker, Nathaniel Clyne et d’autres, l’Angleterre semble même particulièrement bien lotie en “latéraux modernes”. Et, comme l’expliquait récemment sur notre site Bruno Constant, tous les clubs de Premier League ou presque se sont mis à bâtir, convertir ou former de vrais latéraux "new generation." Serait-ce à dire que la France a manqué le virage des nouveaux latéraux ?
Mickael Vallée le concède, “on se rend compte qu’il y a des difficultés à trouver ce genre de joueurs qui savent tout faire.” Et l’entraîneur de détailler la méthode des clubs professionnels : “Dans les centres de formation, on prend des joueurs à vocation offensive au départ et on leur apprend ensuite à défendre. A Sochaux, mes latéraux étaient pour la plupart des anciens attaquants ou ailiers de débordement. C’était le cas par exemple de Jeando Fuchs, qui s’est aujourd’hui affirmé comme défenseur latéral.
La méthode peut surprendre mais elle se comprend. Ce que cherchent les recruteurs des clubs pros pour faire un futur latéral, c’est une propension à attaquer et des qualités athlétiques, de vitesse et d’endurance notamment. Des choses qui ne s’acquièrent pas forcément avec le temps. “Pour ce poste, il faut des aptitudes naturelles, détaille Mickaël Vallée. Attaquer, c’est quelque chose qui se ressent, qui se vit. Alors qu’apprendre à un gamin à défendre, on sait le faire.
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Kyle Walker (Manchester City)

Crédit: Getty Images

Des latéraux reconvertis, sans vraie culture du poste

Les latéraux qui émergent au niveau professionnel sont donc, pour beaucoup, d’anciens joueurs offensifs convertis sur le tard. C’est précisément pour cela qu’ils mettent plus de temps à éclore et à se perfectionner. Mendy et Kurzawa, malgré leurs 23 et 25 ans respectifs, ont encore une marge de progression importante - qui dans le placement et l’attitude défensive, qui dans le dernier geste… C’est l’inconvénient de la méthode décrite par Mickaël Vallée : en les requalifiant sur le tard, la France prive peut-être certains de ses futurs latéraux d’une vraie culture du poste.
Pour autant, la DTN assume la voie et se refuse même à cloisonner ces profils quand elle les identifie. “Justement, on fait l’inverse, souligne le formateur. Au lieu de les mettre tout de suite derrière, on les fait jouer plus haut pour les mettre dans la difficulté. On veut qu’ils apprennent à jouer dos au jeu, à jouer dans la densité, à progresser dans les dernières passes.”
Et cela fonctionne avec quelques espoirs prometteurs. On peut citer Théo Hernandez (20 ans), qui progresse sous la houlette de Zinedine Zidane au Real, ou Ferland Mendy (22 ans), passé du Havre à Lyon cet été. A Toulouse, le centre de formation compte la bagatelle de quatre internationaux de jeunes à ces postes : Kelvin Almian (19 ans) et Clément Michelin (20 ans) à droite, Mathieu Goncalves (16 ans) et Hicham El Khelfi (16 ans). Ailleurs, d'autres se font remarquer, comme le latéral de poche Arthur Zagre (16 ans) au PSG ou le Messin Vincent Collet (17 ans).
Peut-on, dès lors, espérer que le vivier soit de nouveau pléthorique dans les prochaines années ? Le technicien se veut optimiste. “Il y a peut-être un déficit générationnel mais je ne m’inquiète pas pour le vivier français, assure-t-il. Avant l’INF, j’ai travaillé à Sochaux et j’ai fait une année au PSG. Croyez-moi : faites un tour dans les centres de formation français, vous allez trouver d’excellents latéraux !"
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Ferland Mendy face au PSG

Crédit: Getty Images

Bien plus habitués à attaquer qu'à défendre

La génération des Jordan Amavi, Dimitri Foulquier, Mathieu Roussillon ou Sébastien Corchia était précédée d’une réputation tout aussi élogieuse : aucun de ces quatre, et de bien d’autres encore, n’a fait son trou au plus haut niveau. Pour la suite, le poste de latéral semble encore soumis à une instabilité chronique : Dan-Axel Zagadou (18 ans), formé comme central au PSG, joue latéral à Dortmund, son camarade de promo Malang Sarr vit la même chose à Nice, Olivier Boscagli et Kelvin Amian (19 ans) naviguent entre les deux postes dans leurs clubs respectifs…
Charge à la FFF de se pencher sur la question pour faire émerger de vrais défenseurs latéraux, avec tout ce que ça implique : le goût du duel, l’intelligence tactique, la discipline mais aussi l’enthousiasme de la contre-attaque et la justesse de la dernière passe… Mais la marche est encore longue. Dans leur formation, en U17, U19 ou en National 2 ou 3, les meilleurs jeunes ont l’habitude de dominer les matches, d’évoluer dans un bloc placé haut, avec la possession et une relative facilité.
C’est ce qui se passe, par exemple, au centre de formation du PSG, où les latéraux sont en fait de véritables ailiers, qui passent bien plus de temps à attaquer qu’à défendre. Sauf que le haut niveau ne présente pas les mêmes caractéristiques… Pour le court-terme, la science tactique de Jardim et Guardiola devrait faire de Sidibé et Mendy de véritables références à ce poste. Mais pour que les deux anciens comparses de l’ASM ne soient pas des arbres qui cachent une forêt bien maigre, le football français tout entier doit se saisir de cette question. Sous peine d'être rapidement débordé...
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Benjamin Mendy (Manchester City)

Crédit: Getty Images

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