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Oubliez toutes vos certitudes sur les systèmes de jeu

Cédric Rouquette

Publié 23/04/2015 à 14:18 GMT+2

Disserter sur les bienfaits du 4-4-2, du 4-2-3-1 ou du 4-3-3 fait partie de la drogue hebdomadaire des fondus de foot. A bien lire les gazettes et les commentaires sous article, les "systèmes de jeu" sont responsables de bien des victoires ou des défaites, de séries positives ou négatives.

Eurosport

Crédit: Eurosport

Ils incarnent la réussite ou les échecs d’un entraîneur. Ils portent en eux les espoirs de changement. lls expliquent parfois l’inexplicable scénario d'un match. Et puis, c’est beau, comme expression, système de jeu. C’est savant. Mais il y a deux problèmes : elle est employée le plus souvent de façon impropre et son concept même devient désuet.

Ne pas confondre système de jeu et organisation

L’emploi de l’expression est impropre, rappelons-le pour commencer, car le 4-4-2 (ou le 3-3-3-1 de Bielsa, ou tout autre dispositif), n’est pas un système de jeu mais une organisation. La différence est notable. Une organisation est statique. Elle distribue la place de tout le monde au début de la bataille. C’est un schéma fixe. Une façon de ranger des pions. L’organisation ne dit pas comment joue une équipe ; elle dit comment l’équipe défend. S’il vous prend l’envie, au stade, de traquer le "4-2-3-1", vous le relèverez dans deux circonstances : au coup d’envoi, et à la perte du ballon. L’organisation de jeu est une occupation rationnelle de l’espace imposée aux joueurs quand il n’y a plus de ballon pour attaquer. Les équipes "bien en place" sont celles qui se protègent des vagues de l’adversaire avec cette organisation rationnelle. Dans ce cadre-là, le "4-4-2" a un sens. Ensuite, il "explose". Par définition.

C’est quand le ballon est récupéré qu’entre en scène le système de jeu, également appelé par les coaches - ouvrez grand les oreilles lors des interviews - "principes" de jeu, ou "animation". Les principes de jeu sont ceux qui déterminent, à la discrétion de l’entraîneur, quel joueur doit partir dans quelle zone du terrain quand tel ou tel joueur possède le ballon. Quelle est la complémentarité entre l’attaquant de pointe, ses ailiers et ses milieux. Quel milieu a le droit de monter. Où. Dans quelle situation. Lequel reste en place. Comment les latéraux se répartissent le travail et combinent avec le ou les joueurs placés devant eux. Où s’enclenche le pressing. Quand. La palette des combinaisons est infinie. Michel Platini dirait que le seul système de jeu valable est celui qui laisse les joueurs libres de se déplacer selon leurs inspirations.

Il est plus difficile de placer les systèmes ou principes de jeu dans des cases. Des étiquettes peuvent tout au plus tout au plus leur être attribuées - "jeu de possession", "attaque placée", "contre" - mais rien ici de très satisfaisant. Par définition, quand une équipe censée évoluer avec trois attaquants place six joueurs dans la surface au bout de ses offensives, parler de 4-3-3 est restrictif. Quand telle équipe très disciplinée défend à neuf, convoquer le 4-2-3-1 est trop étriqué. La réalité du terrain supporte mal les étiquettes et les vieilles représentations. La réalité du terrain, depuis bien longtemps, c’est que quasiment tout le monde attaque et défend, mais qu'on a du mal à en parler.

Il y a une alternative : l'analyse du positionnement moyen

Il y a une alternative et il faut bien en trouver une, car parler de système de jeu devient désuet à mesure que se diffusent les documents représentant le positionnement moyen des joueurs à l’issue d’un match. Opta, diffuseur de données bien connu, en délivre parfois sur sa page Facebook ou à quelques médias clients. L’UEFA, les soirs de Ligue des champions, publie discrètement la photographie du positionnement moyen des joueurs quart d’heure par d’heure (!), par mi-temps puis à l’issue du match. La perception offerte par des documents ringardise considérablement nos repères habituels en même temps qu’il les passe au révélateur.

Prenons le PSG le jour où il a battu le Barça. Il a bien évolué en 4-3-3 ce soir-là. Plus exactement en 4-3-2-1, si on regarde bien. Le Barça, lui, a évolué en en 2-3-2-3. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est la réalité du jeu figée par une représentation graphique des déplacements des joueurs. Le PSG avait gagné ce soir-là au prix d’une grosse discipline collective. Il avait globalement laissé le ballon aux Espagnols et s’était appuyé sur son exceptionnel moteur au milieu. La visibilité d’un dispositif proche du tableau noir se conçoit facilement. Mais contre l’Ajax en première période (1-1), lors de la première journée, le PSG évoluait notoirement en 2-4-1-3. A Nicosie, le PSG a beaucoup fluctué autour d’un 2-2-2-1-2...

On pourrait mesurer les exemples à l’infini. Le Real qui a battu Liverpool (1-0) ? Un 2-4-2-2, avec un duo de purs avant-centres composé de Benzema et Ronaldo littéralement l’un sur l’autre. Benfica - Monaco fut une rencontre entre 2-4-3-1 purs et parfaits. Le Chelsea de Mourinho ? Un 2-3-1-2-2 avec Cesc Fabregas au coeur du système, sans surprise mais de façon plus visible que jamais.

Un regard sur les schémas du Bayern qui ont pulvérisé la Roma (7-1) en dit long sur la précision de cette méthode de représentation des systèmes de jeu autant que sur son potentiel. Le club allemand a proposé une sorte de 2-2-2-2-2 avant la pause puis un 2-2-2-1-3 après. Mais toute la subtilité de son jeu réside dans l’occupation du terrain plus que par les forces par ligne : le Bayern occupe la largeur de façon très peu conventionnelle. L’influence d’un joueur comme Robben, pur ailier droit, c’est aussi que le deuxième défense central (Benatia) peut faire office de latéral, laissant à Boateng le statut de seul pur défenseur central, et autoriser Lewandowski, Müller et Götze à jouer de façon relativement proche de l’autre côté. A vous de regarder tout cela à la loupe. Il y a matière.

Ces documents permettent aussi de visualiser trois choses :
- La hauteur moyenne de l’équipe. Cette information en dit plus que n’importe quelle autre sur la réalité des rôles de chacun des joueurs sur un match donné et sur le rapport de force entre les deux équipes ;
- L’occupation des couloirs. Il est fascinant de constater que le positionnement moyen de Chelsea peut être extraordinairement axial, avec deux courants d’air sur les ailes, sans conséquence pour l’équipe puisqu’elle maîtrise  son expression en évoluant de façon très compacte depuis le débute l’année ;
- La proximité ou l’éloignement des joueurs formant les paires qui organisent le jeu sur chaque ligne.

Le jeu tel qu'il se déroule véritablement

C’est ainsi que nous vous avions par exemple proposé une interprétation du 4-4-2 en losange des Bleus contre le Portugal comme une organisation très axiale tirant vers le 3-2-2-1-1-1. Ce sont des transpositions souvent passionnantes pour qui aime le jeu tel qu’il se déroule véritablement. Un vrai destructeur d’idées reçues et, parfois, un réconfort bienvenu sur des impressions visuelles difficiles à porter quand elles sont incompatibles avec les vieux schémas.

Il n’est pas question ici de dire qu’il s’agit de remplacer une série de chiffres barbares par une autre série de chiffres barbares. Peut-être faut-il imaginer autre chose. L’analyse du positionnement moyen - qui, par définition, ne peut s’opérer qu’après les rencontres - a cependant le mérite de nous confronter au football tel qu’il se déroule vraiment sur le terrain. Il synthétise les intentions des équipes - impossible de nier qu'elles sont le moteur premier - et leur traduction concrète. Il sera temps, plus tard, d’inventer l’outil qui permettra de prendre le recul sur l’ensemble d’une saison et de dire a priori comment telle ou telle équipe joue au-delà des contingences d'une soirée.

En attendant, quand Zlatan évolue en 10 et organise le jeu derrière deux attaquants, c’est capté. Quand l’assise défensive d’une équipe s’articule autour de deux défenseurs centraux et d’une sentinelle, avec les latéraux loin devant, cette assise défensive qui est en réalité un triangle plutôt qu'une ligne de quatre est désormais affichée. Nous ne sommes pas à l’abri d’un bon moment, celui où nous serons capables de revisiter l'histoire du football avec l’analyse du positionnement moyen déployée sur des décennies entières de jeu. Nous détecterions forcément des choses qui nous ont échappées, même chez les plus révolutionnaires des entraîneurs. Les intoxiqués ont de beaux jours devant eux.

Cédric ROUQUETTE
Twitter : @CedricRouquette
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