Opinion
FootballPiqué, la question existentielle de l’Espagne
Publié 11/11/2017 à 00:24 GMT+1
Fierté régionale pour la Catalogne, homme à bannir pour l’Espagne, le cas de Gerard Piqué au sein de la Roja divise tout un pays. Auréolé des titres de champion d’Europe et du monde avec la Selección, le défenseur du FC Barcelone doit voir son cas s’éclaircir le plus tôt possible, pour le bon équilibre de sa sélection nationale.
Il y a des jours où rentrer sur un terrain d’entraînement pour aller taper dans la balle avec ses coéquipiers est plus difficile que d’autres. Cette sensation, Gérard Piqué a pu en faire la triste expérience lors du dernier rassemblement de l’équipe d’Espagne, alors concentrée sur son objectif de valider son ticket pour le prochain Mondial russe.
Avant d’affronter l’Albanie à domicile, les hommes de Julen Lopetegui font leur entrée avec la tenue adéquate sur la pelouse du complexe sportif de Las Rozas, basé à Madrid. La séance doit en théorie durer une heure et demie. En pratique, elle ne durera que… vingt-trois minutes.
"Piqué, connard, quitte la sélection !"
La faute à quoi ? À l’entrée de Piqué, dans le viseur d’une bonne partie du public venu pour, selon toute vraisemblance, cracher sa haine sur le défenseur du FC Barcelone. Des travées de la tribune sortent des immondices chantées en chœur : "Piqué, tocard, l’Espagne est ta nation !" ou encore "Piqué, connard, quitte la sélection !".
Une banderole est même déployée, avec un message cinglant : "Piqué, je ne veux pas que tu t'en ailles, je veux que tu sois viré. Tu es dégoûtant." Quelques minutes plus tard, la Guardia Civil interviendra pour ôter ce qui ressemble clairement à des insultes publiques que Piqué se prend sans broncher en pleine face.
Il faut dire que quelques jours plus tôt, le mari de Shakira a rajouté de l’huile sur le feu, qui flambe depuis maintenant plus d’un mois sur l’Espagne. Désireuse de prendre son indépendance à la suite de l’organisation d’un référendum pour consulter son peuple le 1er Octobre dernier, la Catalogne va ainsi à l’encontre du tribunal constitutionnel espagnol qui juge une telle prise de décision "illégale".
Le même jour, le Barça reçoit au Camp Nou l’UD Las Palmas, issue des Îles Canaries. Si la victoire blaugrana est au rendez-vous (3-0), Gerard Piqué militait quant à lui à l’annulation pure et simple de la rencontre avant la victoire des siens. Un choix non-partagé par plusieurs de ses camarades dans le vestiaire, Andrés Iniesta et Javier Mascherano en tête de liste.
Les larmes de l’incompréhension
Après cette rencontre jouée à huis clos dans une ville où les affrontements entre forces policières et citoyens hispano-catalans atteignent un pic de violence important, Piqué souhaite prendre la parole face aux médias, le cœur lourd et les yeux humides.
"Quand on vote, on peut voter oui, non ou blanc, mais on vote. Dans ce pays, pendant de nombreuses années, on a vécu sous le franquisme, les gens ne pouvaient pas voter et c’est un droit que nous devons défendre, explique le joueur, la voix chevrotante. Je suis catalan, je me sens catalan et c’est pour ça qu’aujourd’hui plus que jamais, je suis fier des gens de Catalogne." Voici donc l’origine des huées populaires pour Piqué. Mais sont-elles pour autant justifiées ?
Piqué l’a toujours clamé haut et fort, il prône la liberté de penser, de s’exprimer et donc d’agir par le vote. Oui, Gerard Piqué Bernabeu est fier d’être Catalan et n’oublie pas l’histoire entachée de son pays, de quoi le considérer à juste titre comme un pro-catalan. Sa position politique s’arrête là, et tant pis pour ceux qui souhaiteraient le cataloguer dans une frange plus indépendantiste, voire anti-nationaliste.
En réalité, l’Espagne a vécu cette tension interne, qu’il s’agisse de la guerre civile sanglante en Catalogne ou des positions extrémistes de l’Euskadi Ta Askatasuna (ETA) du Pays Basque. Mais si des joueurs comme Oleguer Presas ou Mikel Aranburu ont refusé de porter le maillot de l’Espagne après avoir été convoqués, la question de Piqué, favorable à jouer pour l’Espagne, est bien plus épineuse. Pourquoi ? Parce que le défenseur joue un rôle capital dans le onze aligné par Lopetegui.
Piqué-Ramos, symbole de l’Espagne
Convoqué avec La Roja depuis le 11 février 2009 et une rencontre face à l’Angleterre à Séville, celui qui est parfois appelé "Shakiro" compte désormais 92 sélections avec l’Espagne. Champion du monde en 2010 avec Carles Puyol en coéquipier de charnière centrale, Piqué est devenu vainqueur de l’Euro 2012 associé à Sergio Ramos pour entrer dans l’histoire.
Entre "Shakiro" et le capitaine du Real Madrid, favorable à l’union nationale, les frictions médiatiques sont souvent de mise à l’approche des Clásicos. Une rixe qui se pacifie une fois les deux hommes en sélection, et forme aujourd’hui l’un des duos les plus complets à l’échelle internationale.
Solidaires sur le terrain mais prêts à s’envoyer des piques une fois sous le maillot de leurs clubs respectifs, Piqué et Ramos représentent à merveille cette scission entre deux Espagne, l’une régionaliste et l’autre nationaliste.
Et si dans un monde parfait, le Roi Philippe VI aimerait voir un pays unifié, le monde réel oblige l’équipe à performer malgré ses différences d’opinions. Sifflé au Santiago Bernabéu lors de la dernière grosse affiche à enjeu contre l’Italie, le Culé a dû attendre un petit quart d’heure et l‘ouverture du score signée Isco pour voir le public madrilène faire fi du cas Piqué.
Un trop gros risque à prendre
Il y a un peu plus d’un an, le joueur annonçait que sa carrière internationale avec l’Espagne prendrait fin à la fin du Mondial 2018, soit entre juin et juillet prochain selon les performances de la Selección. Une révérence à 31 ans, donc. Un peu précoce pour un cadre de l’équipe, mais symptomatique du ras-le-bol de l’intéressé à encaisser à toutes les critiques, fondées comme infondées.
Et si l’Espagne aime détester son vilain petit canard, l’hypothèse de le voir remplacé avant le début du tournoi en Russie paraît farfelue, voire suicidaire. En effet, qui pourrait à l’heure actuelle prendre la place de Piqué afin de s’associer à Ramos et constituer un meilleur tandem ?
Nacho Fernández connait très bien le Madrilène et évolue parfois à ses côtés dans l’axe, mais ce n’est pas une règle d’or à la Maison-Blanche. Marc Bartra brille au Borussia Dortmund, mais son départ du FC Barcelone en 2016 était dû à la forte concurrence en défense centrale, dont Gerard Piqué fait partie.
Voir Aymeric Laporte ou Lucas Hernández être appelé pour éjecter Piqué de la sélection ? Impossible, car trop aléatoire et risqué. À sept mois du début de la coupe du monde, la réponse est donc claire : Piqué est irremplaçable sous le maillot espagnol. Que cela plaise ou non.
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