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Incapable de se réinventer, José Mourinho s'est trahi lui-même

Thibaud Leplat

Publié 18/12/2015 à 01:18 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Depuis des semaines qu’on guettait la nouvelle et l’agonie insupportable d’une équipe qui ne ressemblait plus à rien, on avait presque perdu le goût du Special One. Pour la deuxième fois de sa carrière, José a été limogé par Chelsea. Mais cette fois-ci, quelque chose a changé : on s’y attendait, parce que sa méthode a fait long feu.

José Mourinho sur le banc de Chelsea

Crédit: Eurosport

Pour la première fois depuis l’an 2000, et son arrivée à Benfica, José Mourinho avait l’air épuisé. Lors de sa dernière conférence de presse, mardi 15 décembre, il pointait même dans ses propos une quantité non négligeable de lassitude. Dépassé par l’indolence coupable de ses joueurs, par l’insistance et les sarcasmes d’une presse trop gourmande, il livra donc lui-même le diagnostic du mal dont il souffrait.
"J’ai travaillé ce match pendant quatre jours" - à la fois en vidéo et en préparation tactique (les séances sont conçues en fonction de son analyse du rival et des mouvements qui seront utilisés pour le contrer) - "mes joueurs ont eu toutes les informations et s’y sont entraînés durant les trois derniers jours. J’ai identifié quatre mouvements avec lesquels ils (Leicester) marquaient quasiment tous leurs buts. Ils sont assez bons, ils ont bien écouté, enfin je crois, pourtant toutes les erreurs sont là." Mais alors pourquoi n’avaient-ils rien fait ?

La meilleure défense

Paco Seirul-lo, immense préparateur physique du Barça de Pep Guardiola, dit souvent que c’est à sa manière de défendre qu’on mesure l’état de forme d’une équipe. C’est au moment où il faut réaliser l’effort supplémentaire pour immédiatement se jeter dans le pressing, ordonner son collectif afin de freiner la progression rapide du rival, qu’on distingue quel est celui des onze qui n’y croit plus, qui va bientôt être englouti.
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José Mourinho lors de la défaite de Chelsea à Leicester (2-1), lundi 14 décembre 2015

Crédit: AFP

Dans le football réactif de Mourinho fait de transitions rapides attaque-défense ou défense-attaque, la mobilisation cognitive de ses joueurs lors des changements de phase de jeu est essentielle car c’est elle qui donnera le degré de conviction nécessaire à la réalisation entière de l’objectif commun : la récupération du ballon. Si l’attaquant ne se relève pas suffisamment vite, si le milieu de terrain n’exerce pas immédiatement la compensation nécessaire, la défense peut bien s’étirer, elle ne défendra plus grand chose. C’est cet art de la bonne décision qui est spécifiquement insufflé par José Mourinho et qui avait fait jusque là l’originalité de sa méthode.
Or c’est bien dans ce domaine que le "travail" de José a été "trahi" mardi soir. Sur le premier but de Vardy, Oscar saute n’importe comment sur un ballon en cloche, Azpilicueta "presse" (à 1.50m) son rival pour l’empêcher de centrer tandis que Zouma et John Terry font bien mine de n’avoir rien pu faire au point de penalty. Aussi, le deuxième but de Leicester n’aurait pas eu lieu si Courtois avait patienté un dixième de seconde et pris le ballon à la main plutôt que tenter une intervention de la tête qui mêlait la panique à l’improvisation dans une situation - trois défenseurs contre un seul attaquant - qui était loin d’être inédite dans son existence de gardien de but expérimenté.
Il ne s’agit pas ici de faire le procès des intentions invisibles et sans doute honorables des différents acteurs mais de comprendre que si Mourinho a été "trahi" - ce sont bien ses mots - c’est que son sort a été scellé par une succession de non-décisions spectaculaires. Si José a été trahi, c’est par la trajectoire la plus illisible qui soit : la sienne.
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Riyad Mahrez (Leicester) vient d'enrhumer Cesar Azpilicueta (Chelsea) et inscrit le 2e but de Leicester d'une superbe frappe enroulée

Crédit: AFP

Ce que l’on doit au Special One

Il nous était apparu un jour de juin 2004 sur le toit de l’Europe en s’auto-proclamant Special, prenant le risque d’être jugé pour toujours à la lumière de cette déclaration imprudente. Sa méthodologie, mêlant d’un côté les acquis récents des sciences cognitives - les sciences de la motricité humaine - avec une intelligence tactique et un sens de l’observation aguerri par des années de supervisions pour le compte des autres, avait fait d’un professeur d’EPS de banlieue lisboète, le modèle de l’entraîneur du siècle nouveau.
José nous était donné à une époque où les entraîneurs portaient encore des lunettes et des survêtements, se cachaient derrière les micros et n’osaient jamais enjamber la moindre ligne de touche. Souvenez-vous, à l’époque personne n’écoutait leur conférence de presse. Mourinho a transformé, à force d’éclats et d’intelligence, cet austère métier de préparateur en lui offrant l’épaisseur dramatique de celui d’explorateur du monde moderne. On lui pardonna ainsi facilement, et d’un sourire complice même, l’affrontement généralisé qu’il érigea dans le même temps en méthode de management. Il avait trouvé la pierre philosophale, il méritait toute notre admiration.
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José Mourinho sur la pelouse du Camp Nou après la qualification de l'Inter Milan contre le Barça en Ligue des champions

Crédit: Imago

Les anciens et les modernes

Jusqu’au jour où le monde découvrit une autre manière de faire. Avec le Barça de Pep, son Bayern, l’équipe de Luis Enrique, la Juve d’Allegri, le Paris-Saint-Germain de Blanc ou le Real Madrid d’Ancelotti, les années 2010 ont prouvé qu’on pouvait tout à la fois plaire, être poli, moderne et gagner à tous les coups. Si le football a changé depuis 2004, c’est qu’il a traversé une révolution tactique brutale. Il n’est plus aujourd’hui question de prôner les bienfaits d’une mystérieuse méthodologie quand elle est désormais le lot commun de toutes les grandes équipes.
En outre, on ne peut plus non plus proposer un football réactif comme seule idée de jeu quand l’époque réclame en même temps le bon goût et la possession de balle comme méthode de gouvernement. L’apparition de Pep Guardiola fut un cataclysme pour José Mourinho, qui ne prit pas uniquement la forme et le bruit d’une gifle historique (le 5-0 en novembre 2011) infligée à son Real Madrid mais la noirceur d’une tâche de plus en plus visible venant obscurcir mois après mois sa réputation de coach le plus moderne du monde.
La sensation qui demeure au jour de son second limogeage de Chelsea est donc celle d’un deuil douloureux à faire, mais largement prévisible. Nous l’avions cru mais nous nous étions trompés. José n’était pas le premier des modernes. Il était le dernier des anciens.
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