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Premier League - Manchester United : Paul Pogba, une Ferrari sans permis

Bruno Constant

Mis à jour 15/04/2017 à 10:52 GMT+2

PREMIER LEAGUE - Dans sa quête désespérée d’une place dans le Top 4 comme de Ligue Europa, Manchester United a besoin d’un grand Paul Pogba. Problème : on l’attend toujours.

Paul Pogba avec Manchester United - 2017

Crédit: Panoramic

"Encore du Pogba ? Mais c’est de l’acharnement !" Je vous entends déjà et, pour être tout à fait honnête, cette chronique a été pensée bien avant, dans un train reliant Marseille à Nice, sur les rails d’un huitième de finale retour entre Monaco et Manchester City lorsque le passager situé à côté de moi, un supporter des Citizens, me demandant si j’étais journaliste - j’étais en train d’écrire une autre chronique -, a engagé la conversation en parlant du match de Cup entre Chelsea et MU (1-0), quelques jours plus tôt. La discussion glissa rapidement sur Paul Pogba. L’homme avait la soixantaine passée et pas vraiment de haine envers United. Il se demandait, comme beaucoup d’autres, pourquoi on n’en faisait autant sur un joueur qui montrait si peu finalement.
Ce soir-là à Stamford Bridge, Pogba devait être le fer de lance de son équipe en l’absence d’Ibrahimovic, Martial et Rooney, mais le Français avait encore déçu. Pis, il avait souffert de la comparaison avec N’Golo Kanté, buteur et héros de la qualification des Blues. Henry Winter, confrère du Times, avait eu cette expression à propos du Français de Chelsea : "le milieu de terrain qui roule en Mini mais avec un moteur de Rolls-Royce." Sous son air timide, Kanté est un dragster. Tout le contraire de Pogba. Ce dernier a tous les atouts d’une Ferrari, racée, puissante, rapide, magnifique… mais confiée à un jeune conducteur sans permis. Un gamin qui ferait rugir le moteur pour épater la galerie et les filles mais qui serait incapable de passer les vitesses et calerait lorsque le feu passe au vert.

Trois Kanté pour le prix d'un seul Pogba

A Chelsea, Pogba avait été discret, courant un peu partout et nulle part à la fois. Et surtout avec un temps de retard pour monter sur Kanté dont la frappe victorieuse avait trompé De Gea. Ce n’était pas la première fois que Pogba traversait un rendez-vous important comme un fantôme. Et les mots qui décrivent ses performances traduisent ses absences : "discret", "sans influence", "décevant", "moyen" voire "invisible". Les mots n’ont pas tous la même résonance. On peut être "discret" ou "sans influence" sans être mauvais pour autant, tandis que la déception découle davantage d’une attente en rapport à une promesse, des souvenirs, un potentiel évident ou encore un prix (105 M€) qui ne dit pas tout de la valeur d’un joueur. En revanche, il est responsable des promesses qu’il a laissé entrevoir sous le maillot de la Juventus. Celles d’un joueur qui a tout pour devenir un grand à son poste et peut-être même l’un des meilleurs. Mais, aujourd'hui, les meilleurs milieux de terrain se nomment Modric, Vidal, Iniesta et… Kanté.
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Kanté vs Pogba

Crédit: AFP

Et Pogba ? Il est encore loin et surtout ne le montre pas. Le constat, considéré parfois comme de l’acharnement en France, fait l’unanimité de l’autre côté de la Manche, chez les supporters mancuniens comme les observateurs. Henry Winter, plume respectée du Times, après Rostov (1-1) : "Pogba une nouvelle fois décevant". Stuart Mathieson, reporter du Manchester Evening News, après Chelsea (0-1) : "Pogba a été surpassé toute la soirée par Kanté". Mark Ogden, ancien chef du foot à The Independent et désormais chroniqueur pour ESPN : "Ils disent que vous en avez pour votre argent mais cette vieille maxime ne tient pas vraiment quand vous découvrez que vous pouvez avoir trois Kanté pour le prix d’un seul Pogba."
Aujourd'hui, même ses plus fervents défenseurs commencent à être à court d’excuses. Son adaptation dans un championnat qu’il connaissait déjà ? Un peu dépassé dans le neuvième mois de sa saison anglaise. Sa jeunesse ? Il a 24 ans et 44 sélections… Il a fait quatre saisons à la Juve et a remporté autant de Scudettos. Il a disputé une finale de Ligue des Champions, une Coupe du monde et une finale d’Euro. La fatigue post-Euro ? Ça date un peu, même si la première partie de saison difficile de Griezmann à l’Atletico n’est pas anodine. La forme irrégulière de son équipe ? Elle n’empêche pas Ibrahimovic de réussir son pari anglais. Sa position sur le terrain ? Non plus.

Le 190e joueur de Premier League au nombre d'interceptions

Personne ne dit que Pogba est un mauvais joueur, simplement que ses performances ne sont pas à la hauteur de son talent, qu’il se contente souvent de peu et en fait parfois trop. On ne lui demande pas de jouer simple mais de jouer plus simple parfois. Il y a quelques semaines, je suis tombé sur un article d’un média français dans lequel l’auteur mettait en lumière "les statistiques qui font taire les critiques". Il y était question du pourcentage de passes réussies, du nombre de tirs par match et d’occasions créées sans qu’on sache réellement sur quel type d’action était basé ce chiffre. Je me suis donc penché sur les statistiques de Pogba, en détail.
On peut faire mentir les chiffres mais, croyez moi, ceux-là ne mentent pas. Il est le milieu de terrain qui rate le plus de contrôles (54), très loin devant le deuxième (George Boyd de Burnley, 40), et le 5e à s’être vu déposséder le plus du ballon (38). En revanche, il est celui qui remporte le plus de duels aériens (79). Il en a gagné 264 dans le jeu contre 204 perdus. Ce n’est pas ce qu’on attendrait d’un joueur de sa puissance physique et athlétique. Au niveau interceptions, il n’est que le… 190e joueur de Premier League avec 1,1 par match et le 56e chez les milieux de terrain. C’est moins bien que Herrera, Schneiderlin, Cabaye, Gueye, Kanté, Coquelin, Capoue, Henderson, Xhaka, Matic, Barton, Defour, Drinkwater, Barry, Wanyama, Fabregas, Dembélé...
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Paul Pogba - Manchester United 2017.

Crédit: Eurosport

Offensivement, ce n’est pas beaucoup mieux. Prenons son bilan en Premier League : 4 buts et 3 passes décisives en 27 matches. C’est peu, trop peu. Parmi les milieux de terrain axiaux, c’est moins bien que Lallana, Alli, Mata, Allen, Fer, Capoue, Wijnaldum, McArthur, Fabregas… Et on ne parle même pas de son prix ou des attentes qu’il pouvait légitimement susciter. Il est pourtant parmi ceux qui tirent le plus par match (3,3) : le cinquième, tous postes confondus. Seuls Agüero, Ibrahimovic, Alexis et Eriksen, trois attaquants et un milieu offensif frappent davantage que lui. Le problème c’est que Pogba ne figure pas parmi les meilleurs buteurs de PL et affiche un faible taux de réussite (34% seulement de tirs cadré).

Aucun but ni passe décisive en championnat depuis le... 31 décembre

Jeudi soir, après le nul concédé par Manchester United sur le terrain d’Anderlecht (1-1) où son équipe a largement dominé son adversaire, José Mourinho s’en est pris à ses attaquants, citant "Rashford, Lingard, Ibrahimovic et Martial" pour leur inefficacité. Vendredi matin, la presse britannique, elle, ciblait un autre homme : Paul Pogba, coupable d’avoir manqué une énorme occasion face au gardien belge à 1-0, la balle de break qui aurait définitivement envoyé les Red Devils en demi-finale de Ligue Europa. L'occasion ratée du Français illustrait la back page du Times et du Daily Express tandis que Martin Samuel, dans The Daily Mail, insistait sur le fait que "Pogba aurait dû marquer". Cela pourrait ressembler à de l’acharnement si la situation - Pogba ratant une occasion en or - ne s’était pas répétée à plusieurs reprises cette saison.
Sur Twitter, on me répond souvent : "ce n’est pas son rôle". Ah bon ? Ce n’est donc pas le rôle d’un milieu de terrain offensif ou box-to-box de marquer ? Aurait-on dit la même chose de Gerrard ou Lampard ? Ces joueurs-là finissaient à plus de vingt buts par saison. Ce qu’on reproche à Pogba, c’est ne pas être assez décisif, ne pas peser davantage sur le jeu et les résultats de son équipe. Les chiffres le prouvent. En dehors des coupes nationales, le Français n’a plus marqué ni donné une passe décisive depuis le… 31 décembre ! Et son manque de réussite - il a touché les montants à huit reprises - n’explique pas tout.
Même José Mourinho a fini par s’agacer de la place trop importante prise par sa communication et ses sponsors au détriment de ses performances sur le terrain. Mercredi, Pogba a effectué l’une de ses très rares apparitions devant les médias, en conférence de presse. Dans les grands clubs anglais, l’identité du joueur est déterminée par le manager lui-même. Stratégique. C’est le cas à Arsenal. C’était le cas à Chelsea du temps de Mourinho et il n’y a pas de raison que cela change depuis que le Portugais a rejoint MU. Pogba a donc été appelé à répondre lui-même aux critiques. Il aurait pu faire profil bas, dire avec humilité qu’il n’offrait pas assez. Mais on l’a surtout entendu défendre son bilan. "Je donne des passes décisives à certains mais ils ne marquent pas. Personne n’en parle mais ce n’est pas grave." C’était maladroit et un peu égoïste, genre "ce n’est pas ma faute si les autres ne marquent pas". C’est un peu comme déclarer, un jour de janvier 2016, que "le plus gros objectif de tout footballeur est de gagner le Ballon d’Or". Non, Paul, ce dont rêvent les footballeurs c’est de gagner la Coupe du monde. Un titre collectif validé sur le terrain, pas une distinction individuelle soumise à des votes parfois contestables.
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Pogba : "Je veux oublier le prix de mon transfert"

Cependant, Pogba a raison sur un point. Les attentes autour de lui sont très grandes, trop grandes peut-être. C’est notre faute, à nous les médias, mais c’est aussi celle de son agent, Mino Raïola, qui a fait de lui le joueur le plus cher de l’histoire (105 millions d'euros) et le mieux payé en Premier League (290 000 livres par semaine). Après tout, Pogba n’est peut-être qu’un bon joueur capable de coups d’éclats, comme Ben Arfa, et porté par une machine marketing diabolique qui se préoccuperait davantage de la valeur de son image que de ses performances. La preuve aujourd’hui, c’est que, sportivement, Pogba ne manque pas à la Juve, bien meilleure sans lui, plus disciplinée et plus homogène.
Personnellement, je ne pense pas que Pogba soit simplement un bon joueur. Ses qualités sont indéniables et immenses : son aisance technique, la puissance qu’il dégage balle au pied, sa vitesse. Il y a chez lui un mélange de Zidane et Vieira, deux joueurs hors norme chacun dans leur registre. Pogba a tout pour les rejoindre. Mais il est temps qu’il le montre cette saison. Il en a l’occasion dès dimanche face au Chelsea de Kanté. Car, dans sa quête d’une place dans le Top 4 et de l’Europa League, son club de Manchester United a besoin de lui.
Bruno Constant fut le correspondant de L'Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd'hui avec RTL, Europe 1 et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté.
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