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L’Angleterre, pauvre petite nation

Bruno Constant

Mis à jour 29/03/2017 à 09:21 GMT+2

Avec un seul titre en 50 ans et malgré un championnat très compétitif, la sélection des "Trois Lions" enchaîne les échecs dans les grands tournois. Autopsie d’un problème profond, en voie de guérison grâce à Gareth Southgate ?

Gareth Southgate

Crédit: Panoramic

Lorsque le Prince Henry épousa Aliénor d’Aquitaine, il endossa également le lion du blason d’Aquitaine et l’ajouta aux deux autres figurant sur l’armoirie de sa propre famille, Ducs de Normandie. L’alliance donna à Henry le pouvoir de prétendre au trône en tant que premier membre de la famille de Plantagenêt. Mais c’est lors du départ de son fils, Richard Cœur de Lion, lors des Croisades, avec une bannière portant trois lions que l’identité de l’Angleterre fut scellée. Cet emblème figure sur le maillot de l’équipe nationale de football depuis son tout premier match officiel, contre l’Ecosse en 1872.
Néanmoins, il y a bien longtemps que ces "Trois Lions" n’ont pas rugi. En bientôt cinquante-et-un ans, soit depuis son seul titre - la Coupe du monde 1966, remportée sur son sol -, la sélection n’a rien gagné et n’a jamais fait mieux que demi-finaliste à l’Euro (en 1968 et en 1996, tournoi qu’elle organisa, là aussi). Pis, depuis dix ans, elle enchaîne les désillusions qui attisent autant de critiques qu’elles ne suscitent d’espoirs avant chaque début de compétition.
Pas qualifiée pour l’Euro 2008, elle est éliminée dès les huitièmes au Mondial 2010, en quarts à l’Euro 2012, dès les poules au Brésil en 2014 et reste sur une humiliation sans précédent face à l’Islande à l’Euro 2016. Des échecs répétés qui ont fait de l’Angleterre une nation de seconde zone, loin derrière l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie et la France. Le Portugal (2016), la Grèce (2014), le Danemark (1992), les Pays-Bas (1988), l’ancienne Tchécoslovaquie (1976) et l’ex-Union Soviétique (1960) ont même fait mieux qu’elle.
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Ragnar Sigurdsson célèbre son but lors d'Angleterre-Islande.

Crédit: Panoramic

Passée tout près en 1990 et 1996

Il faut reconnaître également que la chance et le tirage n’ont pas toujours été de son côté. En 1990, l'Angleterre quitte la scène mondiale sur une défaite cruelle face aux Allemands. A Turin, les hommes de Robson plient aux tirs au but (1-1, 4-3). Six ans plus tard, bis repetita mais à la maison. A Wembley, elle s'incline aussi aux portes de la finale, aux tirs au but encore, face à... devinez qui ? L'Allemagne, qui sera sacrée quelques jours plus tard. En 2010, Lampard voit son égalisation face aux Allemands - encore eux ! -, à 2-2, juste avant la pause, refusé alors que sa frappe avait franchi la ligne d’un bon mètre après avoir heurté la transversale. Personne ne sait ce qui se serait passé au retour des vestiaires… En 2012, elle termine en tête de son groupe, devant l’équipe de... France, avant de chuter aux tirs au but face à l’Italie, future finaliste. Et, en 2014, elle est victime, comme l’Italie, du Costa Rica dans un groupe qui sentait la "mort" (avec l’Uruguay).
Cela n’explique pas pour autant le comportement de l’Angleterre, souvent excellente lors des qualifications - invaincue avant l’Euro 2016 et actuellement en tête de son groupe lors des qualifications pour le Mondial 2018 - et des matches amicaux qui l’ont vu battre, avec la manière, l’Allemagne (3-2) chez elle en novembre 2016, la France à Wembley (2-0) en novembre 2015 (certes dans des conditions délicates, après les attentats à Paris) ou le Portugal (1-0) juste avant le dernier Euro. Mais alors pourquoi l’Angleterre ne gagne rien ? Pourquoi n’arrive-t-elle pas à se hisser au niveau des nations des autres "grands" championnats (Allemagne, Espagne, France, Italie) ? A qui la faute ? L’absence de grands entraîneurs anglais ? Le manque de talent chez les joueurs ? J’entends déjà certains : "parce que sa Premier League est surcotée". Les raisons sont multiples et son championnat, effectivement, ne peut être épargné.
L’absence de coupure hivernale, qui pèse également sur les clubs en coupe d’Europe, est déjà un argument de poids dans une saison à rallonge qui s’étire jusqu’au mois de juillet. Lors du dernier Euro, de nombreux joueurs anglais étaient cuits, notamment ceux qui ont lutté jusqu’au bout pour le titre, comme Harry Kane et Eric Dier de Tottenham ou Jamie Vardy de Leicester. Le premier a ainsi disputé 65 matches en 2015-2016, de l’Euro Espoirs en juin 2015 à l’Euro 2016 en juillet 2016, sans la moindre trêve ! Imaginez les dégâts…
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Jamie Vardy

Crédit: AFP

De la rivalité MU - Liverpool à l'intérêt personnel des joueurs

Devant l’écrasante puissance de la Premier League, les clubs passent avant l’équipe nationale. Et ce n’est pas uniquement à cause de certains managers - Alex Ferguson en particulier - qui ont longtemps encouragé leurs joueurs à bouder la sélection. Certains joueurs se sont longtemps servis de l’équipe nationale à des fins personnelles et lucratives pour négocier de meilleurs contrats en club. Paul Scholes et Michael Carrick ont rendu leur tablier international très tôt, à l’âge de… 29 ans pour le premier, 31 pour le second, dégoûtés. "Scholesy" expliqua plus tard qu’il en avait marre d’arriver dans une équipe où "les individualités courent après la gloire". "Le plus gros problème des joueurs anglais ? Ils sont pour la plupart trop égoïstes", avait-il conclu avec la franchise qu’on lui connaît. Les rivalités n’ont pas non plus aidé la cause. Récemment, Gary Neville raconta comment, sous Ferguson, lui et les Mancuniens ont appris à haïr leurs rivaux de Liverpool, rendant presque impossible la cohésion au sein de la sélection. Un problème qu’on a également connu en équipe de France dans les années 90 entre Marseillais et Parisiens…
Mais d’autres facteurs ont leur importance. Pouvez-vous me citer un grand entraineur anglais actuel ? Allez-y, réfléchissez… Ok, sur les dix dernières années alors ? Non ? Toujours pas ? C’est un problème. Sur les sept premières équipes de Premier League, il n’y a aucun entraîneur anglais ! Ils sont italien, argentin, allemand, espagnol, portugais, français ou néerlandais. Le premier Anglais arrive en… onzième position : Eddie Howe, avec Bournemouth, et il n’a que 39 ans ! Les entraineurs historiques du football anglais ne sont pas… anglais mais écossais pour la plupart : Bill Shankly (Liverpool), Matt Busby (Manchester United) ou encore Alex Ferguson. Chez les Anglais ? Brian Clough, Bobby Robson… Après, c’est plus compliqué. Cela explique que les dirigeants de la Fédération anglais aient un peu pataugé à la tête de la sélection des Trois Lions (Eriksen, McClaren, Capello, Hodgson) jusqu’à l’épisode Allardyce.
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Nottingham Forest manager Brian Clough (left) and his assistant Peter Taylor (right) celebrate winning the European Cup

Crédit: Eurosport

Néanmoins, le nom du sélectionneur ne fait pas une équipe pour autant. Qui connaissait Joachim Löw ou Fernando Santos avant leur succès à la tête de l’Allemagne et du Portugal ? Avec Gareth Southgate, l’Angleterre possède, aujourd’hui, un technicien méconnu, discret, sensible mais suffisamment dur et intelligent à la fois pour prendre des décisions fortes comme signifier, sans doute, la retraite internationale de Rooney, non retenu lors des deux derniers matches, résister à la pression médiatique d’aligner Barkley ou changer de système avec une défense à trois qui a séduit en Allemagne. On dit souvent que les sélectionneurs se forgent dans la douleur, comme Aimé Jacquet, présent sur le banc du Parc des Princes en 1993, origine du sacre de 1998. Southgate fut, lui, l’auteur du tir au but raté en demi-finale de l’Euro 1996 perdue par l’Angleterre à Wembley…

L'échec de la Golden Generation

Et si le problème majeur de l’Angleterre, comme j’ai pu le lire ou l’entendre, était le manque de talent chez ses joueurs ? Entre 2001 et 2010, l’équipe nationale s’appuyait sur la Golden Generation, et notamment lors de la Coupe du monde 2002 (Seaman, Ferdinand, Campbell, Cole, Beckham, Gerrard, Scholes, Owen…). Mais la sélection a parfois été l’otage des stars, comme le pied de Beckham en 2002 ou la volonté d’aligner Gerrard, Scholes, Beckham et Lampard dans le même onze en 2004 puis en 2006 sans Scholes. Sans oublier l’épisode Terry-Ferdinand… Aujourd’hui, le constat est bien différent. C’est le manque d’expérience qui est pointé. Séduisante en Allemagne (0-1) et solide contre la Lituanie (2-0) – oui ce n’était que la Lituanie mais regardez les Français face au Luxembourg (3-1) -, l’Angleterre comptait quinze joueurs à moins de quinze sélections, aucun à plus de cinq buts en dehors de Defoe, dont le retour à plus de 34 ans a surpris. Un seul joueur est encore engagé en Ligue des Champions (Vardy), cinq seulement ont remporté le titre en Angleterre, et seulement deux lors des quatre dernières saisons (Cahill et Vardy).
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David Beckham

Crédit: Eurosport

Lorsqu’on évoque le fiasco à l’Euro 2016, on a parfois tendance à oublier que l’Angleterre comptait le groupe le plus jeune du tournoi (25 ans et 10 mois). Quatre ans avant le début de leur longue suprématie mondiale (2008, 2010, 2012), l’Espagne avait emmené un groupe d’une moyenne d’âge de 25 ans à l’Euro 2004. Deux ans après leur sacre brésilien, la moyenne d’âge de l’Allemagne à l’Euro 2016 était en dessous de cette barre. Je ne dis pas que l’Angleterre règnera demain sur l’Europe voire le monde mais elle possède un réservoir impressionnant. Il n’y a qu’à voir sur les côtés de la défense avec Walker, Rose, Clyne et Bertrand. En attaque avec Alli, Kane, Sterling, Rashford. Certains ont déjà et vont continuer à progresser au contact de techniciens comme Klopp (Lallana), Pochettino (Kane, Alli, Walker, Roser, Dier) ou Guardiola (Sterling, Stones). Le profil de ces joueurs a radicalement changé par rapport à leurs aînés. Moins "anglais", serait-on tenté de dire, plus joueurs, plus à l’aise dans la possession mais tout aussi rapide. Une équipe sans star dont l’arme devra être le "jouer ensemble".
A condition de les laisser grandir en sélection en prenant pourquoi pas exemple sur l’Allemagne. A la sortie de l’Euro 1996 et plus encore après l’échec du Mondial 98, Berti Vögts, son sélectionneur, mena une réflexion sur le renouvellement d’une équipe vieillissante et sans réservoir. Il encouragea la Fédération allemande à construire 52 centres d’excellences, cofinancés avec les clubs professionnels à hauteur de 48 M€ par an, et 366 camps de base régionaux où 1300 coaches forment des jeunes de 10 à 12 ans. Douze ans après la mise en place de ce programme, l’Allemagne de Löw triompha au Brésil. Parmi eux, un certain Tony Kroos, originaire d’un petit village en Mecklembourg-Poméranie, au nord est de l’Allemagne, et qui n’aurait sans doute pas été repéré sans la création de ces pépinières régionales.

S'expatrier pour jouer plus ?

La formation n’est pas un problème en soi en Angleterre. Sous l’impulsion de Howard Wilkinson, son premier directeur technique, et son plan de développement des académies - la Charter of Quality -, l’Angleterre s’est dotée d’un vrai centre d’entraînement et a vu sa jeunesse fleurir. Les bonnes performances de ses équipes de jeunes et le succès de Chelsea, vainqueur des deux dernières Youth League, en attestent. C’est à la sortie que ça se gâte. En jetant un œil à la finale de l’Euro Espoirs 2009 qui opposa l’Allemagne à l’Angleterre (4-0), il est assez étonnant de noter le parcours radicalement opposé des joueurs qui ont débuté la rencontre dans chaque camp. Côté allemand, Neuer, Hummels, Boateng, Höwedes, Castro, Khedira, Özil évoluent tous dans des clubs majeurs comme au sein de la Mannschaft.
Côté anglais, en revanche, que sont-ils devenus ? Aucun ne figurait dans le groupe de Southgate. Loach, son gardien, évolue en D5 anglaise (York City). Noble, son capitaine, porte les couleurs de West Ham. Richards et Onuoha se sont perdus à Manchester City, Cattermole est toujours à Sunderland, Muamba évoluait à Bolton avant de devoir mettre un terme à sa carrière, Gibbs est la doublure de Monreal à Arsenal. Seuls Milner (Liverpool) et Walcott (Arsenal) évoluent au haut niveau. Et c’est bien là le problème, les jeunes peinent à trouver du temps de jeu et à s’installer dans les clubs du Top 6. La semaine dernière, Southgate a encouragé certains à s’expatrier à l’étranger pour jouer, se confronter à un autre football et enrichir leur expérience. "Nous avons tendance à croire que nous sommes au centre du monde", lança le sélectionneur.
Echaudé par l’Euro 2016, la Fédération anglaise se veut désormais patiente. L’objectif est le Mondial 2022 au Qatar, et secrètement l’Euro 2020 qui verra Wembley accueillir les demi-finales et la finale, avec une génération actuelle - 20-26 ans aujourd’hui - qui aura la maturité nécessaire pour redorer le blason d’une nation en perdition. Afin que les "Trois Lions" rugissent à nouveau.
Bruno Constant fut le correspondant de L'Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd'hui avec RTL, Europe 1 et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté.
Pour approfondir le sujet, retrouvez mon Podcast 100% foot anglais sur l'actualité de la Premier League et du football britannique.
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