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Que reste-t-il de Diego Maradona ?

Thomas Goubin

Mis à jour 11/10/2018 à 08:49 GMT+2

Intronisé entraîneur d'un club de D2 mexicaine (Dorados Sinaloa) début septembre, Diego Maradona est de retour dans un pays qui en avait fait un demi-Dieu. A 57 ans, l'idole argentine pourrait-elle s'y refaire une santé ?

Diego Maradona

Crédit: Getty Images

On l'avait quitté sur un malaise dans les tribunes du stade du FC Krasnodar. Alors que l'Argentine jouait sa peau face au Nigéria, on avait craint pour sa vie. Un malaise comme métaphore de la relation sacrificielle de Diego Maradona avec sa sélection. Celle pour qui il donnerait tout, jusqu'à tout perdre, après son contrôle positif du Mondial 1994. Homme aux mille vies, Maradona a passé un été à son image : dans la démesure.
On l'a ainsi vu réapparaître en Biélorussie, juché dans un immense véhicule blindé. Il était le nouveau président du Dinamo Brest. Puis, changement de latitude : un atterrissage au Mexique, dans un club de D2, Dorados Sinaloa, là même où Pep Guardiola avait terminé sa carrière de joueur.
Le 8 septembre, quand il a été présenté à Culiacán, capitale de l'Etat de Sinaloa et fief historique du narcotrafic mexicain, une centaine de journalistes avaient fait le déplacement. Dans un long préambule à l'allure de mise au point, Maradona assurait avoir laissé derrière lui sa "maladie" - manière pudique de se référer à son addiction à la cocaïne - depuis quinze ans. Il affirmait aussi qu'il s'occuperait de Dorados comme s'il avait "un nouveau-né" dans ses bras. Quelques semaines après avoir offert au monde le spectacle de sa décadence, l'homme semblait convaincu de pouvoir renaître de ses cendres, comme il l'a si souvent fait au cours de sa fascinante existence. Après tout, n'était-il pas revenu encore plus fort après s'être fait charcuter la cheville par Andoni Goikotxea, en 1983 ?
Après l'errance consécutive à sa première suspension pour dopage, n'avait-il pas réalisé un improbable come-back en brillant lors du Mondial 94 ... avant d'en être exclu ? Tombé dans le coma en 2005, ne s'était-il reconverti un an plus tard en animateur télé à succès ("la noche del Diez"), avant de devenir sélectionneur de l'Argentine (2009) sans n'avoir jamais entraîné auparavant ? Mais à 57 ans, Diego Maradona peine désormais à marcher. Ses genoux, dont il a été opéré en juin dernier, lui font vivre un supplice quotidien. Son verbe est aussi laborieux. L'homme qui hypnotisait le monde balle aux pieds a-t-il encore quelque chose à donner au football ?
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Diego Maradona

Crédit: Getty Images

Le Mexique comme second pays

Au Mexique, El Diez retrouve la terre où il s'est élevé au-dessus de ses semblables. La tragédie maradonienne a sans doute débuté là, à l'estadio Azteca, quand il avait soulevé la Coupe du Monde quelques jours après avoir slalomé entre une bande d'anglais. A partir du Mondial 86, l'Argentine passerait tout à Maradona, l'homme qui ne les avaient pas seulement rendus heureux, mais qui avait restauré leur fierté dans un après-dictature et un après-guerre des Malouines délicat pour l'orgueil national. Dans un remarquable texte, l'écrivain argentin Eduardo Sacheri résumait un certain sentiment national : "Quand l'on juge l'éthique de ses semblables, il ne devrait pas y avoir d'exception … et je vous demande d'autant plus pardon (d'en faire une) que le type dont je parle n'est pas un bienfaiteur de l'humanité, ni un saint, ou un courageux guerrier (…) Mais même si je suis de ceux que rebute le mélange entre nation et sport, dans ce cas de figure j'accepte les risques et les possibles sanctions … Ne venez pas me rappeler que l'on doit juger chacun de la même façon, parce que je lui dois ces deux buts face à l'Angleterre. Et mon unique manière de le remercier est de le laisser en paix avec ses problèmes".
Homme à qui l'on a dédié plusieurs chansons de son vivant - avec la Mano de Dios comme hymne suprême-, simple mortel qu'une Eglise célèbre (cf l'église maradonienne), Maradona devint donc cette idole intouchable, dont on célèbre même les outrances, un homme sans contradicteurs. Surtout, sans modérateur de sa nature excessive. "Le problème c'est qu'en Argentine on a laissé faire à Maradona ce qu'il voulait, estimait l'ex-international argentin, Julio Zamora, à ESPN Mexique, au moment de l'arrivé de Maradona à Culiacán, et comme il est Maradona je crois qu'il est difficile qu'il ait cette capacité d'écoute, même avec ses adjoints."
Plus de trente ans après ses prestations iconiques à l'Azteca, l'environnement - medias, supporters, entourage - ramène toujours Diego Maradona à son statut d'idole, de demi-Dieu. Diminué physiquement, El Diez peine désormais ne serait-ce qu'à appuyer une frappe du gauche, mais il électrise toujours les foules. Environ cinq mille Mexicains ont ainsi ainsi assisté à son premier entraînement dans une ville à la culture base-ball ancrée où les Dorados n'ont jamais attiré les foules. Maradona a regardé en face la tribune, lui a souri franchement, elle lui a répondu en chantant à sa gloire : "olé, olé, olé, Diego, Diego". Ce magnétisme intact rappelait que la fascination qu'exerce Maradona ne peut se réduire à ses prestations de génie, que cette ferveur qu'il transmet comme peu en est un ressort essentiel. El Diez incarne une manière de vivre le football. Excessive et passionnelle. Joueur d'élite et supporter de base à la fois. Amoureux du ballon et du folklore des tribunes.
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Maradona - Argentina-Nigeria - 2018

Crédit: Getty Images

Si mon cœur explose, que ce soit sur un terrain de football
Même quand il régnait sur le monde., Maradona s'est toujours senti en dissidence. Aujourd'hui encore, El Diez continue d'alimenter son feu intérieur de critiques réelles ou fantasmées. Dès sa première conférence de presse d'après-match, au terme d'une large victoire des Dorados (4-1), le 17 septembre, il s'en est ainsi pris à ceux qui mettaient en doute ses compétences d'entraîneur. "Ce sont des idiots qui profitent de leur espace à la télévision, avait-il taclé, mais je vous assure que je connais nos adversaires, que je regarde le plus de matches possibles, la semaine dernière j'ai même regardé du foot israélien".
Quand sa signature avec le club de Culiacán avait été officialisée, l'admirateur de Che Guevara avait aussi tenu à féliciter Andres Manuel Lopez Obrador, le premier président de gauche élu au Mexique depuis des décennies, en juillet dernier. "L'Amérique latine doit être unie contre l'Impérialisme" avait-il revendiqué sur son compte Facebook. L'homme qui avait eu le courage de s'opposer à la FIFA du temps de sa splendeur continue de maîtriser l'art du contre-pied, même si certains de ses engagements peuvent prêter à discussion.
Au Mexique, la signature de Maradona a été escortée de railleries et de scepticisme, même si une minorité veut croire en son succès. Pour ses défenseurs, la présence dans le vestiaire qu'El Diez ne peut que motiver, voire transcender, des joueurs aux CV plus que modestes. Le vestiaire, le royaume de Diego. "Maradona sait te faire sentir important, confirme Julio Zamora. Quand on était coéquipier je me rappelle qu'un jour un supporter m'a demandé de le prendre en photo avec lui, et Diego lui a dit que j'étais un joueur comme lui, pas un photographe … J'ai aussi reçu un coup de fil de sa part au terme des éliminatoires pour le Mondial 1994, où j'avais été victime de son retour, pour me dire qu'un chèque m'attendait, que la moitié de sa prime de qualification me revenait".
Leader quand il avait le numéro 10 dans le dos, l'ex-Napolitain peut-il exercer une influence similaire en lisière de terrain ? Pour le moment, les chiffres certifient un impact positif de l'Argentin. Les Dorados, qui avaient cumulé trois petits points en six journées, ont remporté deux de leurs trois rendez-vous de championnat sous Maradona. Les play-offs qui concernent les huit premiers du championnat sont accessibles. Maradona, lui, malgré ses problèmes de santé, semble retrouver un certain allant. L'idole lessivée par la vie rayonne lors des entraînements. Les jours de match, il célèbre chaque but des siens comme si son cher Boca venait de dominer River. "Si mon cœur explose, que ce soit sur un terrain de football" avait-il déclaré, le 17 septembre, au terme de son premier match à la tête des Dorados. Vivre raisonnablement n'a jamais semblé intéresser Diego Armando Maradona. C'est peut-être pour cela qu'il a renversé des montagnes numéro dix dans le dos. Peut-être aussi pour cela que sa carrière d'entraîneur n'a jamais vraiment décollé.
Diego Maradona
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