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Révélations, documents confidentiels : Football Leaks dérange parce qu'il œuvre pour la transparence

Nicolas Vilas

Mis à jour 06/10/2015 à 13:02 GMT+2

En dévoilant une série de documents confidentiels, le site Football Leaks propose un éclairage sur un certain nombre d’opérations pas toujours très claires. Triangulations, joint-venture, paradis fiscaux, contrats… Plus que des révélations, voilà un recadrage sur le vrai débat : celui de la transparence.

Le cas Imbula est au coeur des révélations de Football Leaks

Crédit: Panoramic

Depuis quelques jours, un site internet secoue une partie de la planète foot. En dévoilant une copie du contrat liant Jorge Jesus au Sporting (5 000 004 euros annuels hors primes), Football Leaks a fait sensation dès son lancement. La date de l’accord (5 juin 2015) signé entre JJ et les Lions figurant sur les pièces divulguées a son importance. Benfica et son ex ne communiquent que par avocats interposés depuis que le SLB a refusé de verser le dernier mois de salaire à son ancien entraîneur, prétextant qu’il s’était engagé ailleurs alors qu’il était lié jusqu’au… 30 juin dernier. Les Aigles, qui lui réclament une indemnité de 7,5 millions d’euros, ont peut-être là un atout.
Hébergé en Russie, décliné en langue portugaise, Football Leaks balance ainsi des documents liés à des opérations financières. Beaucoup s’interrogent sur l’identité et les motivations de ces mystérieux "enquêteurs". Face aux nombreuses réactions suscitées par ses révélations, le site a tenu à indiquer qu’il avait pour "objectif de tenter d’aider à dissiper, peu à peu, les nuages gris qui planent sur le football". L’inquiétude semble avoir envahi certains patrons. "Parce que les documents contiennent des signatures d’Administrateurs et de fonctionnaires du club", le Sporting qui n’a pas souhaité s’exprimer "sur l’authenticité des documents" a remis le dossier à la police. Les Lions ont été victimes de gros bugs informatiques notamment sur leur réseau internet ces derniers jours. "Football Leaks n’a rien à voir avec ces problèmes", répond le site qui continue d’envoyer.

On en apprend plus sur les méthodes de Doyen Sports…

Un nom revient presque inlassablement ces derniers temps lorsqu’on s’intéresse au business du foot : Doyen Sports. Une partie des (re)productions de Football Leaks portent sur les activités de la société maltaise. Une façon de comprendre certaines de leurs méthodes.
Dans l’attente d’une décision de justice concernant le litige qui l’oppose au Sporting dans le cadre du transfert de Rojo, Doyen maintient un lien avec le club d’Alvalade. DS détient 35% (qu’il avait acquis pour 1,5 millions d’euros) des droits économiques de Zakaria Labyad. L’accord signé avec le SCP lui permettait de réclamer le paiement de 1,95 million d’euros de la part du club si le joueur n’était pas transféré avant le 1er juillet de cette année. Le Marocain qui, après un prêt aux Pays-Bas est condamné à l’équipe B, semble bloqué par ce procès. Son employeur préfère éviter tout transfert et toute valorisation d’un actif dont il pourrait partager une éventuelle plus-value. Dans les cas Rojo et Labyad, le Sporting s’était engagé en 2012, en cas de non-respect de ses engagements, à hypothéquer les recettes de billetterie des saisons 2015/2016 et suivantes jusqu’au recouvrement de ses dettes.
Autre exemple, celui d’Ola John. Propriétaire de la moitié des droits de l’ailier du Benfica depuis 2012, Doyen Sports a passé un accord avec le SLB. Si le club ne vendait pas l’international néerlandais dans les trois ans pour au moins 9 millions d’euros, il s’engageait à verser autour de 6 millions d’euros à Doyen. Les recettes liées aux participations en Coupe d’Europe ont été données comme garanties. La date butoir était fixée au 31 août dernier et le joueur n’a pas trouvé mieux qu’un prêt à Reading. Le Benfica a toutefois obtenu un délai d’un an supplémentaire pour régler la facture. "Choquant", diront certains. Doyen Sport n’a jamais caché qu’elle entendait œuvrer "comme une banque" et aucun établissement de financement ne travaille sans intérêts, ni caution, ni garant…

…et sur le transfert d'Imbula ?

En juillet dernier, le père de Giannelli Imbula, se confiait au JDD sur le transfert record de son fils : "Porto a trouvé un accord avec Doyen Sports, qui a mis un peu de sous pour que la transaction se fasse." Le bannissement de la TPO par la FIFA venait d’être décrété et l’implication de Doyen n’était pas claire dans ce transfert. Un courrier que s’est procuré Football Leaks envoyé par l’Olympique de Marseille aux Dragons datant du 15 septembre dévoile peut-être les contours de cette opération.
A en croire les montants indiqués, la transaction atteint les 20 millions d’euros à payer en quatre parcelles de 5 millions. A travers leur note, les Olympiens "SOMMENT LE FC PORTO DE PAYER, DES AUJOURD’HUI" (en majuscules dans le texte) les deux premiers règlements (calés aux 30 juillet et 15 septembre). Le FC Porto a réagi dans un communiqué, assurant n’avoir aucune dette envers l’OM. A Marseille, on attend pourtant toujours le paiement et on a fait remonter l’info à Porto.
Un "joint-venture agreement" portant sur les droits d’Imbula a également été posté. Aucune signature, aucun tampon officiel n’y figure, cette fois. Daté du 1er août 2015, il précise d’abord que le FC Porto est bien propriétaire de 100% des droits économiques du joueur. Il porte sur la future "participation de l’investisseur et du manager sur les droits économiques de Giannelli Imbula". Selon les "termes et conditions de participation sur les droits économiques du joueur", ces derniers devraient être répartis de la façon suivante : "FC Porto (50%), manager, investisseur (25% chacun)".
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Kondogbia et Imbula, sous le maillot des Espoirs

Crédit: AFP

Si l’identité de "l’investisseur" reste inconnue, celle du "manager" répond au nom de Nélio Lucas, le CEO de Doyen Sport. Le businessman portugais apparaît toutefois ici en tant que représentant de la société Vela Management Limited, basée, comme DS, à Malte. Vela ML figure dans le rapport comptable du troisième trimestre 2014-2015 de la SAD du FC Porto. Elle apparaît parmi les "services d’intermédiaires" à déduire de la plus-value réalisée sur la vente d’Otamendi à Valence (7,974 millions d’euros après déduction). Le club Ché est la propriété de Peter Lim, un proche de l’agent Jorge Mendes.
S’agit-il là d’un futur contrat entre Porto, Vela et le mystérieux investisseur (Doyen ?), en cas de gain de cause concernant la TPO devant la Commission Européenne ? Ou d’une ébauche de contrat portant sur les pourcentages auxquelles chacune des parties auraient droit au moment de la revente ? Cela supposerait que Doyen ait agi en tant que TPI et, dans ce cas, quelles garanties, quels engagements le FC Porto a-t-il pris à son égard ?

Jeu en triangle

Outre la divulgation du contrat de Jesus au Sporting, Football Leaks a aussi révélé les conditions de résiliation de Marco Silva, son prédécesseur. Le patron des Lions, Bruno de Carvalho, qui bombe le torse face à Doyen Sport et clame un football "plus transparent", s’attèle à des montages bien échafaudés.
La toute première publication de Football Leaks a porté sur le contrat de transfert de Bruno Paulista. Le Brésilien est passé de Bahia à Lisbonne via l’Angola sans jamais avoir mis les pieds en Afrique… Le Clube Recreativo Caála (D1 angolaise) se porte acquéreur des droits économiques du joueur qui n’est "que" prêté au Sporting. Le club de Huambo appartient à l’homme d’affaires António Mosquito. Ce magnat du BTP (il est notamment actionnaire majoritaire de Soares da Costa, au Portugal) a encore des billes dans les médias (Global Media Group), la vente d’automobile, la banque ou le pétrole. Le Sporting présente le CR Caála comme "un partenaire clairement identifié dans divers documents officiels" et affirme même que Mosquito est "partenaire de plusieurs clubs, ce qui concerne l’achat de joueurs à travers son club".
"Nous donnons l’exemple de sa participation dans l’achat de Samaris par le Benfica", précise carrément le SCP dans son communiqué qui "réaffirme sa contestation quant à l’utilisation de fonds mais a toujours été l’apologiste de l’emploi de partenariats financiers clairs, transparents, légaux et publiés officiellement". Les Lions ont tenté le même coup avec Cervi, mais "le Rosario Central n’a pas voulu négocier avec le CR Caála". Et l’Argentin s’est engagé au Benfica.
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Bruno de Carvalho lors de la présentation de Marco Silva

Crédit: Panoramic

Ce type d’opérations, vulgairement appelée triangulation, est une pratique partagée par d’autres clubs. Afin de bénéficier d’une meilleure fiscalité, le FC Porto a fait venir Osvaldo - alors libre - via le club uruguayen de Sud América sous forme de prêt. Une autre trouvaille de Football Leaks concerne le contrat (non signé) du transfert de Danilo, qui a migré du Maritimo à Porto. La transaction, qui se serait réalisée via le Portimonense, atteint les 3 millions d’euros.
Selon le document, le Maritimo aurait officiellement vendu le milieu de terrain au Portimonense "ou alternativement" au FC Porto. Une somme dénoncée par le Sporting qui a toujours affirmé en avoir proposé plus. Sauf que l’addition à laquelle se soumet Portimonense "ou" Porto dépasse les 3 millions. L’équipe de Portimão aurait contractuellement hérité de la dette (datant de 2013 : 1,5 millions d’euros avec 5% d’intérêts par an) contractée par le Maritimo auprès de l’Atlético Mineiro dans le cadre du transfert de Kléber. Une affaire qui avait laissé Maritimo et Porto dos à dos un long moment.
Les Portistes se seraient engagés à obtenir auprès de l’Atlético Mineiro une déclaration de renonciation des montants décidés par le TAS, toujours dans le cadre de l’affaire Kléber. A noter que l’actionnaire majoritaire du Portimonense est Tedoro Fonseca, ancien agent de Hulk, et très proche du FCP.
Au-delà de certains bénéfices fiscaux, la triangulation dégage d’autres d’avantages. Le club intermédiaire est rémunéré pour sa participation et le club qui obtient le droit d’inscrire le joueur peut alléger ses finances et feinter du fair-play financier. Techniquement, rien ne peut empêcher un PSG de recruter (sous forme de prêt) via d’autres clubs au Qatar, par exemple.

Le vrai débat : la transparence

Les révélations de Football Leaks confirment qu’en interdisant la TPO les instances du foot ne s’attaquent pas au problème de fond. TPO et TPI ne sont que des moyens, des alternatives de financement, plus ou moins traditionnels, et, finalement, pas plus obscurs, ni immoraux, que d’autres méthodes, ou d’autres activités orchestrées par des établissements bancaires. La quête de la transparence et la régulation de celle-ci sur les opérations financières liées au football, elle, demeure en suspens.
Football Leaks a notamment donné accès à certains documents attestant de la part que détenait Doyen Sport concernant les droits de Mangala. Mais ces informations étaient déjà accessibles dans le rapport des comptes de la SAD du FC Porto et via la bourse (CMVM). Parce qu’en tant que société cotée, la SAD de Porto est soumise à un devoir de transparence vis-à-vis de ses actionnaires. Cette obligation de transparence a évolué dans le temps. En atteste un autre élément révélé par le site : le contenu de l’audit commandé par Bruno de Carvalho sur la gestion du Sporting durant la période 1995-2013.
Il y est par exemple stipulé qu’une partie de la vente de Cristiano Ronaldo à MU est revenue à un fonds d’investissement (First Portuguese Football Fund). A l’époque (2003), la participation de ce fonds avait été rendue publique (parce que la SAD du Sporting était déjà cotée en bourse). Elle concernait Ronaldo et bien d’autres joueurs, d’autres clubs aussi (FC Porto). Cet audit permet de connaitre le montant exact de la répartition de ventes et d’achats qui n’ont pas toujours été aussi détaillés qu’ils ne le sont - par obligation - aujourd’hui.
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Cristiano Ronaldo sous le maillot de Manchester United en 2009

Crédit: Panoramic

Mais si First Portuguese Football Fund ou Doyen Sports doiventt inquiéter, ce n’est pas par la nature de leurs activités - parfaitement légales dans les pays où elle exerce - mais plutôt par le manque d’informations sur ceux qui les détiennent. Car même si Doyen est interdit d’exercer la TPO, il continuera d’œuvrer, sous d’autres formes. Sans qu’on sache pour autant qui s’y cache.
Peut-être Football Leaks - dont on ignore aussi finalement l'identité de ses créateurs et "pondeurs" - apportera-t-il bientôt la réponse. A Doyen Sports, comme dans d’autres sociétés installées dans des paradis fiscaux, les décideurs ont conscience que cette rétention d’information ne pourra s’éterniser. L’ironie dirait que la TPO - dont l’existence au Benfica, Porto ou Sporting était connue de tous parce que communiquée à la bourse - est bannie par un organisme basé en Suisse, pays qui œuvre encore au sein du Forum fiscal pour tenter de quitter la liste noire des "pays non coopératifs" (entendez par là : paradis fiscaux)…
Le légaliste se demande si la FIFA est dans son droit lorsqu’elle interdit à des sociétés soumises à la législation du pays où elles siègent des activités qui y sont légales et parfois même intelligibles. Certains semblent tirer profit à ce que le débat bascule vers des obsessions sectaires voire démagos. La FIFA est aujourd’hui mieux placée que quiconque pour en juger : le vrai souci n’est pas l’argent, mais l’usage que certains peuvent en faire.
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