Serie A : Pourquoi la justice italienne en a encore après la Juventus ?

Valentin Pauluzzi

Mis à jour 02/10/2017 à 17:00 GMT+2

SERIE A - Le président du sextuple champion d’Italie en titre, Andrea Agnelli, vient d’être suspendu un an par la justice sportive italienne dans le cadre d’une affaire qui a fait beaucoup parler sans que le sujet soit toutefois vraiment maîtrisé. Voici donc les réponses à vos questions.

Andrea Agnelli Juventus 2017

Crédit: Getty Images

La Juventus a-t-elle faussé le bon déroulement des dernières éditions de Serie A et risque-t-elle une pénalisation sur le plan sportif ?
Absolument pas.
Quelle est l’origine de cette affaire ?
Il y a près d’un an, le parquet de Turin a conclu une enquête sur l’infiltration de la mafia calabraise - appelée communément ‘Ndrangheta - dans la région du Piémont dont Turin est le chef-lieu. Il a été supposé que certains "mafieux" auraient infiltré le monde ultra de la Juventus afin de gérer le marché noir de la vente des billets dont les bénéfices se chiffrent en centaines de milliers d’euros.
Baptisée "Alto Piemonte", cette enquête, et le procès qui a suivi, a vu des dirigeants de la Juventus mis sur écoute puis interpellés en tant que témoins et rien d’autre. Le 30 juin dernier, le jugement en première instance a été rendu avec un total de 112 ans de prison pour 15 des 23 accusés. Parmi les condamnés de cette association de malfaiteurs d’ordre mafieuse, Rocco Dominello, un des responsables du kop de la Juventus et interlocuteur des dirigeants de cette dernière dans le cadre de la gestion des ultras bianconeri à domicile et à l’extérieur.
Quelles sont les conclusions et les accusations du parquet de la justice sportive ?
Dès l’an passé, et comme le veut la procédure, le parquet de Turin transmet le dossier à ses collègues de la justice sportive puisqu’une infraction à la réglementation de la vente des billets des matches de la Juventus de 2011 à 2016 a été relevée. Un dossier composé en grande partie d’écoutes téléphoniques, parfois sujettes à des interprétations subjectives surtout quand certains passages sont bien soigneusement divulgués dans la presse italienne. Une fâcheuse habitude de l’autre côté des Alpes.
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Une tribune de supporters de la Juventus lors du match face à l'Olympiakos

Crédit: Getty Images

Alors que la justice ordinaire n’a jamais inquiété les dirigeants de la Juventus, M. Pecoraro, procureur du parquet de la justice sportive, est convaincu que la nature "mafieuse" de certains interlocuteurs était en fait bien connue. Cela va à l’encontre des principes de loyauté, probité et correction stipulé par l’article 1 bis du code de la justice sportive.
Il ne s’agit donc pas seulement des quatre alinéas de l’article 12 régissant la vente des billets, les rapports avec les représentants des supporters, l’interdiction du financement direct des groupes de supporters et de l’introduction de matériel pyrotechnique et banderoles au contenu prohibé. Ce dernier alinéa concernant un derby turinois en 2014. Nous y reviendrons.
Ainsi, trois dirigeants dont le président Agnelli, un ancien œuvrant désormais au Barca, et la Juve pour responsabilité directe, figurent parmi les accusés. M. Pecoraro requiert, entre autres, deux ans et demi de suspension pour Andrea Agnelli, 300000 € d’amende pour la Juve et même deux matches à huis-clos à l’Allianz Stadium.
Quelle est la défense de la Juventus ?
Admettre ses torts, immédiatement, à propos de la billetterie. Depuis 2007, et dans le but de combattre la violence dans les stades, la loi Pisanu limite la vente à quatre billets par personne physique. Via son témoignage dans le cadre de l’enquête de la justice ordinaire, Agnelli affirme que cette loi a été enfreinte dans le but "du maintien de l’ordre public". Une certaine façon de contenir les débordements et les amendes qui s'ensuivent.
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Andrea Agnelli, le président de la Juventus Turin

Crédit: Getty Images

Il précise que "la vente concernait exclusivement les personnes à la tête du supportariat organisé et dont aucun employé de la Juventus n’a jamais nourri le moindre soupçon quant à des collusions avec des associations criminelles". Toutefois, lui et sa défense prennent le soin de se dédouaner, puisqu’ayant délégué la gestion de la vente des billets à qui de droit (notamment le responsable du service commercial, celui de la billetterie et du service de sécurité). Voilà pourquoi la défense d’Agnelli demande l’acquittement. Les rencontres avec Rocco Dominello, dont la possible appartenance à la Mafia n'a été officialisée que suite à son arrestation le 1er Juillet 2016, et les chefs ultras ? Le président a mis les choses au clair en mars lors d’une conférence de presse :
"C’était une activité faite à la lumière du jour et faisant partie des devoirs du président d’un club de foot. Si certains de ces personnages possèdent aujourd’hui un statut différent auprès de la justice pénale, c’est un aspect qui à l’époque des faits n’était connu, ni par moi, ni par aucun employé de la Juventus. Et concernant l’argument que certains pourraient opposer, c’est à dire que les ultras ou leurs chefs ne sont pas des saints, je vous dis que je le partage mais je respecte les lois de l’état et ces personnes étaient libres et n’avaient aucune interdiction de fréquenter le stade."
Pourquoi M. Pecoraro a fait parler beaucoup de lui ?
Préfet de police de la ville de Rome de 2008 à 2015, il est depuis août 2016 le procureur du parquet de la justice sportive au sein de la FIGC, la fédération italienne de football. On lui a reproché d’aller au-delà de ses compétences et de se substituer à son collègue de la justice ordinaire en voulant contester l’absence de rapports entre la Juventus et des représentants de la Mafia calabraise.
Après une audition - restée secrète - à la Commission Antimafia, il a même assuré posséder les preuves d’une écoute compromettante avant de faire machine arrière, parlant d’interprétation du parquet de Turin, lequel répliqua rapidement via un communiqué : "Notre bureau s’est limité à la transmission de la documentation demandée et sans exprimer aucune interprétation à son égard."
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Giuseppe Pecoraro, à droite, aux côtés du maire de Rome Gianni Alemanno en 2009

Crédit: Getty Images

Que dit la sentence en première instance ?
Rendue lundi dernier par le tribunal fédéral national, elle réfute pleinement l’accusation voulant qu’Agnelli était parfaitement au courant des activités mafieuses de Rocco Dominello. Le président est également acquitté de celle concernant l'introduction du matériel pyrotechnique avant le derby de Turin et surtout de la banderole entachant la mémoire des martyrs de Superga. En revanche, il lui est reproché que son comportement laxiste ait permis - ou plutôt n’ait pas empêché - les conduites illicites admises par ses collaborateurs.
D’où la suspension d’un an requise par le tribunal fédéral, soit la même sanction que ses collaborateurs directement impliqués et ayant avoué leurs fautes. En quoi consiste cette "inibizione" ? Par exemple, plus le droit d’aller dans les vestiaires le jour de match ou représenter le club aux assemblées de la Ligue. Agnelli reste néanmoins président de la Juventus et peut agir au sein de l’UEFA puisque l'extension extraterritoriale de la sanction n’a pas été réclamée. A noter que l’accusation et les accusés ont tous deux fait appel de cette sentence. Second round fin octobre (il peut en avoir un 3ème).
Quid des autres clubs ?
C’est une réflexion qui a été faite puisque la Commission Antimafia s’est elle aussi emparée du dossier. Cette commission parlementaire composée de 50 députés/sénateurs peut mener des enquêtes en auditionnant des personnes mais ne peut instruire de procès. Concentrée sur les rapports entre la Mafia et le football, elle a auditionné plusieurs présidents de clubs de Serie A, les procureurs du parquet de Turin ainsi que M. Pecoraro.
Il serait plus que hasardeux d’affirmer que tous les kops italiens exercent un chantage auprès de leurs clubs pour avoir des faveurs en retour, ou qu’ils soient tous infiltrés par la Mafia. Mais la problématique subsiste, c’est un secret de polichinelle, et ce n’est pas en condamnant le seul Agnelli et la Juve qu’elle sera réglée. Or, comme pour d’autres affaires (ou "curieux procédés expérimentaux de la justice sportive", dixit Agnelli), on risque bien de s’arrêter là après avoir sanctionné le même bouc-émissaire.
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Les tifosi de Naples lors d'un match face à Crotone, le 12 mars 2017

Crédit: Panoramic

La position d'Agnelli à la tête de l'ECA est-elle fragilisée ?
Non, l’association européenne des clubs est une organisation privée régie par son propre statut. Néanmoins, le fait que seule la Juve ait fait l'objet de cette affaire ne doit pas excuser la superficialité de son président dans sa gestion des rapports avec les supporters ultras.
D’autant plus que la construction d’une enceinte moderne comme l’Allianz Stadium était censée éradiquer ce fonctionnement. Un échange de bons procédés imposé par le chantage ? Les attendus de la sentence de la justice ordinaire disent que oui, celle de la justice sportive disent que non... Il s’agirait en tout cas d’un "modus operandi" de longue date à la Juve, et – on peut se permettre de l’avancer sans trop de problèmes – dans d’autres clubs en Italie et dans le monde.
Que restera-t-il de cette affaire ?
Même si tout lien entre la mafia calabraise et la Juventus a été démenti par la justice ordinaire et sportive, le mal est fait. La caisse de résonance a été immense et le sujet pas toujours maîtrisé, en cause, le zèle de M. Pecoraro, et l’orientation médiatique de certains organes de presse transalpins malheureusement relayés les yeux fermés par leurs confrères étrangers.
Un procès surtout médiatique vu ce qu'il reste de l'accusation. Mais vous pensez bien que l’acquittement concernant la collusion avec la Mafia n’a pas fait les gros titres contrairement à l’accusation. A quand une justice sportive sobre et un traitement de l'info équitable ? Probablement jamais puisque les leçons du douloureux passé n'ont servi à rien.
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