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We are Manchester

Bruno Constant

Mis à jour 25/05/2017 à 01:05 GMT+2

LIGUE EUROPA - Frappé en plein cœur dans la soirée de lundi, Manchester et son club de United a joué (et gagné) une finale de coupe d’Europe mercredi soir. Le football est peu de chose dans ces moments-là, et beaucoup à la fois dans une ville unie pour l’occasion.

Les gens se rassemblent pour pleurer les victimes de l'attaque terroriste de Manchester à Albert Square (Manchester)

Crédit: Panoramic

De notre correspondant à Londres,
J’aurais aimé vous parler des adieux de John Terry ou d’Arsenal. Mais l’envie n’y est pas. Pas maintenant. Pas après le terrible effroi qui a frappé la ville de Manchester, attaquée dans sa chair, en plein cœur : sa jeunesse, la musique et le sport. La Manchester Arena, deuxième plus grande salle d’Europe, accueillait aussi bien des concerts de musique (les Rolling Stones, Madonna… et donc Ariana Grande) que des rencontres sportives (boxe, basket, hockey, taekwondo…). Elle y a vu Mike Tyson et Ricky Hatton, une légende mondiale et un héros local.
L’enceinte est située en face du Football National Museum et à quelques centaines de mètres du Lowry Hotel, où Manchester United effectue ses mises au vert. La femme et les deux enfants de Pep Guardiola, mancunien depuis moins d’un an, étaient présents au concert et auraient pu figurer parmi les victimes.

Manchester "Uni"

Mercredi s'est pourtant jouée une finale de coupe d’Europe, la Ligue Europa. Face à l’Ajax Amsterdam, Manchester United ("uni") n’a jamais aussi bien porté son nom. Car ce n'était pas un club mais toute une ville réunie au lendemain de l’attentat. Une minute de silence a été respectée avant la rencontre dans la Friends Arena, l’"arène des amis". Néanmoins, il serait faux de dire que le football est passé au second plan. Ce match, au-delà de ce qu’il représentait dans la saison des Red Devils, était avant tout une manière de répondre dans l’unité face au terrorisme. Depuis les tribunes à Solna, banlieue nord de Stockholm, comme dans les pubs de Manchester, le cœur de la ville s'est remis à battre. Car, "derrière les fenêtres de Manchester, il y a un amour fou pour le football et la musique", disait Cantona.
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Messages de condoléances pour les victimes de l'attentat de Manchester devant la Friends Arena avant la finale de la Ligue Europa a Stockholm

Crédit: Panoramic

C’est quelque chose qui vous ressentez dès que vous posez le pied dans la ville. Depuis la gare, remontez Piccadilly – la rue -, tournez à droite au niveau de la grande esplanade, engouffrez-vous dans les petites ruelles et vous trouverez de nombreux shop de vinyles et instruments de musique. Sortez par derrière et un tramway vous emmènera à l’Etihad Stadium des Citizens. Descendez Portland street, où vous pourrez vous arrêter au Circus Tavern, un petit pub historique que visitaient d’anciens joueurs de Manchester United, et vous serez sur la route d’Old Trafford.
Quand vous demandez à un Mancunien de dessiner la carte historique de Manchester, il commence par marquer d’une croix The Hacienda, le célèbre club, puis Eastern Block, magasin historique de vinyles situé dans le marché d’Affleck Palace avant de bouger sur Oldham street, et finit par un stade de football : Old Trafford, s’il est de United, ou Maine Road, s’il est de City. C’est la même chose avec les chauffeurs de taxi. Ils vous demanderont toujours si vous êtes un "Red" ou un "Blue".

Musique et foot comme une échappatoire

J’adore Manchester. Pour son histoire, son énergie, ses clubs de foot et ses Mancunians. On le dit friendly (convivial), funny (drôle), cheeky (moqueur) avec son accent à couper au couteau reconnaissable entre mille. Ecoutez Paul Scholes et vous aurez une idée. Et, pourtant, il n’y a rien de plus déprimant qu’un jour de printemps à Manchester, où vos espoirs de premiers rayons de soleil sont douchés par une pluie fine et glaçante. C’est la première chose qui vous frappe en débarquant à Manchester : cette grisaille et ces briques rouges. Cette image d’une ville triste et dépressive comme le pessimisme de Joy Division.
Outre-Manche, musique et football sont étroitement liés. A Manchester, ils sont indissociables. "L’un comme l’autre étaient une échappatoire pour la classe ouvrière après une semaine passée à l’usine", explique Dave Haslam, ancien Dj à The Haçienda et auteur du livre Manchester, England, que j’avais rencontré lors de l’un de mes reportages à Manchester. Bien au-delà du Liverpool des Beatles ou du Londres des Rolling Stones, Manchester est la capitale de la scène rock anglaise où sont nés les Buzzcocks (1976), Joy Division (1976) et sa descendance New Order (1980), qui entamera le courant "Madchester" avec les Happy Mondays (1980), The Charlatans (1980), The Smiths de Morrissey (1982) ou The Stone Roses (1983). Et, bien plus tard, Oasis (1991) des frères Gallagher.
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Noel Gallagher caused a stir with appearance on flagship BBC football programme.

Crédit: Eurosport

Les publics tendent à se confondre comme ses héros. "Musiciens et footballeurs viennent des mêmes HLM", rappelle Warren Dermody, chanteur de Northside. Avant de devenir le guitariste des Smiths, Johnny Marr avait été rejeté lors d’un essai à Manchester City et Reni, batteur des Stone Roses, fut ramasseur de balle à Maine Road. Le cofondateur de Joy Division, Peter Hook, a grandi à côté d’Old Trafford où Ian Brown, chanteur des Stone Roses, est toujours abonné. Un red échoué au milieu d’une famille de blues. "Ils sont tous pour City. Mon père et mes oncles sont des Citizens. Mon frère, ma nièce et mon beauf sont abonnés. Ma grand-mère et mon grand-père avaient l’habitude de m’acheter tirelires, drapeaux ou ce genre de trucs avec l’écusson de City. Je leur disais : 'J’en veux pas, je suis United ! Mes fils n’ont pas le droit d’être des Blues !'"
C’est aussi le symbole de deux mondes qui se côtoient depuis l’émergence de George Best dans le milieu des années 60, première pop star du foot et dont le meilleur ami, Mike Summerbee, portait les couleurs du rival, City. L’ouverture de The Haçienda en 1982, club mythique de Manchester, encouragera davantage encore le rapprochement. "Les gars de United et City, qui avaient l’habitude de se foutre des beignes, se tapaient dans la main à l’Haçienda !", s’amuse Dermody. Beckham habitait dans la même rue que le chanteur de New Order, Bernard Summer.

"Manchester till I die"

Si tout oppose les deux clubs – City était dette et échec, United succès et gloire -, ils n’ont rien à voir avec la haine qui oppose MU à Liverpool, Arsenal à Tottenham, Millwall à West Ham. A Manchester, le football n’est pas un sujet de séparation, il a même pu être à l’origine de retrouvailles. Trois quarts des Stone Roses sont fans de United contrairement à leur batteur, Reni. Supporter de City et premier à claquer la porte en 1995, ce dernier lança que le groupe se reformerait "quand City gagnerait la Coupe d’Europe". Il montera à nouveau sur scène en juin 2012, quelques semaines après le premier titre du club depuis 44 ans !
De nombreuses chansons sont dédiées à Manchester et, s’il fallait n’en retenir qu’une, Suffer little children de The Smith ("Oh Manchester so much to answer for…") me semble pour le moins appropriée. J’aurais également envie de reprendre une chanson des supporters de City ("City till I die" - "City jusqu’à ma mort") – et que ceux-ci me pardonnent - en remplaçant "City" par "Manchester" : "Manchester till I die, I’m Manchester till I die, I know I am (Je sais que je le suis), I’m sure I am (Je suis sûr que je le suis), I’m Manchester till I die". Car, depuis lundi, I’m Manchester. We are Manchester.
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Un supporter des Red Devils devant l'enceinte de Stockholm avant la finale de la Ligue Europa entre Manchester United et l'Ajax Amsterdam

Crédit: Getty Images

Bruno Constant fut le correspondant de L'Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd'hui avec RTL et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté.
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