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Grand Prix du Brésil : Héroïsme, flammes et suspense : cinq grands prix mémorables à Sao Paulo

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 11/11/2014 à 12:40 GMT+1

Senna vainqueur tétanisé, Fisichella revenu des flammes, Hamilton champion miraculé sont au menu des cinq éditions entrées dans l'histoire du GP du Brésil.

Ayrton Senna (McLaren) au Grand Prix du Brésil 1991

Crédit: Panoramic

1975 : Jarier maudit, le Brésil chavire avec Pace et Fittipaldi

Interlagos voit pour la première fois Jean-Pierre Jarier mener une épreuve du Mondial. Au volant de sa Shadow qui ne paie pas de mine, le Français a montré sa vitesse en qualification en obtenant sa deuxième pole position en carrière. Mais au départ, il se fait déborder par Carlos Reutemann (Brabham). Au 5e des 40 passages, le revoilà en tête. Impérial, il compte une vingtaine de secondes d'avance au 15e tour, 27 au 24e passage. Quand la course commence à prendre une autre tournure...
Trois tours plus tard, "godasse de plomb" a perdu la moitié de son avance sur Carlos Pace (Brabham). Trois boucles plus loin, la malédiction s'abat sur sa Shadow, en panne d'alimentation. Un bonheur pour le public local : non seulement Carlos Pace l'emporte, mais son succès (unique en carrière) précède l'arrivée de la star Emerson Fittipaldi (McLaren), champion du monde en titre.
A l'arrivée, la foule envahit la piste et Pace ne s'appartient plus : il est sorti de sa monoplace et porté en triomphe jusqu'au podium. Une autre époque ! A ce jour encore le seul doublé brésilien à Sao Paulo.
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Carlo Pace (Brabham) au Grand Prix de Monaco 1975

Crédit: Imago

1991 : Senna à bout de bras

Ayrton Senna n'a jamais gagné son grand prix national. Cette fois sera-t-elle la bonne ? Il a réalisé en qualification un exploit de plus face aux Williams de Nigel Mansell et Riccardo Patrese, théoriquement plus rapides d'une demi-seconde que sa McLaren. Devant son public, le Pauliste mène mais le scenario se complique. "Avant le changement de pneus tout allait bien. Mais, à une vingtaine de tours de l'arrivée, j'ai commencé à avoir des problèmes de boîte de vitesses : la 3e s'est mise à sauter, puis la 5e et la 6e", racontera le champion du monde. "Quand Mansell a changé de pneus pour la deuxième fois, je pensais être à l'abri, mais la 2e et 4e ont lâché, complètement. En tâtonnant, je risquais de démolir ce qui restait de la boîte, et à sept tours du but j'ai décidé de finir en 6e, et de me concentrer sur le pilotage. Mais le physique n'a pas suivi, c'était trop dur : je devais ralentir uniquement avec les freins, alors que le moteur continuait de pousser. Ça me faisait sortir de la bonne trajectoire, et je devais tenir le volant de toutes mes forces pour tourner. Mes jambes ont commencé à me faire mal à force de devoir appuyer sur les freins, et mes bras aussi."
Son avance sur Mansell et Patrese fond et, alors qu'il continue de livrer combat à sa mécanique moribonde, la pluie fait glisser un peu plus la MP4 n°1... "Je me suis dit que c'était foutu, que Patrese allait me tomber dessus", confiera-t-il. Le public réalise ses difficultés, l'encourage, scande "la chuva !" Pourquoi "la pluie !" ? Pour inciter le directeur de course à tout stopper. Dans les haut-parleurs, le speaker s'époumone : "Que cette course cesse, vite !" Il n'en est évidemment pas question. Senna va aller au bout du supplice. De l'héroïsme.
Le drapeau à damier libère un cri de douleur glaçant à la radio. Senna stoppe dans son tour d'honneur, tétanisé. "Quand j'ai franchi la ligne, j'ai trop levé le pied (il a ralenti pour prendre un drapeau brésilien), et le moteur a calé. Toute la douleur accumulée m'a saisi. J'ai sorti mes bras du cockpit mais je ne pouvais plus me lever. J'ai pleuré de douleur et j'ai ri en même temps. Un jour merveilleux." Ses épaules lui font trop mal, il faut l'aider à sortir de sa McLaren. Sur le podium, il soulève avec peine le trophée. En coulisses, son rival Nelson Piquet (Benetton), 5e, pas connu pour sa grandeur d'esprit, prétend qu'il a enjolivé la réalité. Le lendemain, la TV brésilienne montre les images de la caméra embarquée. Sur les sept derniers tours, Ayrton Senna n'a pas touché à son levier de vitesses.
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Ayrton Senna (McLaren) au Grand Prix d'Allemagne 1991

Crédit: Panoramic

1994 : Passation de pouvoir entre Senna et Schumacher

Interlagos est le premier rendez-vous de la saison. Celui d'une nouvelle vie pour Ayrton Senna. Après six ans chez McLaren, il a une Williams dans les mains. Qui n'est pas la bête de course dont il rêvait. Son châssis erratique gâche un Renault considéré comme le meilleur du plateau et là n'est pas son pire souci, qui s'appelle Michael Schumacher. Pendant l'hiver, l'Allemand a montré qu'il disposait d'un package homogène et plutôt compétitif. Benetton n'a pas la réputation de design de Williams mais Rory Byrne s'en occupe. Côté moteur, le V8 Ford n'a rien à voir avec un moderne V10. Alors, pourquoi Senna sent-il tant la menace de la Benetton ? Parce qu'elle cache un antipatinage déloyal. C'est bien connu, sans maitrise, la puissance n'est rien. Et avec moins de chevaux, on peut faire plus vite pour peu de pouvoir les domestiquer…
La course doit être une chevauchée solitaire de Senna, en pole position pour la 63e fois. On pense que cela peut être le cas, jusqu'au 6e tour, où l'avance du Pauliste culmine à 4 secondes. Ensuite, le héros des travées s'emploie à contenir le retour de l'Allemand. Chassé sans répit, il s'engouffre juste avant lui dans la pit lane au 22e passage, pour ressortir deuxième. Dès lors, il ne contrôle plus rien. La B194 roule cinq secondes lorsqu'il lance la riposte de trop. La course de sa FW se termine en travers, sur une accélération anticipée. A son retour au paddock, on se dit que quelque chose a changé, que Schumacher a enclenché le compte à rebours de la succession. Les propos sud-américains sont emprunts d'une inhabituelle fragilité : "Michael était le plus rapide aujourd'hui. Je me suis fait surprendre en tentant de le remonter. J'étais fatigué, à la limite, et j'ai attaqué un peu trop. L'arrière est partie en tête-à-queue et j'ai calé."
Schumacher est bien prêt à déboulonner la statue, faisant apparaît une réalité jamais soupçonnée jusque-là. "Même quand Ayrton me reprenait une seconde par tour, je ne me suis jamais vraiment senti en danger ni sous pression. Je contrôlais et je pouvais forcer quand il le fallait."

2003 : Un sacré retour de flammes pour Fisichella

L'histoire folle de cette 23e édition du Grand Prix du Brésil débute le samedi par la première pole position d'un Auriverde depuis 1991. "Ba – rri-che-llo !" scande la foule. Le dimanche, la pluie noie Interlagos et la voiture de sécurité neutralise le peloton pendant 8 tours avant de lâcher les fauves. Coulthard (McLaren), en tête devant "Rubinho" (Ferrari), c'est une journée d'outsiders qui commence… Au 18e passage, Ralf Firman (Jordan) est déstabilisée par la perte d'une roue et percute la Toyota d'Olivier Panis. Sept tours plus tard, Juan Pablo Montoya (Williams) sort, échoue dans une pile de pneus et se fait percuter par la Jaguar en perdition d'Antônio Pizzonia… Et l'épreuve prend bientôt un tour plus dangereux lorsque le tracteur chargé d'ôter les épaves voit la toupie rouge de Schumacher finir sa course à quelques centimètres… Le virage 3 est un véritable cimetière, où Button rajoute sa BAR…
Dans des conditions de piste qui s'améliorent, Webber (Jaguar) n'échappe pas à la casse. Dans le mur de la montée finale, à 300km/h, c'est même ultra violent. Des milliers d'éclats de carbone plus tard, Alonso n'a pas le temps de ralentir au drapeau rouge et arrive sur la scène de désolation sans pouvoir éviter une des trois roues arrachées. La Renault tourne sur elle-même, tape très fort dans un mur de pneus. Secoué, l'Espagnol sort de sa machine et s'écroule. Avec un bilan de 9 voitures hors d'usage et 5 neutralisations, il est grand temps d'arrêter les frais ; 18 boucles avant le terme de l'épreuve.
Avec qui sur la plus haute marche ? Bonne question ! Giancarlo Fisichella (Jordan), qui venait de déloger Kimi Räikkönen (McLaren) en tête de l'épreuve, avait entamé le 55e tour quand la course a été stoppée. Le règlement fige donc le classement au tour précédent et c'est pour ça qu'Iceman soulève la coupe du vainqueur. Cependant, trois jours plus tard, la preuve irréfutable qu'une erreur d'interprétation des commissaires a été commise. C'est désormais une certitude : Fisichella était dans sa 56e rotation quand le gp a été arrêté. Le 55e tour faisant foi, l'Italien est donc officiellement proclamé vainqueur. Un miraculé, quand on sait qu'il a garé une Jordan en feu au parc fermé. "J'ai toujours pensé que j'avais gagné", clame "Fisico. Pour Jordan, c'est un 200e grand prix mémorable. Le podium fêté à Interlagos sans Alonso, 3e et accidenté, est rejoué à deux à Imola, au meeting suivant. Fair play, Ron Dennis et Kimi Räikkönen remettent le fameux trophée.
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Giancarlo Fisichella à l'arrivée du Grand Prix du Brésil 2003. Sa Jordan est en flammes et il ne sait pas encore qu'il a gagné.

Crédit: Imago

2008 : Hamilton au bout du suspense

Lewis Hamilton mène le Mondial depuis neuf meetings et son couronnement à Interlagos serait logique car son ultime adversaire, Felipe Massa, n'a été pointé en tête du Championnat qu'une fois. Avec sept points d'avance, il peut se contenter d'un Top 5 si le héros local gagne ; d'un Top 7 si son rival de Ferrari finit 2e. Tout autre scenario lui est favorable. Cette équation simple va pourtant déboucher sur un dénouement palpitant…
Mis à part les passages au stand, Massa remplit sa mission dominicale, rivé à la première place. Sebastian Vettel (Toro Rosso) et Fernando Alonso (Renault) se relaient à la deuxième, devant Lewis Hamilton (McLaren). Tout va bien jusqu'à cet orage typiquement pauliste qui s'abat. A 8 tours du but, c'est la ruée au stand pour chausser des "pluie". Sauf pour Timo Glock (Toyota), qui poursuit en "slick", et bondit de la 8e à la 4e place devant Lewis Hamilton. Puis, soudain, la voiture de trop… Débordé par la fusée Vettel, Hamilton rétrograde 6e. "Je gérais tranquillement même si mes pneus étaient un peu usés, donc j'avais du mal à garder le rythme", racontera l'Anglais. "Je réussissais quand même à contenir Sebastian quand il a commencé à crachiner. Quand il m'a doublé, on m'a dit qu'il fallait absolument que je repasse devant lui."
La mission s'avère impossible. "Mes pneus étaient mal en point et j'ai commencé à glisser, je ne pouvais rien faire." Hamilton est en perdition, mais Glock plus encore. Et McLaren l'informe que l'Allemand est un fragile 4e. "Je ne savais pas s'il était loin mais je savais qu'il était en pneus 'sec' ", rapportera le Britannique. "Je priais pour rattraper Glock à temps et je l'ai finalement aperçu à la sortie du virage 10. J'ai pu le passer à l'intérieur. Mon coeur était près d'exploser." Au 12e des 14 tournants d'Interlagos, la McLaren passe devant la Toyota… Quand il franchit la ligne, le clan ferrariste fête le titre depuis presque une demi-minute. Une terrible erreur. Hamilton, lui, demande à la radio ce qu'il se passe. "Je criais : "Est-ce que je l'ai ? Est-ce que je l'ai ?" Ils me l'ont finalement confirmé alors que j'arrivais dans le premier virage. Un rêve."
L'ultime méprise aurait été que Ferrari annonce à son pilote qu'il était champion du monde. "Quand j'ai franchi la ligne, on m'a dit de me calmer, il fallait attendre le résultat de Lewis", confiera Massa. "Et après quelques instants interminables, on m'a dit qu'il avait passé Glock. Lewis mérite son titre. Je quitte la piste la tête haute car nous avons fait tout ce que nous pouvions". Sur le podium, Massa combat ses sanglots, la main sur le cœur. Comme il a piloté.
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Lewis Hamilton (McLaren) champion du monde au Grand Prix du Brésil 2008

Crédit: Imago

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