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Suzuka Story : 1989, Alain Prost et Ayrton Senna (McLaren) se chicanent

Stéphane Vrignaud

Publié 06/10/2016 à 15:20 GMT+2

GRAND PRIX DU JAPON - Suzuka n'aura pas eu besoin de longtemps pour s'installer dans la légende de la F1. Cette semaine, nous vous proposons de vous replonger dans plusieurs éditions mythiques de la course nippone.

Ayrton Senna et Alain Prost (McLaren) au Grand Prix du Japon 1989

Crédit: Panoramic

"Mon soulagement est provoqué par le fait qu'Ayrton soit champion du monde. C'est la meilleure chose qui pouvait arriver tant à notre équipe qu'à moi-même. Avec une moindre pression sur les épaules et le but de sa vie désormais atteint, sans doute devra-t-il plus humain, plus sympathique. J'espère que ce titre va changer sa philosophie de la course et de la vie comme de la course et que nous nous entendrons bien. Nous nous retrouverons ainsi pour une nouvelle course au titre en 1989. De manière un peu plus amicale."
Ça, c'était un an avant, dans la bouche de Prost. A Suzuka. Depuis, il a découvert sa propre naïveté, ravalé son optimisme. Depuis Imola, où Senna a rompu le pacte de non-agression du premier tour, les couteaux sont tirés. Au Castellet, le Français a annoncé son départ de McLaren. A Suzuka, il perçoit plus que jamais son isolement mais il connait le deal : s'il devance Senna, il sera champion. Quant au Sud-Américain, il ne peut se permettre d'abandonner… Dernier détail : Prost a prévenu qu'il n'était pas disposé à s'incliner devant une attaque brésilienne marquée du sceau de l'outrance...
Dans cette nouvelle tension du départ à Suzuka, Senna montre des progrès insuffisants : s'il ne cale pas comme en 1988, il marque une hésitation qui propulse Prost à l'horizon. Le Français prend de l'avance jusqu'à l'arrêt au stand. On assiste ensuite à une autre course : il voit Senna revenir fort, au point de l'avoir dans la boîte de vitesse dans les lents, spécialement à la chicane.

Un point de non-retour dans un monde définitivement manichéen

La partie d'élastique bat son plein lorsque Prost arrive au freinage de la dernière chicane, au 47e des 53 tours. Il ne change rien à sa façon de faire, sauf que Senna a décidé de se lancer à l'abordage. Prost le voit bien dans son rétro droit, braque fermement. Un peu plus tôt que d'habitude. Il sait bien qu'il lui braque dessus.. Il refuse le chantage et Senna n'esquisse aucun geste de replis. Voilà les deux McLaren inexorablement liées dans un même destin. Sur Europe 1, Dominique Bressot s'époumone : "Les deux McLaren se sont accrochées ! Les deux McLaren se sont accrochées ! Les deux McLaren se sont accrochées !" Le commentateur tourne en boucle, figé par la stupeur. Plus qu'un accrochage pour chaque partisan, c'est un point de non-retour dans un monde définitivement manichéen.
Les bolides à l'arrêt, Senna regarde Prost et lève le pouce avec ironie. Pour le Français, c'est le constat d'une suspension pliée. Sorti de sa machine, il regarde les commissaires obéir à Senna, le relancer. Le V6 nippon s'ébroue, la n°1 file avec un aileron avant cassé en slalomant entre les piles de pneus du raccordement. Légal ? "A cet instant, je ne savais pas ce que prévoyait le règlement", avouera Prost, qui fonce au bureau des commissaires. S'il ne plaide pas sa cause, ce n'est pas son patron Ron Dennis qui le fera…
A l'instant fatidique, Prost n'avait aucune faiblesse. Même pas celle d'être privé depuis un moment de son tableau de bord à cause d'un court-circuit, et spécialement du compte tours l'aidant à changer de rapport au bon moment. Dans cette précarité de l'oppressante présence rivale, le "Professeur" était incroyablement relax. "Je parvenais à contrôler le retour de Senna. Je pouvais lui reprendre quelques longueurs à volonté. Cela ne me gênais pas de l'avoir derrière moi", atteste-t-il à L'Equipe.

Balestre et Prost contre Senna et Dennis

"Je craignais un accrochage. Je l'attendais en fin de parcours. Je me disposais à me détacher pour les derniers tours, afin d'échapper à ce risque. Il m'a attaqué plus tôt que je le pensais. De trop loin. Pour me piquer au freinage là, il aurait fallu qu'il soit collé à ma boîte de vitesses. S'il ne s'accrochait pas, il aurait été dans l'impossibilité de tourner, tant il était en survitesse." Et d'ajouter : "Je n'en suis pas revenu lorsqu'il m'a harponné (…) J'étais complètement surpris de le voir là (…) Comme je l'avais dit avant la course, il était hors de question que je lui laisse la porte ouverte."
Une attaque de trop loin ? Le Brésilien défendra le contraire. Mais là n'est pas le pire pour lui, car il perd sa victoire acquise à deux tours de la fin. Pour Jean-Marie Balestre, autoritaire président de la FISA (la branche sportive de la FIA), c'est sans appel : un concurrent doit couvrir la totalité de la distance d'une course. Chez les commissaires, Balestre martèle son argument devant Senna et Dennis, en présence de Prost. La cérémonie du podium retardée de 20 minutes, Alessandro Nannini (Benetton) ne boude pas son plaisir de vainqueur sur tapis vert.
Pourquoi c'est pathétique : une fin prévisible, une incapacité de Prost à apprécier son titre, un acharnement hivernal de Balestre. C'est vrai, Senna a estimé avoir été "traité comme un criminel" et a crié au complot franco-français, à la collusion, et a évoqué des "groupes financiers et politiques"... En plus de 100.000 dollars d'amende, il devra s'excuser publiquement pour obtenir sa super licence en 1990. Ce qu'il vivra comme une humiliation.
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