Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

L'œil de Rio : Onesta et l'éternelle quête du pourquoi

Laurent Vergne

Mis à jour 21/08/2016 à 11:33 GMT+2

JO RIO 2016 – L'équipe de France pourrait décrocher dimanche son troisième titre olympique consécutif, et son neuvième trophée international majeur en une décennie. Une extravagante réussite qui pousse sans cesse un de ses principaux artisans, Claude Onesta, à en chercher le sens profond.

Onesta

Crédit: AFP

Il n'était pas possible de boucler cette quinzaine olympique sans évoquer ici, d'une manière ou d'une autre, l'équipe de France de handball. C'eut été inconvenant. Presque insultant. Ces Experts sont la plus impressionnante "success story" de l'histoire du sport français. Jamais une équipe n'avait autant gagné, autant dominé et aussi longtemps. Ah, la gloire des Experts... Champions d'Europe 2006, 2010 et 2014. Champions du monde 2009, 2011 et 2015. Champions olympiques 2008, 2012 et, peut-être, ce dimanche, 2016. Un interminable catalogue. Nous sommes tous admiratifs et fascinés par ce degré de performances et la durée de cette hégémonie.
Sauf que nous passons totalement à côté de l'essentiel. Vous, nous, médias, public, nous extasions devant cette carte de visite. Aujourd'hui, elle laisserait presque froid celui qui a forgé cette réussite. On ne dira pas qu'il s'en fout, Claude Onesta, de la victoire, mais ce n'est pas elle qui le guide. Plus qu'elle ne le comble, elle l'interroge.
picture

Claude Onesta, sélectionneur de l'équipe de France, à Rio 2016

Crédit: Panoramic

Dans une formidable interview accordée à L'Obs, en janvier 2015, il expliquait ne plus être touché par la pureté du plaisir du sacre. "Je ne l'ai jamais vraiment eu, disait-il, à l'exception du premier titre qui m'a procuré un sentiment de lévitation, de béatitude. J'avais enfin gagné quelque chose. On allait arrêter de penser que j'étais le pire des cons." Vous ne trouverez évidemment plus personne pour le considérer comme tel. Plus que légitimé par son effarant palmarès, Onesta est presque devenu intouchable. De son point de vue, il y a surtout gagné sa liberté. Son palmarès, c'est son luxe.

La victoire, cette anormalité

Quand nous nous demandons tous comment font les Bleus pour gagner, encore et toujours, Onesta, lui, est dans une autre quête. Il se demande pourquoi. Il le dit souvent, la victoire est anormale. Il a d'ailleurs encore usé de ce terme vendredi après la demi-finale contre l'Allemagne. "Nous avons joué un handball de rêve pendant 45 minutes, mais mener de 7 buts contre le champion d'Europe était anormal", a-t-il expliqué. Alors, s'il peine à concevoir un avantage de sept buts sur une rencontre, imaginez à quel point la quête de huit titres en neuf années doit lui sembler vertigineuse, presque effrayante. D'où ce besoin, chez lui, de comprendre.
C'est dans le souci de répondre à cette question quasi-philosophique qu'il avait publié, en 2014, un livre intitulé Le règne des affranchis et que je ne peux que vous recommander de dévorer si vous êtes passés à côté. Pour essayer de comprendre, le technicien toulousain s'était adjoint l'aide de son ami et néanmoins doyen de la Faculté des sciences du sport d'Aix (ouf!). "Quand la légende des Experts a trouvé son rythme de croisière, quand le succès est devenu routinier et confortable, il (Pierre Dantin) a trouvé les mots pour éclairer mon chemin : 'gagner, oui, mais jusqu'à quand et pourquoi faire?' En ayant la seule performance pour seul horizon, je crois que je me serai lassé depuis longtemps", écrivait alors Onesta.
picture

Claude Onesta - Handball France JO Rio 2016

Crédit: Panoramic

L'obsession du triplé olympique (expression qu'il conchie, comme à peu près toutes celles, toutes faites, que nous, médias, pouvons utiliser à tour de bras) est donc accessoire chez lui. Ce n'est pas le fait de gagner qui le fait avancer, mais la construction du processus qui mènera, éventuellement à cette victoire. Le pourquoi, le sens profond, c'est l'aventure humaine, collective, l'union des différences, l'interaction des comportements et le solde des désaccords, voilà le carburant de Claude Onesta.
Une approche qui, à l'heure où le handball s'est fortement professionnalisé, où les joueurs, pour certains, deviennent des stars, et où la victoire, par définition, devient primordiale quand elle lui est secondaire, peut paraitre décalée. Lui la trouve salvatrice, même s'il est conscient qu'elle échappe parfois même jusqu'à ses propres joueurs. "C’est vrai que, quand j’écoute les joueurs, disait-il dans ce même entretien à L'Obs, il m’arrive de les trouver très premier degré, et même parfois un peu cons".

La performance n'est qu'une conséquence dont la valeur réside autant dans le chemin collectif que dans les succès éphémères

Parmi les expressions qu'abhorre Claude Onesta, il y a justement "La méthode Onesta". Peut-être parce qu'elle s'écarte du "pourquoi", pour vouloir expliquer à tout prix le "comment". Disons, tout de même, que son approche s'inscrit en réalité dans cette aventure collective. Sa spécificité aura tenu à la mise en place d'un mode de fonctionnement dit "participatif", prompt à libérer les énergies en responsabilisant au maximum chacun, pour mieux impliquer tout le monde. Les joueurs sont devenus force de proposition. L'ancien prof d'EPS ne voulait plus être un "maitre d'école" qui donne des ordres et à qui on obéit. Tout ceci n'avait plus de sens à ses yeux.
picture

Claude Onesta 02-01-2015

Crédit: AFP

"Ne cherchons pas de méthode Onesta, écrivait Pierre Dantin dans Le règne des affranchis, il n'y en a pas ou, si elle existait, son créateur n'aurait de cesse de la combattre tous les jours." La routine a toujours été une ennemie, y compris (surtout ?) quand elle prend le visage de la victoire. Voilà pourquoi les titres à répétition lui font si peur, et qu'il s'échine à leur trouver un sens, plutôt que d'en faire une finalité. Le sens, c'est cette avancée collective. Claude Onesta a trouvé le sens à ses 15 ans à la tête de l'équipe de France dans le chemin fait avec les autres. Pas dans la construction de ce palmarès devant lequel nous bavons tous.
Voilà pourquoi Dantin expliquait qu'"au final, dans la pensée onestienne, la performance n'est qu'une conséquence dont la valeur réside autant dans le chemin collectif que dans les succès éphémères." A l'éphémérité de ce bonheur-là, fut-il intense ("est-il possible de ressentir en si peu de temps tout ce qu'un homme éprouve dans une vie?", s'interrogeait le sélectionneur dans son livre), il préfère la durabilité de ce qu'il a construit au fil de ces 15 années. L'anormalité, pardon, la victoire, surviendra peut-être à nouveau, dimanche, à Rio, pour prolonger le vertige. Dans l'éphémère euphorie du moment, nous viendrons sûrement lui demander comment ils ont fait cela. Mais cette fois, au fond de lui, Claude Onesta saura pourquoi.
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Partager cet article
Publicité
Publicité