L'œil de Rio : 10 choses que je n'oublierai pas de ces Jeux

Le tourbillon est terminé. Il nous a emportés pendant un peu plus de deux semaines, à un rythme comme toujours délirant. Les Jeux Olympiques, c'est l'équivalent d'une quarantaine de championnats du monde organisés en simultané. A chacun, il restera une foule de souvenirs, d'émotions souvent contraires, de plaisirs et de frustrations, bref tout ce qui fait les Jeux, tout ce qui fait le sport, tout ce qui fait la vie.

Emporté comme vous dans ce maelstrom, je vous livre en guise de clap de fin ces 10 séquences qui, pour des raisons aussi variées que leur force émotionnelle, leur puissance évocatrice au plan sportif ou autre chose encore, m'ont particulièrement marqué. Elles ne sont ni hiérarchisées (que ce soit par ordre chronologique ou d'importance) ni vraiment réfléchies, mais livrées de manière spontanée. Comme elles me sont venues quand j'ai décidé de faire de cette liste le dernier volet de cet "Œil de Rio".

Ne cherchez pas à y voir un résumé complet et exhaustif des Jeux. D'abord parce que, même de France, vous en avez probablement vu beaucoup plus que moi en termes d'images. Etre focalisé sur un évènement précis à un instant T, ici, à Rio, c'était la garantie de passer à côté de dix autres. Non, ce que vous trouverez ici, ce sont des instantanés, d'ailleurs parfois déjà évoquées dans ces mêmes lignes. Il y a là, probablement, quelques-uns des souvenirs qui viendront à ma mémoire quand, dans dix, quinze ou vingt ans, je repenserai à cette quinzaine carioca. Allez, c'est parti pour ce dernier voyage.

Il a gagné, a tout écrasé. Usain Bolt a encore marché sur la piste à Rio mais au-delà de la suprématie sportive du Jamaïcain, c'est ce que provoque le personnage qui est fascinant à observer. Il y a d'abord eu cette "conférence de presse" improbable en mode samba fiesta, le jour de son arrivée à Rio. Puis, le soir de sa victoire sur 100m, ces images surréalistes en zone mixte, où la presse l'attendait depuis deux heures. Une bousculade pas possible. Bolt, ou les Beatles à lui tout seul. On a même vu les bénévoles de l'organisation et, plus dingue encore, des membres de la Força National (la police militaire, présente pour assurer la sécurité durant ces Jeux) faire des photos à tour de bras et même des selfies avec sa Majesté Bolt. Lequel, comme toujours, s'est prêté au jeu avec plaisir.

Le handball français nous gâte. Deux finales perdues, oui, mais deux médailles d'argent et quelques-unes des plus fortes émotions de la quinzaine. Et ces deux demi-finales… Après la victoire à l'arraché des Bleues contre les Pays-Bas, il y a eu beaucoup de joie et autant de larmes. La plus touchante fut sans doute Amandine Leynaud, performante dans son but en première période mais incapable d'aller plus loin à cause d'un lumbago. Arrivée devant les journalistes, elle a avoué que c'est en commençant à répondre aux questions qu'elle venait de réaliser qu'elle était assurée d'avoir une médaille olympique. Et elle a fondu en larmes. Et c'était fort.

Cela a été souligné et déploré, pour diverses raisons (prix des billets, manque d'intérêt des Cariocas pour certains sport, etc.) ces Jeux se sont souvent disputés devant des tribunes clairsemées. C'est d'autant plus dommage que, quand elle s'exprime, la ferveur brésilienne est formidable, comme au Maracaniznho, pour le volley, ou le Brésil-Argentine en basket que j'évoquais la semaine dernière. Pour la part, je garderai un souvenir fort de la finale de boxe entre Robson Conceiçao et le Français Sofiane Oumiha. Le Pavillon 6 du Rio Centro, plein jusqu'à la gueule, a offert une ambiance délirante. Ils étaient 5000, ils en paraissaient dix fois plus.

Vous vous en souvenez peut-être, à mi-chemin des Jeux, j'en avais fait mon coup de cœur numéro un de la première semaine. Et ça restera pour moi un des plus formidables moments de ces Jeux, côté français en tout cas. Parce que cette journée aura marqué la naissance d'une championne. Emilie Andéol, est de celle qu'il faut convaincre de son destin. Arrivée en demi-finale, elle a brisé la carapace qui l'empêchait d'avancer depuis des années. Pourquoi là ? Pourquoi maintenant ? Elle-même aura du mal à l'expliquer. Mater, comme ça, la championne olympique puis la championne du monde sur ses deux derniers combats... Sportivement, un monument. Et humainement, un moment formidable, tant le naturel et le bonheur simples de la judokate ont conquis tout le monde.

Là encore, j'en ai déjà abondement parlé, donc je ne m'étendrai pas. Mais quel plaisir de revoir JMDP au sommet, ou, en tout cas, tout près de ceux-ci. Son match contre Djokovic le deuxième jour a contribué à lancer les Jeux et son parcours jusqu'à la finale a été épique. Comme espéré ici-même il y a deux semaines, les pierres ont plu, le poignet a tenu, et les larmes ont coulé. Il y a vraiment des médailles d'argent qui valent tout l'or du monde. Et quel accueil lors de son retour à la maison...

Combien de fois monte-t-on sur un podium olympique dans une vie ? Quand on ne pratique qu'une seule discipline, comme les perchistes, le fait est rare. Ce moment privilégié a tourné au calvaire pour Renaud Lavillenie. Il a payé un lourd tribut à sa malheureuse comparaison avec Jesse Owens au sujet des sifflets dont il avait fait l'objet, la veille, lors de la finale, où le local Thiago Braz a fini par le battre. Pendant la finale, c'est l'adversaire de leur favori que les Brésiliens sifflaient. Le lendemain, c'était bien Lavillenie lui-même. J'ai eu mal pour lui, parce qu'il a tout de suite mesuré qu'il avait dit une connerie et que, de mon point de vue, personne ne mérite ça.

Pour moi, elle est la reine de ces Jeux de Rio. Plus encore que Katie Ledecky, qui présente pourtant un bilan très légèrement supérieur. Mais quand la nageuse américaine a tout dévasté en mode Terminator des bassins, Simone Biles ajoute une personnalité qui emporte le morceau. Une "bubbly personality", comme disent les Américains. Expression presque intraduisible, mais que l'on pourrait rapprocher de "pétillante". Simone Biles l'est, en plus d'être une sacrée championne et une incroyable gymnaste. Je ne suis pas un spécialiste de gymnastique. Mais il n'y a nul besoin d'être expert pour percevoir la force de ce qu'elle transmet dès qu'elle entre en scène.

La photo de Tony Yoka, tout juste sacré champion olympique, dans les bras d'Estelle Mossely, en or elle aussi depuis 48 heures, tous deux enroulées dans un drapeau tricolore, a déjà fait le tour des médias français. C'est une des images fortes de ces Jeux pour la délégation française et le parfait dénouement d'une semaine de rêve pour l'équipe de France de boxe, qui aura été le grand, grand sourire de ces J.O.. Il y a les six médailles, bien sûr, et le double titre du couple en or Yoka-Mossely, mais c'est toute l'équipe, tous les boxeurs qui ont renvoyé une image ultra-positive. Tout le monde ne pourra pas en dire autant.

Quand bien même les Experts deviendraient la 7e compagnie, je ne raterai pas une "zone mixte" tant que le Toulousain y sera. Il y a la forme, si savoureuse. Mais c'est parce qu'elle accompagne un fond souvent puissant que le déplacement s'avère incontournable. Onesta parle juste et vrai. Et puis, il y a ce plaisir de la formule, parfois cinglante, souvent drôle, toujours percutante. Dimanche, quand on lui a demandé quels enseignements il tirait, à chaud, de ce tournoi olympique, voilà ce qu'il a répondu pour nous faire comprendre que ce n'était ni le lieu ni l'heure : "Les enseignements, c'est de la sagesse. Ce n'est pas un truc d'éjaculateur précoce." Je t'aime, Claude.

Juste histoire de finir sur une touche souriante. Tout n'a pas été réussi dans ces Jeux imparfaits mais attachants, mais les deux cérémonies, d'ouverture et de clôture, ont été deux vrais beaux moments. Et Tokyo a déjà réussi l'entrée dans cette olympiade qui nous mènera jusqu'au Japon dans quatre ans. Pour le traditionnel et symbolique passage de témoin entre Rio et Tokyo, le Premier Ministre nippon Shinzo Abe est sorti d'un tunnel imaginaire déguisé en... Super Mario. Celle-là, franchement, personne ne l'avait vue venir. Le Maracana n'en est pas revenu ! Abe a volé la vedette à tout le monde. On retient rarement des images très fortes d'une cérémonie de clôture. Celle-là, on s'en souviendra.

Voilà, de tête, j'aurais pu aussi évoquer les adieux de Ginobili et Parker, les deux monuments des Spurs, la dramaturgie du 50 km marche (mais pourquoi ne les a-t-on fait partir en fin d'après-midi, à la tombée de la nuit… et de la chaleur?), le regard assassin de Phelps vers LeClos dans la chambre d'appel du 100 pap, et de dizaines d'autres choses encore. A chacun ses souvenirs, ce furent quelques-uns des miens.

Un tout dernier mot maintenant puisque ce 16e "Œil de Rio" restera aussi, à jamais le dernier. Merci de l'avoir lu, merci pour vos commentaires (tous lus, soyez-en assurés), remarques, critiques et compléments parfois, aussi. Si vous avez ressenti à la lecture un dixième du plaisir pris à l'écriture, l'effort n'aura pas été tout à fait vain. Et maintenant, vivement Tokyo !