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L'oeil de Rio : Le jour des géants

Laurent Vergne

Mis à jour 12/08/2016 à 11:15 GMT+2

JO RIO 2016 - C'est une journée rare que s'apprête à vivre le sport français. Teddy Riner et Florent Manaudou, deux de ses plus grands champions, sont en lice pour l'or olympique vendredi. Les deux hommes peuvent, en conservant leur titre, s'ancrer dans l'histoire du sport français d'une façon définitive.

Teddy Riner et Florent Manaudou

Crédit: AFP

Une quinzaine olympique, c'est une montagne russe. La plus extrême que l'on puisse imaginer. Mais comme dans toute bonne attraction, si les moments forts sont nombreux, il y a toujours un instant paroxystique. Qui dépasse tous les autres. Celui qui vous donne envie d'y revenir. A Rio, pour la délégation française, il y a de bonnes chances que ce moment-là se tienne vendredi. Il ne me parait pas exagéré de dire que les trois champions les plus attendus de ces Jeux, côté tricolore, sont Teddy Riner, Florent Manaudou et Renaud Lavillenie.
Par les hasards du calendrier, les deux premiers ont rendez-vous avec leur destin ce 12 août. Comme il y a quatre ans, quand ils avaient été sacrés le même jour. Un vendredi, déjà. Ici, à Rio, comme toujours, il y a les athlètes qui viennent pour se dépasser, ceux qui rêvent d'une médaille, ceux qui lorgnent l'or. Et ceux qui peuvent écrire en lettres d'or l'histoire de leur sport. Riner et Manaudou sont de ceux-là. Ils viennent pour le titre olympique, bien sûr. Mais, s'ils l'épinglent, il sera question d'autre chose encore. D'une empreinte définitive.
Commençons par Florent Manaudou. Il y a quatre ans, sa victoire dans le 50 mètres avait fait office de divine surprise. Les consécrations de Yannick Agnel, du relais 4x100m et de Camille Muffat étaient espérées, et même attendues. La sienne, pas vraiment. Il n'était encore que le "petit" frère de Laure, la pionnière. Et l'image de la grande sœur s'asseyant sur le protocole pour sauter en larmes dans les bras de son frère avait peut-être bien été la plus forte de ces Jeux d'un point de vue franco-français.

Les qualités de Laure, sans les défauts

Comme les choses ont changé. Grand Florent est devenu géant. LE géant de la natation française. Muffat a quitté les bassins, avant de nous quitter pour toujours, laissant un vide impossible à combler. Agnel s'est égaré. Londres aura été son sommet. Pour Manaudou, il ne fut qu'un tremplin. Monsieur frère est devenu le taulier de la natation française. Celui que Camille Lacourt qualifie depuis longtemps de "génie" voulait même réussir le doublé 50-100m à Rio. Son ratage aux championnats de France l'en a privé. On ne saura jamais ce qu'il y aurait fait mais ce 100m était si ouvert que, peut-être…
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Florent Manaudou dans le bassin olympique de Rio après sa série du 50m nage libre

Crédit: Panoramic

Peu importe. Il y a ce 50 et il peut suffire à le propulser dans une autre galaxie. Jamais un nageur français n'a réussi à conserver un titre olympique. Il serait le premier. Le premier, aussi, à se parer d'or deux fois en individuel. Tout ça doit être lourd à porter d'autant que, dans le même temps, la natation française se désintègre à peu près à tous les étages. Il est le dernier espoir ici au Brésil. Une figure aussi seule au sommet, on n'avait plus vu ça depuis… Laure. A croire que, décidément, quand on s'appelle Manaudou, on est condamné à en supporter un peu plus que les autres. On lui demande non seulement d'être encore champion olympique mais en prime de sauver la patrie en danger. Ça fait beaucoup.
Mais il parait taillé pour ça, le séquoia de Marseille. Il donne l'impression d'avoir les mêmes qualités que sa sœur, sans les défauts. Il dégouline de talent, possède une volonté de vaincre absolument phénoménal, c'est un gagneur-né. Mais d'une Olympiade dorée à la suivante, il a réussi à ne pas s'égarer. Ce que Laure a joliment résumé il y a quelques jours dans une confidence au Parisien : "Il est assez raisonnable pour son jeune âge, pas comme moi ! Mes expériences lui ont servi de leçon". Voilà pourquoi, quatre ans après son arrivée en pleine lumière, il parait, lui, en mesure de doubler la mise. Si tout se passe bien, quand il ira se coucher vendredi soir, Florent Manaudou sera le plus grand nageur français de l'histoire.

Jean-Sébastien Bonvoisin, le dernier bourreau

Et que dire de Teddy Riner ? A l'échelle du sport français, c'est un monument. C'est notre Phelps à nous. Dans un autre registre, évidemment. Son sport ne lui permet pas d'enquiller les médailles comme les perles. Mais il compte parmi les champions les plus dominateurs de son époque, toutes disciplines confondus. Chez les lourds, son dernier échec remonte aux Jeux Olympiques de 2008. Cela va bientôt faire une décennie que le judo français vit au rythme de son effarant palmarès. Depuis son premier tire mondial en 2007. Il avait 18 ans.
Cette même année, il a été expédié au tapis pour la dernière fois. C'était en finale des championnats de France par équipes. Le nom de Jean-Sébastien Bonvoisin ne vous évoque peut-être pas grand-chose, mais jusqu'à preuve du contraire, il peut se targuer d'être le dernier à avoir collé un ippon au natif des Abymes. Neuf ans sans tomber. Huit ans sans perdre dans sa catégorie. Six ans sans défaite tout court et son échec aux points en finale des Mondiaux en toutes catégories en 2010. Ces chiffres donnent le tournis.
Alors, pourquoi, puisqu'il a tout et tant gagné, Riner aurait-il besoin d'un nouveau sacre ? Parce que Hitoshi Saito et surtout David Douillet, avant lui, ont décroché deux titres olympiques consécutifs, en 1996 et 2000. Le désormais député, qui a troqué la ceinture noire pour le costard-cravate, n'a jamais été aussi dominateur que son héritier. Mais il a ces deux titres. Riner, pas encore. J'ai bien aimé la formule de Franck Chambilly, l'entraîneur de Riner, disant que "Teddy a fait jeu égal avec David. S'il gagne à Rio, il l'aura écrabouillé!". Il n'y aura plus de "mais". Plus rien.
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Teddy Riner

Crédit: Panoramic

S'il doit perdre…

J'ai beau chercher, je ne vois rien de comparable dans l'histoire du sport français à l'emprise actuelle de Teddy Riner sur ses adversaires. Par son alliance unique de puissance et vitesse et d'agilité, il a cessé de pratiquer le même sport que des rivaux, résignés avant même de monter sur le tatami et dont le seul objectif était devenu de ne pas se faire broyer. La concurrence semble enfin reprendre du poil de la bête et il est probable que Riner en soit le premier ravi. Même si, aujourd'hui, plus personne n'imagine une défaite du porte-drapeau français.
D'une certaine manière, c'est terrible et injuste pour lui. Personne ne comprendrait qu'il échoue. Si par malheur ce devait être le cas vendredi, espérons que personne n'aura assez de mépris pour ce qu'il est, et pour ce qu'il a fait, en venant le lui reprocher. Son entourage l'assure, parce qu'il connait l'impact d'un possible deuxième titre à l'échelle historique, il s'est préparé comme jamais. S'il doit tomber, c'est que son jour sera venu. Mais si, comme pour Manaudou, tout se passe bien, quand Teddy Riner ira se coucher vendredi soir, il sera le plus grand champion que le sport français ait jamais connu dans son histoire.
De notre envoyé spécial à Rio, Laurent Vergne
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