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Christian Sarron : "Le premier pilote qui a déhanché n'est pas Saarinen mais Cooper"

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 25/06/2017 à 11:51 GMT+2

MOTOGP - Se déhancher en virage - ce que tous les pilotes font - n'est pas une invention de Jarno Saarinen mais de John Cooper. Christian Sarron, champion du monde 250cc en 1984 et vainqueur en 500cc en 1985, nous le rappelle et est bien placé pour ça. L'expert d'Eurosport a vécu cette évolution de style majeure.

Warm up : Itw Sarron - Zarco en Moto GP

Crédit: Eurosport

Christian Sarron est arrivé en championnat du monde de vitesse à l'une des époques les plus fascinantes, au moment où les moteurs développaient une puissance démoniaque, où les pneus n'en étaient qu'au début de leurs incroyables progrès. Au moment où les pilotes avaient leur mot à dire, en perpétuelle recherche d'efficacité et capables de différences énormes.
En 1978, un certain Kenny Roberts, sous-estimé aux Etats-Unis d'Amérique où il est pourtant capable de gagner n'importe quelle course, sur n'importe quelle machine, débarque en Europe en parfait inconnu. Pour y écrire l'Histoire, avec un grand H. Une légende confinant au mythe. Ses entrées de virage ? En déhanché total et glissade de la roue avant. Ses sorties ? En dérapage complet. Le style est brut de fonderie mais il fonctionne.
Le "Nain jaune" devient bientôt "King Kenny". Rookie champion du monde en 500cc, doublement puis triplement couronné dans la foulée. La légende le poursuit, il n'a pourtant rien inventé. Il a vu le génial Jarno Saarinen sortir la hanche de sa moto au Grand Prix des Etats-Unis en 1973. "J'ai essayé et je me suis de suite senti mieux", dira-t-il. Un pionnier ? Un vulgarisateur. L'as de Yamaha a imposé une mode à retardement. Le regretté Jarno Saarinen a peut-être finalement eu un destin trop court pour coller la façon de faire à la gloire qui lui était promise. Pour autant, le Finlandais, mort tragiquement en course à Monza en 1973, n'a été qu'un transmetteur.

Les Roberts, Spencer, Rainey et autres Lawson avaient commencé à 10 ans

"On ne parle pas de lui, mais le premier pilote qui a déhanché est un Anglais, John Cooper", nous explique Christian Sarron, expert d'Eurosport sur les Grands Prix. "Je ne courais pas à son époque et je l'ai découvert plus tard. Je l'ai rencontré sur une manifestation 'classic' en Angleterre, à Mallory Park. Il m'a montré des photos de lui et j'étais surpris de voir qu'il déhanchait vraiment. Ça devait être dans les années 60. Après lui, il y a effectivement eu Jarno Saarinen. Puis la vague des pilotes américains mais pas seulement. Elle était aussi composée d'Australiens."
En 1978, Kenny Roberts est le premier champion du monde américain d'une longue liste, et ce n'est pas un hasard. Le temps ne demandait juste qu'à faire éclore une génération entière de prêts-à-gagner… "Dans les championnats US et australiens, les pilotes commençaient la moto jeunes, en cross ou en dirt track", précise Christian Sarron. "Ça incitait donc les pilotes à bouger beaucoup plus sur la moto et à déhancher. En Europe, la législation ne le permettait pas. A l'époque, mes adversaires - Kenny Roberts, Freddie Spencer, Steve Baker, Kevin Schwantz, Wayne Rainey, Eddie Lawson - avaient tous commencé avant l'âge de 10 ans. J'ai commencé la course à 20 ans. J'ai roulé un peu sur la route un an ou deux, et évidemment on ne déhanchait pas sur la route."
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Kenny Robert (Yamaha) au Grand Prix de France 1981

Crédit: Getty Images

Sarron marie le déhanché et le pilotage en ligne

Dans ce désert européen du genre, il a dû tout faire lui-même. "Je n'ai pas eu de coach, de conseiller ou de copain pilote. J'ai donc naturellement débuté sans me poser de question, en pilotant en ligne. Tous les pilotes ne déhanchaient pas : certains écartaient juste le genou ou se déplaçaient sur la selle, penchaient un peu le haut du corps vers l'intérieur du virage mais ce n'était pas aussi flagrant que l'école américaine ou australienne."
Et là n'était pas la seule longueur d'avance de ses adversaires. "Ces pilotes dominaient avec un soutien important des constructeurs, des importateurs", se souvient le champion du monde 250cc de 1984. "Je suis arrivé en 750cc contre ces pilotes, Giacomo Agostini, Kenny Roberts, Barry Sheene, Steve Baker, Gregg Hansford. Je ne déhanchais pas et ça ne m'a pas empêché d'être vice-champion du monde dès ma première année complète, en 1977, derrière Steve Baker. Petit à petit, j'ai réalisé que ces pilotes d'usine avaient des pneus dont le développement était orienté par rapport à leur technique. Je me suis aussi rendu compte que le déhanché était plus efficace." Mais de là à se l'imposer…

"Aujourd'hui, les bottes sont rigides quasiment comme des bottes de ski"

"Pour en avoir le cœur net, je me suis fait ma propre expérience au Mans, en 1985, où je venais de faire le deuxième temps en qualification du Grand Prix de France, juste derrière Freddie Spencer", poursuit-il. "Là, j'essaie de faire un meilleur temps en déhanchant, sans savoir ce que c'est. C'était un questionnement, une recherche personnelle et j'ai essayé ça tout seul dans mon coin. Avec le déhanché, j'ai fait le même chrono et j'ai trouvé que c'était plus sécurisant. J'ai alors travaillé le déhanché petit à petit, pas uniquement avec la méthode des Américains mais avec ma touche personnelle. Je n'avais pas besoin de mettre le genou en contact avec le sol. Mes sliders faisaient plusieurs Grands Prix alors que les Américains en usaient plusieurs par week-end. Mon principe était de privilégier la trajectoire et ma technique consistait à passer au-dessus des bordures même quand elles étaient relevées. Les Américains, eux, n'arrivaient pas à faire ça car ils ne pouvaient pas poser le genou. Ils passaient donc plus au large dans le virage. En revanche, dans les courbes rapides qui ont pratiquement disparu aujourd'hui, je ne déhanchais pas. Et c'est là où je mariais les deux styles."
Qu'est devenu le déhanché ? "Aujourd'hui, les motos ont l'antipatinage, elles sont surtout beaucoup plus lourdes et les pilotes se déhanchent beaucoup plus, plus tôt, dès le début du virage", note celui qui reste l'un des trois seuls Français vainqueur en 500cc. "Même au point de corde, ils ont le haut du corps complètement à l'intérieur et à mon époque ce n'était pas le cas, car sans antipatinage il fallait avoir une solution pour relever un peu la moto avant de réaccélérer."
"Et puis, pour moi, le déhanché ce n'était pas que sur le côté mais aussi d'avant en arrière", poursuit-il. "Si vous regardez bien les photos, j'avais toujours le pied extérieur sur le repose-pied, vraiment en appui avec l'avant du pied, de façon à pouvoir redresser et contrôler la moto. Aujourd'hui, ce qui me surprend, c'est que les pilotes ne le font pas énormément. Ils ont des bottes tellement rigides - quasiment comme des bottes de ski - qu'ils ont beaucoup de mal à le faire. Je ne pourrai pas piloter les motos modernes. Je vois des pilotes qui n'ont pas le pied extérieur sur le repose-pied, ou qui ne touche pratiquement pas, et c'est une erreur selon moi."
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