A jamais les premiers

En quatorze éditions, ce n'était jamais arrivé dans l'histoire de la natation tricolore. Et il a suffi d'une seule course pour voir deux Français devenir champions du monde. Par le passé, les femmes s'étaient déjà couvertes d'or planétaire à cinq reprises (*). Jamais leurs homologues masculins. C'est chose faite. Et de quelle manière.

Dans le bassin de Shanghai, le Marseillais Camille Lacourt, triple champion d'Europe à Budapest l'an dernier, et l'Amiénois Jérémy Stravius ont créé la sensation en finale du 100m dos. Les deux nageurs tricolores, qui ont succédé au Japonais Junya Koga, ont réussi la performance de toucher la plaque, en même temps. Arrivés ex aequo, les deux Français n'ont pas été départagés au-delà du centième de seconde (52"76), et ont donc eu le droit de monter, tous les deux, sur la plus haute marche du podium pour entonner, à tue-tête, la Marseillaise. Là-aussi, tous les deux. Pour l'anecdote, c'est le Japonais Ryosuke Irie a accompagné les deux Tricolores sur la "boîte". Ce n'est donc que la deuxième fois qu'aucune médaille d'argent n'est décernée dans un championnat du monde. En 2007, à Melbourne, le Canadien Brent Hayden et l'Italien Filippo Magnini s'étaient partagé l'or, sur 100m nage libre.

Au micro d'Eurosport, Lacourt, qui semblait avoir course gagnée à 25m du but, est revenu sur sa fin de course : "Après avoir touché, je regarde le tableau. Je vois mon nom et je vois que je suis premier. Puis je me tourne, et je m'aperçois que Jérémy est également champion du monde". Le discours est similaire chez Stravius : "Quand je lève les yeux, l'écran affiche 1-1. Je me dis : C'est pas vrai, ce n'est pas possible, Je ne peux pas être champion du monde". Avant cette finale, le Marseillais menait sept victoires à rien face à son compatriote. Le score restera inchangé cette fois-ci. Un résultat qui plaît au sourire ultra bright le plus célèbre de la natation tricolore : Je suis très heureux pour lui. C'est tout simplement énorme. On se tire la bourre si souvent". Même son de cloche chez Stravius : "C'est vraiment bien. On a du respect l'un pour l'autre". Pour l'instant, je pense surtout à mon entraîneur (NDLR : Michel Chrétien), il a confiance en moi et j'ai confiance en lui", a confié le nageur de 23 ans, déjà argenté avec le relais 4x100m dimanche.

Dépoussiérons les livres d'histoire. Cela faisait quatre ans que le clan tricolore n'avait pas eu le bonheur d'entendre son hymne national. La dernière à avoir offert à son pays ce petit plaisir est une certaine Laure Manaudou. A Melbourne, en 2007, la championne olympique du 400m des JO d'Athènes avait obtenu une médaille d'argent sur 100m dos mais surtout deux titres mondiaux en nage libre, sur 200m et 400m. Depuis, plus rien pour les Bleus.

Ceux qui composent l'équipe de France actuelle doivent maintenant prendre la vague dessinée par les deux dossistes. "Ils ont fait la course parfaite. Deux Français champions du monde, c'est génial", a commenté Camille Muffat, juste après avoir obtenu son billet pour la finale du 200m. "On est fier d'être français, quand on voit de telles performances. On se serre les coudes. Mais cela reste "leur" victoire", a ajouté Alain Bernard. Le champion olympique du 100m de Pékin a raison. A Shanghai, Camille Lacourt et Jérémy Stravius ont écrit l'une des plus belles pages de la natation tricolore. Leur jour de gloire est arrivé. A tous les deux. Et en une seule course. Même si ce qui est rare est précieux, il serait bon de ne pas attendre quatre nouvelles années pour entendre de nouveau la Marseillaise.