Henie, la fée norvégienne

Seule une immense championne pouvait nourrir un tel paradoxe. Longtemps, trop longtemps, les femmes n'ont tenu qu'un rôle mineur, voire inexistant dans le monde olympique. Ce fut peut-être plus dans le cadre des Jeux d'hiver que des Jeux d'été. Pourtant, la première grande vedette de l'histoire des J.O. d'hiver fut bien une sportive. Pas un sportif. Sonja Henie, puisque c'est d'elle dont il s'agit, marqué en lettres d'or la légende olympique de son palmarès, unique, de son talent, sans limite, et de son charisme, envoûtant. Elle fut sans doute la première star féminine du sport.

Son histoire est unique. Née le 8 avril 1912, Sonja Henie est élevée dans un milieu on ne peut plus privilégiée. Son père, Wilhem, est une des plus grandes fortunes de Norvège. Il sera d'ailleurs le premier habitant d'Oslo à posséder une automobile. C'est lui qui la guide vers le patinage artistique, discipline alors réservée à l'élite. Il lui paie les patins les plus sophistiquées et les entraîneurs les plus réputés. Petite fille gâtée, Sonja est également prodigieusement douée. Sa précocité sidère tous les techniciens.

Ce n'est donc pas son milieu social qui lui a permis de devenir l'immense championne qu'elle fut, mais bien ses propres aptitudes. Plus encore que par ses titres, si nombreux, c'est par son style que Sonja Henie va marquer son temps et les esprits. Elle est une révolutionnaire, comme un sport en compote trois par siècle, tout au plus. Avant son arrivée, le patinage était un sport mal dégrossi, insipide. Avec elle, il s'anime. Mélange dynamique de sauts extraordinaires pour l'époque et d'enchaînements teintés d'une touche d'espièglerie que lui autorise sa jeunesse, son style tranche singulièrement.

A l'évidence, la jeune fille est en avance sur son époque. A 10 ans à peine, la voilà déjà championne de Norvège... Un an plus tard, en 1924, alors qu'elle n'a pas encore soufflé ses 12 bougies, la Scandinave prend part aux premiers Jeux Olympiques d'hiver, à Chamonix. Elle chute deux fois et doit se contenter de la huitième place. Mais l'avenir lui appartient. Il ne lui faut que quelques années pour s'imposer au sommet du patinage. En 1927, Henie remporte le premier de ses dix titres de championne du monde, un record encore inégalé à ce jour. Le sera-t-il un jour? C'est peu probable.

Il ne lui reste plus qu'à conquérir l'Olympe. Ce sera chose faite en 1928, pour sa deuxième participation. Plus rapide, plus technique, plus gracieuse, Sonja Henie remporte sa première médaille d'or à Saint-Moritz. Six des sept juges placent la poupée norvégienne, qui exhibe mini-jupes et bas de soie, en tête du classement devant l'Autrichienne Fritzi Burger. Elle n'a encore que 15 ans et c'est une reine. Son règne va se prolonger près de dix années supplémentaires. Deux autres titres olympiques suivront, en 1932 et 1936, pour un triplé encore inégalé, chez les hommes comme chez les femmes. Sa popularité est telle qu'à chacune de ses apparitions, la police peine à maîtriser la foule.

Jusqu'à son troisième sacre aux Jeux, en 1936, à Garmisch, Henie reste invaincue. C'est là qu'à 23 ans, elle décide de se retirer de la compétition. Sur une dernière couronne, mais aussi sur un scandale. Peu avant les J.O., lors d'une compétition en Allemagne, elle salue le chancelier Hitler. En Norvège, beaucoup ne lui pardonneront pas ce salut nazi. C'est donc de l'autre côté de l'Atlantique, aux Etats-Unis, que la toute jeune retraité ira monnayer son incroyable popularité. Là-bas, Sonja Henie, qui obtiendra la nationalité américaine au début des années 40, transforme tout ce qu'elle touche en or.

Elle fait une carrière brillante au cinéma pour lequel elle tourne treize films à succès. Ses spectacles sur glace connaissent un succès phénoménal. Elle monte des shows pour la télévision. Elle est une star. Sa fortune est alors évaluée à 50 millions de dollars. C'est une des femmes les plus riches du monde. La vie, qui l'avait tant gâtée, finira par lui apporter le malheur. Atteinte de leucémie, la plus grande patineuse de tous els temps passera de longues années à combattre la maladie. En vain. En 1969, elle s'éteint dans un avion, entre Paris et Oslo, les deux villes où elle suivait son traitement.