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Ado et vainqueur en Grand Chelem, cet impossible défi du XXIe siècle

Laurent Vergne

Mis à jour 15/01/2017 à 13:28 GMT+1

Alexander Zverev est devenu en octobre le premier joueur de moins de 20 ans depuis 2008 à remporter un tournoi. Un ATP 250. Presque un exploit dans le contexte actuel du circuit. Loin des triomphes de jadis des adolescents en... Grand Chelem. Le tennis a beaucoup changé et pour un jeunot, prétendre aux hautes sphères du pouvoir à 17 ou 18 ans devient presque impensable.

Boris Becker et Michael Chang, sacrés en Grand Chelem à 17 ans

Crédit: Eurosport

Si vous avez moins de 35 ans, au minimum, le temps dont nous allons vous parler ici doit s'apparenter à une forme de préhistoire. Une vieille légende sur fond d'images décaties. C'étaient les années 80. Une période faste du tennis mondial. De Borg à Lendl, de McEnroe à Edberg, etc. Une époque, aussi, où il était possible de débouler de presque nulle part, de n'avoir encore ni le permis de conduire ni le bac (ou son équivalent), et de compter malgré tout déjà un titre du Grand Chelem à son palmarès. Triompher à 17 ans, à défaut d'être une norme, était en tout cas une chose envisageable. C'est peu dire que les temps ont bien changé.
Dans les 80's, trois joueurs ont décroché leur premier majeur à moins de 18 ans : Mats Wilander et Michael Chang en 1982 et 1989 à Roland-Garros, et Boris Becker à Wimbledon en 1985. Depuis, ce n'est plus arrivé. Des jeunes joueurs ont continué à ouvrir leur palmarès de façon précoce, y compris jusqu'à un passé relativement récent. Rafael Nadal avait 19 ans lors de son premier titre à Paris. L'Espagnol est d'ailleurs le dernier joueur de moins de 20 ans à avoir soulevé un trophée du Grand Chelem. Novak Djokovic avait lui 20 ans en Australie en 2008 et Juan Martin Del Potro 21 à l'US Open un an et demi plus tard. Le point commun entre ces trois joueurs ? Physiquement, ils étaient déjà de vrais athlètes.
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Wimbledon 1985 : Boris Becker avec le prestigieux trophée, et le finaliste vaincu, Kevin Curren.

Crédit: Imago

Chez les dames aussi, le temps des ados championnes est révolue

La dimension physique du tennis est devenue telle aujourd'hui qu'il devient de plus en plus compliqué pour de très jeunes joueurs de tirer leur épingle d'un jeu ancré sur la ligne de fond de court, y compris sur herbe, entrainant la prolongation des échanges et, donc, l'impact du physique. L'exigence d'un Grand Chelem implique de livrer sept matches comme autant de combats.
Un vainqueur de Grand Chelem, de nos jours, se doit donc non seulement d'être un joueur remarquable, mais aussi un athlète accompli. Ce qu'il est difficile d'être déjà à 19 ans, encore moins à 17. Le tennis féminin semble d'ailleurs lui aussi suivre cette trajectoire. Le temps des championnes adolescentes à la Tracy Austin, Monica Seles ou Martina Hingis a, pour le moment en tout cas, largement vécu. Il n'est qu'à voir les succès de Serena Williams au-delà de la trentaine ou l'avènement d'Angélique Kerber au sommet à 28 printemps.
Alors que nous sommes au cœur des années 2010, il n'est plus question de triompher en Australie, à Paris, Londres ou New York à 17 ans. Aujourd'hui, quand un Sascha Zverev remporte son premier tournoi à 19 ans et demi, on crie déjà à l'exploit. Et pour cause, c'était du jamais vu pour un moins de 20 ans depuis Marin Cilic en 2008.

Mouratoglou : "Le tennis a changé de visage depuis une dizaine d’années"

Le vieillissement du champion de tennis est sans doute la donnée la plus frappante de ce début de siècle. Si la percée des Thiem, Pouille, Kyrgios et autres Zverev a donné un petit coup de jeune au Top 20, la moyenne d'âge de l'élite n'en reste pas moins exceptionnellement élevée. En octobre dernier, sept des neuf premiers mondiaux avaient au moins 29 ans. Et bien au-delà des tous meilleurs, c'est le circuit dans son ensemble qui a vieilli. Fin 2005, le Top 100 comptait sept joueurs de plus de 32 ans. Et le 20e joueur le mieux classé dans cette tranche d'âge pointait au 676e rang à l'ATP. Aujourd'hui, ils sont 21 parmi les 100 premiers. Et le 20e joueur de plus de 32 ans apparaît à la... 85e place. Etre "vieux" et performant, c'est devenu une norme.
La décennie écoulée a donc profondément bouleversé le morphotype du champion. Pour Patrick Mouratoglou, si le joueur performant lambda a vieilli, c'est en grande partie en raison de l'uniformisation du jeu. "Le tennis a changé de visage depuis une dizaine d’années, juge l'entraineur de Serena Williams. Le ralentissement et l’uniformisation des surfaces ont eu des conséquences sur le profil-type du joueur de très haut niveau. La difficulté d’obtenir des points gratuits a fait évoluer le gabarit des joueurs vers une plus grande taille pour favoriser le service, et dans le même temps, le style de jeu le plus efficace devient le tennis-pourcentage, avec une grande couverture de terrain et la capacité de passer de la défense à l’attaque en minimisant le risque de fautes directes."

Un phénomène du tennis mais aussi de la nature

Il convient donc aujourd'hui d'être prêt physiquement, mais aussi techniquement et tactiquement pour espérer jouer un rôle majeur dans un tournoi majeur. Or il est rare, voire impossible, d'être un athlète ET un joueur complet sur tous ces plans, à 17 ou 18 ans. Un Becker, en 1985, était encore un joueur très imparfait, mais son service, véritable arme absolue sur le gazon londonien, l'avait porté vers les sommets. Evidemment, réduire le "Boum Boum" de juillet 1985 à sa seule première balle serait caricatural. Mentalement, l'Allemand avait fait preuve d'une force de caractère affolante, s'imposant après avoir été mené deux sets à un en huitièmes de finale, puis en ayant perdu la première manche en demie et en finale.
Reste que le jeu de Becker était clairement porté avant tout par son service destructeur pour l'époque. Aujourd'hui, ce ne serait plus le cas. "Par le passé, estime encore Patrick Mouratoglou, de jeunes joueurs avec quelques grosses armes pouvaient s’imposer en Grand Chelem. Cela devient plus compliqué aujourd’hui. S’imposer au plus haut niveau, nécessite à la fois une maturité technique, tactique, physique et mentale bien supérieure à celle des précédentes décennies. Un point faible technique est immédiatement exploité par l’adversaire. La maitrise tactique devient indispensable car la relative lenteur des courts oblige les joueurs à travailler chaque point."
Voilà pourquoi même un gamin dégoulinant de classe comme Alexander Zverev aura sans doute besoin de temps avant de prétendre pouvoir lutter sur la durée d'une quinzaine majeure face à des monstres comme Djokovic, Wawrinka, Murray et Cie. Gagner à Roland-Garros ou Wimbledon à 17 ans comme l'ont fait Wilander, Chang ou Becker relevait bien sûr de l'exploit, même à leur époque. Reste qu'aujourd'hui, il faudrait un phénomène du tennis, mais aussi de la nature, pour accomplir pareille performance dans le tennis des années 2010. Ce phénomène est-il seulement né?
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Mats Wilander, vainqueur de Guillermo Vilas en finale de Roland-Garros en 1982.

Crédit: Imago

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