Nouvelles règles : le futur a commencé à Milan

Banlieue nord-ouest de Milan. Le Palais des congrès et centre d'expositions de Fiera Milano Rho se dresse un peu au milieu de nulle part. Espace immense. Froideur à l'unisson. Au milieu d'une farandole d'escalators géants et de couloirs interminables, les pavillons se dressent, tous plus immenses les uns que les autres. C'est dans l'un d'eux, totalement vide il y a encore dix jours, qu'a pris ses quartiers le "Masters Next Gen", le dernier bébé de l'ATP. Une semaine avant le vrai Masters, celui des grands, ce nouveau rendez-vous a une double vocation : promouvoir les jeunes pousses du circuit, et mettre à l'épreuve de nouvelles règles et technologies. Autant le dire tout de suite, globalement, sur ces deux points, il y a du boulot pour que le pari soit gagné.

Il n'a pas de bol, à vrai dire, ce baby Masters. L'ATP l'a créé parce qu'elle désespérait de voir les jeunes loups du circuit frapper à la porte de la cour des grands. Or voilà que c'est précisément l'année de son inauguration qu'un minot de 20 ans, Alexander Zverev, est venu s'installer sur le podium de la hiérarchie mondiale. Logiquement, l'Allemand a donc décliné poliment l'apéritif lombard pour se focaliser sur le festin londonien, la semaine prochaine.

Poli, Zverev a pris part à une exhibition mardi soir, mais n'ira pas plus loin. Entre les "Next Gen" et le Masters pour les grands, son cœur n'a pas balancé. On le comprend. Mais du coup, voilà l'ATP privée à Milan de l'incontestable fer de lance des moins de 21 ans. Drôle de paradoxe. A ce problème de fond est venu s'ajouter l'improbable et gigantesque couac sur la forme du tirage au sort où les boules avaient été remplacés par des top modèles. On se demande bien qui a pu avoir une telle idée et, surtout, envisager qu'elle puisse être bien perçue. Bref.

Mardi, c'était place au jeu. L'occasion d'oublier ces contrariétés.

Mais entre un sentiment joyeux bazar dans l'organisation, à l'image de ce retard de plus de trente minutes pour la rencontre inaugurale entre Karen Khachanov et Daniil Medvedev, et des tribunes loin d'être entièrement garnies, le grand départ milanais n'a pas franchement été triomphal. Le court de 4500 places planté au cœur du gigantesque hall ont eu visiblement du mal à trouver preneurs, même si Ross Hutchins, le directeur du tournoi, a évoqué à ce sujet "un grand succès" quand nous l'avons interrogé.

A l'œil, l'ensemble n'est pas vilain avec ce décor théâtral rappelant la Scala et ce court dépouillé de ses lignes de double. Un retour à la tradition du Masters d'antan qui, du Madison Square Garden à Shanghai en passant par l'Allemagne, avait offert cette configuration visuelle unique pendant plus de deux décennies.

Reste l'intérêt essentiel du Masters Next Gen (lequel ne réside pas dans son aspect sportif puisque, quoi qu'il arrive, le numéro un de cette catégorie d'âge n'est pas là...), à savoir ces nouvelles règles et ces innovations. Parmi ces dernières, la plus "spectaculaire" attrape à la fois le regard et les tympans. Ici, vous ne verrez pas de juges de ligne. Ils ont été remplacés par la technologie. Dès que la balle est faute, la machine vous le fait savoir en hurlant "out". Toujours le même son, toujours sur le même ton. Passé l'amusement des premières annonces, à la longue, un léger sentiment de déshumanisation. Le prix de l'infaillibilité, sans doute.

Les règles inédites, elles, visent surtout à conférer davantage de rythme aux rencontres. La finalité ? Attirer un public plus jeune. L'ATP a mené ces derniers mois une enquête grandeur nature auprès de plusieurs milliers de jeunes fans à travers le monde pour connaitre les envies et les besoins du consommateur de tennis de demain. Ce qui en ressort ? Les matches se trainent un peu trop. Le maître-mot, c'est dy-na-mi-ser.

La fin du let au service (si une balle heurte la bande et retombe dans le carré opposé, le point est joué) et celle des avantages (intronisation d'une "mort subite à 40 A) visent ainsi à raccourcir les jeux. Même objectif pour les sets, raccourci de moitié (tie-break à 3-3, mais passage de deux à trois sets gagnants). Sans aucun doute la principale révolution. Ajoutez-y la règle des 25 secondes entre deux points et vous obtiendrez, de fait, un match nettement plus rythmé.

A chacun de se retrouver (ou pas) dans tout ça. Les premières impressions des joueurs ne sont pas négatives ("c'est cool d'essayer de nouvelles règles, il ne faut pas être fermé", a plaidé Denis Shapovalov). Si ce laboratoire géant n'est, pour l'heure, rien d'autre qu'un laboratoire, ne vous y trompez pourtant pas : il y a de bonnes chances pour que, à long voire moyen terme, certaines de ces règles s'imposent de façon définitive le grand circuit. Lesquelles ? Quand ? A voir. L'ATP reste silencieuse sur ce point, sans doute parce qu'elle ignore elle-même jusqu'où elle est prête à aller pour conjuguer de concert les traditions solidement ancrées de ce sport et ses possibles (r)évolutions. Mettre le doigt dans cet engrenage sans dénaturer le tennis sera un art délicat.

Au fond, c'est bien cela qui commence à se jouer à Milan. Bien plus que ce Masters Next Gen au potentiel et à l'intérêt très relatifs, c'est ce pas vers le tennis de demain qui s'amorce doucement. "Le futur commence maintenant". Tel est le slogan du tournoi, en référence au jeune âge de ses protagonistes. Mais le véritable enjeu dans la cité lombarde tient avant tout dans l'avenir de ce sport et de ce que ses instances dirigeantes voudront en faire.