Avant la demi-finale contre Djokovic : Gaël Monfils, l'âge des possibles

Aux Etats-Unis, Gaël Monfils est ce qu'on appelle un "underachiever". Un champion qui n'est jamais parvenu à exploiter à fond son potentiel, physique et tennistique. John McEnroe a même été jusqu'à considérer la semaine dernière que le Français était une des "plus grosses déceptions de l'histoire du tennis", sur Eurosport, lors de l'émission Game Set and Mats. Pour Big Mac, le Français aurait déjà dû gagner "trois ou quatre tournois du Grand Chelem".

Des propos qui font malgré tout écho à ceux de Roger Federer. Avant d'affronter Monfils à Roland-Garros en 2015, l'illustre helvète avait fait part de son incompréhension : "Je connais ses capacités. Je ne comprends pas pourquoi il ne s'est pas installé dans le Top 10 durablement et, je le dis, installé facilement dans le Top 10. Il aurait pu faire tellement mieux."

Mais c'est bien connu, il n'est jamais trop tard pour bien faire. Le temps presse, c'est vrai. Gaël Monfils a fêté le 1er septembre son 30e anniversaire. Sa carrière est pour l'essentiel derrière lui. Mais le meilleur est peut-être devant. Ce n'est pas incompatible. Le Parisien vit sans doute sa meilleure saison. Une finale en Masters 1000, une demi-finale, deux quarts. Un titre en ATP 500, cet été, à Washington. Un quart de finale à l'Open d'Australie et, donc, validation ultime, cette demie à Flushing, sa première en Grand Chelem depuis huit ans. Si la saison 2016 s'arrêtait aujourd'hui, Monfils pointerait au 5e rang (ndlr : depuis, Wawrinka est repassé devant lui en battant Del Potro, Monfils est donc désormais 6e), en ayant pourtant manqué Roland-Garros à cause d'un virus. Derrière Djokovic, Murray, Raonic et Nishikori. Devant tous les autres. Pas si mal pour un "underachiever".

Monfils n'a sans doute jamais été aussi fort et sa constance dans la performance, découlant de celle dans son attitude, est là pour en témoigner. Monfils travaille beaucoup. Il travaille bien. Il en recueille les fruits. "Je travaille mieux, je travaille mieux, différemment", a-t-il insisté après sa victoire contre Lucas Pouille mardi soir, sans vouloir s'épancher. "Je n'aime pas trop rentrer dans les détails et dire ce que je fais", a-t-il ajouté. "Gaël a fait ce qu'il avait à faire en termes d'investissement cette année, il est là tous les jours et fait ce qu'il doit faire", a résumé quand même Mikael Tillström.

A l'évidence, sa collaboration avec celui qui est son coach depuis près d'un an maintenant, fonctionne à merveille. A l'instar de Magnus Norman avec Stan Wawrinka, Monfils semble enfin avoir trouvé le coach qui lui convient. "C'est bon et c'est important pour moi d'avoir quelqu'un qui parvient à me driver un peu", dit-il à propos du technicien suédois. "Je sais quand je dois défendre, attaquer, c'est moi qui frappe la balle, dit Monfils, mais c'est plus facile quand vous avez quelqu'un pour vous guider, pour vous aider à trouver votre voie. Je comprends mieux beaucoup plus de choses, comment je réagis, ce que j'aime bien faire, ce que je n'aime pas faire, ce que je dois plus faire. Mikael fait du bon boulot."

Au-delà des ajustements techniques effectués, notamment au service pas plus tard que cet été, Tillström semble avoir trouvé la bonne formule pour apaiser son poulain et lui permettre, enfin, de s'exprimer pleinement. A l'aube de la trentaine, Monfils est donc peut-être en train de devenir ce qu'il aurait dû être il y a bien longtemps. Son évolution n'a échappé à personne, pas même à Novak Djokovic, son prochain adversaire. "Gaël a l'air beaucoup plus concentré sur sa carrière depuis quelque temps, souligne le numéro un mondial. Il n'a jamais aussi bien joué au tennis, notamment sur dur je trouve. Il est très régulier. Il n'a pas perdu un seul set pour arriver en demies, ça en dit long sur le niveau auquel il évolue."

Auparavant, à l'heure d'affronter Gaël Monfils, ses adversaires ne savaient pas trop à quoi s'attendre. Le meilleur. Le pire. Jekyll ou Hyde. Y compris, parfois, au coeur d'un même match. Ce gros défaut parait s'être évaporé. Il n'a jamais été aussi pénible à jouer. "Quand Gaël joue son meilleur tennis, a expliqué Tillström à l'AFP, il n'y a pas un joueur qui n'ait pas peur de lui." On n'ira peut-être pas jusqu'à faire de "La Monf'" le "favori pour le titre", comme l'a dit Emmanuel Planque, l'entraîneur de Lucas Pouille, après la défaite express de son protégé en quarts. Mais Monfils n'a jamais été aussi bien armé.

La demi-finale contre Novak Djokovic constitue évidemment le test ultime pour mesurer où il en est de cette évolution. Physiquement frais (là encore, le travail avec son préparateur physique, Gaétan Olivier, est en train de payer) et confiant comme jamais, sûr de ses armes, le Français a un duel très intéressant à livrer. Il n'a jamais battu le Serbe, qui sera encore archi-favori vendredi soir. "A coup sûr, je m'attends à une sacrée bataille", a lancé le Djoker. Pour une fois, ces mots pourraient dépasser la traditionnelle formule de politesse. Mais au-delà de ce seul match, de ce seul tournoi, c'est ce cap qu'il va devoir conserver. Après New York. Après l'été. Après 2016. Alors, ce sera vraiment l'âge de tous les possibles.