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Connors-Krickstein 1991 : Jimbo le héros

Laurent Vergne

Publié 22/11/2016 à 13:58 GMT+1

Retour sur l'incroyable huitième de finale de l'US Open 1991 entre Jimmy Connors et Aaron Krickstein, le jour des 39 ans de Jimbo, l'idole d'un court Louis-Armstrong totalement déchainé.

Jimmy Connors

Crédit: Eurosport

C'est l'histoire d'une résurrection. Celle d'une légende vivante que l'on croyait morte pour de bon. Jimmy Connors a remporté huit titres du Grand Chelem. Il a réussi un petit chelem. Il a été numéro un mondial pendant trois ans sans discontinuer. Il a livré des combats de titans contre les plus grands, de Borg à McEnroe en passant par Lendl et remporté plus de 100 tournois.
Pourtant, pour beaucoup, sa plus belle, sa plus marquante page, Jimbo l'a écrite à l'automne voire à l'hiver de sa carrière, à 39 ans. Si vous me demandez un souvenir, un seul, de Connors, spontanément, l'US Open 1991 me viendra en premier à la bouche. C'est d'ailleurs l'avis même de l'intéressé: "Ce sont les onze meilleurs jours de ma carrière. Meilleurs que mes titres. Il n'y a même pas photo. Je n'échangerais pas une seule seconde ce que j'ai vécu dans ce tournoi contre tous les titres du monde."
Parce que ces onze jours s'apparentent à un paradis perdu, miraculeusement retrouvé. Ses huit titres du Grand Chelem, Connors a toujours été convaincu de pouvoir les gagner. Mais ce parcours-là, ces émotions-là, vécus en cette fin d'été 1991, il les pensait impossible à vivre. Il a rendu fou Flushing avec un parcours de feu, avec un mélange incomparable de grinta, de talent et de courage. Papy Connors atteint les demi-finales, où il finira par tomber, les armes à la main et les jambes en compote, face à Jim Courier, de 18 ans son cadet. Mais avant cela, il a eu le temps de botter quelques fesses. Et de sortir quelques matches dont lui seul avait le secret. Le must du must, c'est, de très loin, son huitième de finale face à Aaron Krickstein. Un morceau de légende.

P. McEnroe: "Si j'avais été dans les tribunes, je l'aurais encouragé aussi"

Pour bien prendre la mesure de la nature de l'exploit de Connors, il faut se souvenir d'où il revient alors. Depuis deux ans, il a amorcé un déclin qui parait irrémédiable. A l'été 1990, il a subi une opération visant à restructurer son poignet. Bref, pour Jimbo, ça sent la fin. D'ailleurs, il l'avoue, il ne pense plus pouvoir rejouer au plus haut niveau. Au cours de cette année 90, pour la première fois de sa carrière, il ne dispute aucun tournoi du Grand Chelem. Un an plus tard, quand débute l'US Open, il pointe à la 174e place mondiale.
Connors a certes montré qu'il lui restait un soupçon de vie à Roland-Garros en sortant Agenor avant de livrer un match héroïque, ponctué d'un abandon, contre Chang. Mais le tennis américain, désormais, c'est Sampras, Agassi, Courier ou Chang justement. L'ami Jimmy se voit offrir une wild-card par les organisateurs. Une façon de lui rendre hommage. Mais personne n'imagine sérieusement qu'il va être LA star de la quinzaine en écrivant une des pages les plus folles de l'ère Open en Grand Chelem.
Savoureuse ironie du tirage, son premier adversaire s'appelle McEnroe. Patrick McEnroe. Le frère du vrai. Connors fait son âge et même un peu plus. Il est mené deux sets à rien, 3-0 et 0-40 sur son service. C'est une déroute. Le match a débuté très tard, à 21h15. Lorsqu'il s'achève, à 1h35 du matin, Connors est au deuxième tour. Il a réussi un invraisemblable retournement de situation pour s'imposer 4-6, 6-7, 6-4, 6-2, 6-4. Il n'y a plus que quelques milliers de spectateurs dans les travées du Louis-Armstrong à la fin du match (beaucoup ont quitté le stade à la fin du deuxième set), mais l'ambiance est incroyable.
Vaincu, Patrick McEnroe aura ces mots: "Jimmy a su utiliser la foule. Et je crois que si j'avais été dans les tribunes, je l'aurais encouragé aussi." Formidable aveu, qui traduit le pouvoir d'attraction et de séduction de Connors sur le public. C'est un sorcier vaudou, capable d'envoûter. "Patrick a réveillé la bête", note de son côté John, le grand frère. Il ne croit pas si bien dire. Cette entame tonitruante préfigure le grand moment de la quinzaine, quelques jours plus tard, avec ce huitième face à Krickstein. L'ambiance la plus folle de l'histoire de Flushing. A côté, celle du match contre McEnroe va paraitre presque feutrée.
Je suis là à me bouger le cul à 39 ans et vous me sortez cette merde?
Nous sommes le 2 septembre. Flushing est en fête. C'est l'anniversaire de Jimbo, qui souffle ses 39 bougies. Connors-Krickstein, un duel 100% américain. Mais il n'y en a qu'un qui évolue à domicile. Krickstein n'existe pas. Pourtant, il n'est pas le premier venu à Flushing. Certes, ce pur produit de l'école Bollitieri n'a jamais confirmé les promesses de sa jeunesse, lorsqu'il était devenu à 16 ans le plus jeune vainqueur d'un tournoi ATP et le plus jeune membre du Top 10 de l'histoire, à 17 ans.
Mais à l'US Open, Krickstein a toujours bien joué, atteignant notamment les quarts de finale en 1988 et 1990 et les demies en 1989. Il a 15 ans de moins que Connors, il vient de sortir Agassi et pourtant, de façon presque insensé, il ne fait pas office de favori. Voilà peut-être pourquoi, pendant un set et demi, le vieux gaucher parait tétanisé. Il était venu à Flushing pour se faire plaisir, éventuellement pour essayer de gagner un match, et voilà que, maintenant, il est attendu. En réalité, il n'est pas devenu le personnage central du tournoi. Il est le seul. Lors de la conférence de presse de Sampras après son troisième tour victorieux, douze questions sur seize portent ainsi sur Connors, jusqu'à ce que Pistol Pete finisse par s'agacer.
Même pour un vieux briscard grognard qui croyait avoir tout vécu, tout ça n'est pas évident à gérer. Et Krickstein en profite. Comme souvent avec Connors, il faudra un élément extérieur pour le faire entrer dans le match pour de bon. Il a lieu dans le tie-break du deuxième set. A 7-7, Connors s'estime victime d'une mauvaise décision de l'arbitre. Sur son smash, la balle est donnée bonne par le juge de ligne, mais l'arbitre accorde finalement le point à Krickstein. Connors devient fou furieux.
"Vous n'avez même pas vu cette putain de balle ! Je suis là à me bouger le cul à 39 ans et vous me sortez cette merde? Descends de cette chaise !", hurle-t-il. "Je l'ai vu clairement", rétorque David Littlefield, pas très sûr de lui. Il faut dire qu'il est plus jeune que Connors, qui lui en impose... "Vous l'avez vu clairement? Mon cul, oui !" C'est le déclic dont il avait besoin. Dans un brouhaha indescriptible, le juge de chaise annonce "8-7, Krickstein". Connors sauve la balle de set au filet et, en bon showman, en rajoute des caisses en pointant sa raquette vers l'arbitre. Deux points plus tard, il égalise à un set partout. Le stade est debout. Krickstein est foutu.

Une palpable évidence

A partir de ce moment-là, ce match, et Flushing tout entier avec lui, bascule dans une autre dimension. Sans que cela puisse s'expliquer, on pressent que Connors va gagner, parce qu'il ne peut en être autrement. Krickstein va pourtant mener deux sets à un. Puis, dans le cinquième, il sera encore devant (5-2), servant pour le match à 5-3. Mais le retour de Connors, malgré sa fatigue, parait inéluctable. Comme une irrationnelle certitude. Une palpable évidence. Krickstein, dont il est impossible de ne pas louer le courage compte tenu de ce qu'il endure ce soir-là, écarte pourtant plusieurs balles de break à 4-2. Mais à 5-3, il doit céder son service. Pour lui, c'est un supplice. Connors était son idole de jeunesse. Il est même devenu assez proche de lui à ses débuts, en devenant régulièrement son partenaire d'entraînement. Mais dans ce huitième de finale, Krickstein est un étranger pour Connors comme pour le public.
Cerise sur le gâteau, ce match à la démesure de Jimbo le héros va se décider au tie-break du cinquième set. Avant que celui-ci ne débute, Connors s'assoit au fond du court. Longuement. Il se tourne vers la caméra et lance un "c'est pour ça qu'ils sont venus. C'est ça qu'ils veulent." Ça, c'est ce spectacle hors normes, ce véritable one man show. Alors Jimbo va leur donner, jusqu'au bout, en remportant ce tie-break 7-4. "Dans ce tie-break, j'étais le gibier, il était le chasseur. Je n'avais plus de moyens pour m'échapper, alors il m'a achevé", résume Krickstein. Après 4h42 de combat, Connors est en quarts de finale, le jour de ses 39 ans. 4h42.
Dire qu'avant le match, tous les observateurs s'accordaient à penser que Connors avait intérêt à gagner vite face à Krickstein, surnommé Marathon man pour sa manie de jouer des matches en cinq sets. Et de les gagner. A la fin de sa carrière, l'ami Aaron présentera un ratio exceptionnellement favorable dans les rencontres en cinq manches: 27 victoires sur 35. La victoire d'un Connors quasi quadragénaire n'en parait que plus invraisemblable. "Je n'avais rien d'autre à faire aujourd'hui. Alors, jouer trois heures, quatre ou douze, je m'en foutais", plaisante-t-il.
Lorsque le match s'achève, il n'y a alors pas un siège de vide dans le Louis-Armstrong, qui va entonner un long et vibrant "happy birthday". A cet instant, personne n'est indifférent. Même les pires ennemis de Connors sont bluffés. John McEnroe en personne ira le féliciter dans les vestiaires. La seule fois de toute la carrière de Connors où Big Mac prendra une telle peine. Arthur Ashe, lui, est installé en tribune de presse. Jadis, il avait traité Connors de "trou du cul", pour son comportement souvent insupportable, sur le court comme en dehors, son égoïsme et son manque de respect pour ses pairs. Le journaliste Peter Bodo se tourne vers Ashe: "Tu penses toujours que Connors est un trou du cul ?" Sourire de Ashe. "Oui, mais c'est mon trou du cul préféré."
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