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Il était une fois les Jeux

Eurosport
ParEurosport

Publié 19/08/2008 à 19:55 GMT+2

Chaque jour, nous vous proposons de revivre un grand moment de l'histoire des Jeux Olympiques. Le 9e épisode nous emmène en 1968 à Mexico, où Bob Beamon est entré dans la légende du sport en réussissant un invraisemblable saut de l'ange en longueur.

Parfois, le sport dépasse la raison. Les prévisions, les pronostics et la logique la plus élémentaire volent en éclats en une fraction de seconde, remettant en cause une réalité pourtant solidement établie. Ces moments sont rarissimes. C'est ce qui les rend si précieux. Quelques uns par siècle, tout au plus. Le plus incroyable d'entre eux est sans aucun doute survenu le 18 octobre 1968 à Mexico, lors du concours de la longueur des XVIe Jeux Olympiques. Ce jour-là, un jeune homme de 22 ans, Bob Beamon, a réalisé une performance difficile à appréhender pour ses contemporains, tant elle dépassait ce que mêmes les esprits les plus ouverts pouvaient alors admettre. Pas un exploit, non. Un miracle? Peut-être.
Lorsque débute la finale de la longueur, chacun s'accorde à estimer que le record du monde, fixé à 8,35m, est en danger. Toutes les conditions, à commencer par l'altitude, semblent réunies. C'est d'ailleurs à Mexico qu'en octobre 1967, Igor Ter-Ovanessian a égalé la marque de Ralph Boston. Quelques jours avant le grand rendez-vous, le Soviétique est convaincu que les limites de l'homme sont plus lointaines. "Elles n'existent pas, explique-t-il, car on n'arrête pas le progrès technique. Si on arrive à envoyer des hommes dans l'espace, je ne vois pas ce qui pourrait empêcher un sauteur en longueur de retomber un jour à 8,50m ou 8,60m." Mais comme tout le monde, il est évidemment très loin d'imaginer ce qui va se tramer sur le sautoir du stade Aztèque. Qui le pourrait?
"Tu as sauté plus de 29 pieds!"
Le plus drôle, c'est que Beamon a failli ne jamais effectuer ce saut de légende. La veille, lors des qualifications, le New Yorkais a frôlé la catastrophe. Pour un problème de marques (son gros défaut), il mord ses deux premiers essais. Trop nerveux? Non, trop rapide. "Ralph (NDLR: Boston, autre membre de l'équipe US et co-record du monde avant Mexico) est venu me voir. Il m'adit que j'arrivais si vite sur la planche d'appel qu'il fallait absolument que je recule mes marques", raconte Beamon. Il suit ce conseil et à sa troisième tentative, retombe aux alentours de 8,30m. L'essentiel est fait. Pareille mésaventure était arrivée 32 ans plus tôt à Jesse Owens, à Berlin. Sur la route de son quadruple sacre olympique, Owens avait failli passer à la trappe lors des qualifications de la longueur, avant d'offrir un récital en finale. Le même destin attend Beamon, mais des proportions plus larges encore.
Le jour J, une atmosphère étrange enveloppe l'enceinte olympique. Il fait chaud, très chaud. Très lourd, aussi. L'orage menace quand débute la finale. C'est évident, des trombes d'eau vont bientôt s'abattre sur le sautoir. Le début du concours sera donc déterminant. Bob Beamon est le premier à s'élancer, dossard 254 sur le dos. Sa course d'élan, son habituel point faible, est impeccable. Au terme de 19 foulées, il arrive comme une bombe. L'impulsion est magistrale. C'est l'envol. Les genoux relevés au niveau du ventre, l'Américain semble ne jamais devoir retomber. Lorsqu'il reprend enfin contact avec la terre ferme, Beamon est visiblement au niveau des neuf mètres. Cela parait invraisemblable. D'ailleurs, dans la tribune de presse, personne ne s'agite encore. Tout le monde est convaincu qu'il a largement mordu, ceci expliquant cela. Mais aucun drapeau rouge ne se lève. Il faut alors se résoudre à envisager l'impossible.
Beamon, lui-même, semble ne pas bien comprendre tout de suite la portée de sa performance. Le panneau lumineux finit par s'allumer, après une interminable attente. Il affiche 8.90. Mais Beamon ne sait interpréter que les mesures en pieds et en pouces. Il faut que Ralph Boston vienne lui "traduire". "Tu as sauté plus de 29 pieds!" La folie s'empare alors de lui. Beamon saute dans tous les sens, s'agenouille, puis se relève. Il est pris de spasmes, se met à vomir. Oui, il vomit de joie, tant l'émotion qui le submerge le dépasse. Invité au meeting de Saint-Denis cette année pour le 40e anniversaire de son exploit, Beamon est revenu sur ce moment de pure folie: "J'étais incroyable nerveux avant la finale. Je n'écoutais même pas ce que les gens me disaient. J'étais plus confiant que jamais personne ne l'a été. J'ai aussi vite que j'ai pu et j'ai pris mon élan. Pendant que j'étais en l'air, je n'arrêtais pas de me dire : 'c'est bon, tu es toujours en l'air. Puis je me suis posé. Ils ont levé les drapeaux et je me suis dit que c'était pas mal. J'ai vu que les gars avec des instruments de mesure électroniques, je n'en avais jamais vu. Je ne comprenais pas l'espagnol, je ne comprenais pas ce qu'ils disaient et je ne savais pas lire le tableau. C'était démentiel."
Le temps s'est arrêté
Pendant ce temps, la pluie, comme prévu, a commencé à tomber à flots sur Mexico. Peu importe. La finale est terminée. Ter-Ovanessian, comme tous les autres, est resté figé devant la perf' de Beamon. "Devant un tel saut, nous sommes comme des petits garçons face à un géant ", dira-t-il. "J'ai tué le concours avec ce saut, mais je me suis tué aussi. Je n'en peux plus, je vais être malade ", lance Beamon, quasiment en transe. Il n'effectuera plus qu'un seul saut, d'ailleurs très quelconque. Cela n'a plus aucune importance. Le temps s'est arrêté. Bob Beamon vient d'améliorer le record du monde de 55 centimètres! Il avait fallu 30 ans pour passer des 8,13m de Jesse Owens en 1935 à 8,35m. C'est dire le bond extravagant que la discipline vient d'accomplir avec le saut du New Yorkais.
Comment expliquer une telle performance? L'altitude, bien sûr (2240m). La densité de l'air, inférieure de 25% à la moyenne au moment de la finale. Le vent, également. Certains doutent d'ailleurs qu'il n'était qu'à deux mètres par seconde lorsque Beamon s'est élancé. Tous ces facteurs ont sans doute pesé. Mais les 8,90m de l'Américain demeurent, à bien des égards, inexplicables. "Moi-même, avoue Beamon, je ne sais pas comment j'ai pu sauter aussi loin. Je veux dire, je n'avais jamais sauté 8,80m, ni 8,70m ni même 8,40m. C'est incroyable. C'était impossible et pourtant je l'ai fait." Son record aura un écho retentissant, sauf, paradoxalement, aux Etats-Unis, où l'on parlait alors surtout de l'affaire Smith et Carlos et du Black power. Beamon n'y était pas indifférent, loin de là, mais il a rappelé ce jour-là que le sportif était l'essence même de l'Olympisme.
BOB BEAMON EN 5 DATES
. 1946: Naissance le 29 août de Robert Beamon à South Jamaïca, un quartier du Queen's, à New York.
. 1968: En finale des Jeux de Mexico, dès son premier essai, Beamon améliore le record du monde de 55 centimètres, en retombant à 8,90m. Il entre dans la légende. Auparavant, son record personnel était de 8,33m. Par la suite, il ne sautera jamais plus loin que 8,22m...
. 1969: La NBA lui fait les yeux doux. Beamon est même drafté par les Phoenix Suns au 15e tour. Mais il n'évoluera jamais au plus haut niveau professionnel.
. 1972: Beamon met officiellement un terme à sa carrière avant les Jeux de Munich.
. 1991: 23 ans après, le record de Beamon tombe au terme du plus fabuleux concours de l'histoire, lors des Mondiaux de Tokyo. Carl Lewis et Mike Powell se livrent un combat de titans. Finalement, Powell retombe à 8,95m à sa 5e tentative.
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