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JO Pékin 2022 - Biathlon - Emilien Jacquelin, c'est grave docteur ? "Il doit retrouver son schéma instinctif"

Laurent Vergne

Mis à jour 09/02/2022 à 15:15 GMT+1

JEUX OLYMPIQUES D'HIVER – Argenté mais fragile sur le relais mixte, passé totalement au travers lors de l'individuel mardi, Emilien Jacquelin connait des débuts de Jeux difficiles. Surtout au tir debout, où le double champion du monde de poursuite semble avoir totalement perdu son rythme. Peut-il redresser la barre à temps avant le sprint, samedi, où il jouera très gros ?

"Ce n'est que l'ombre de lui-même" - Jacquelin dans le dur pour le début des Jeux

Émilien Jacquelin espérait "faire une Chevalier-Bouchet". Comme sa camarade de l'équipe de France, il était passé un peu au travers lors du relais mixte. Sa médaille d'argent avait le goût de la joie plus que de la satisfaction. Tous deux avaient surtout connu un gros trou d'air au tir debout.
Anaïs Chevalier-Bouchet a répondu lundi en allant chercher la médaille d'argent lors de l'individuel. On espérait une trajectoire similaire pour Jacquelin dans cette même épreuve, mais, mardi, le biathlète de Villard-de-Lans a plongé. Sept fautes au tir, une 72e place à l'arrivée, et des Jeux qui commencent à tourner au vinaigre, même si le bilan n'est encore que provisoire.
Attendu comme le co-leader des Bleus en Chine, Jacquelin laisse toute la lumière à Quentin Fillon Maillet, sacré champion olympique sur le 20 km. "Ce qui est paradoxal, relève le consultant d'Eurosport Loïs Habert, c'est qu'Emilien a eu une grosse blessure cet été. Le plan, c'était plus d'utiliser le début de saison pour se mettre en route et se préparer pour les J.O. En fait, il a été prêt très tôt, peut-être un peu trop tôt. Il a voulu porter un statut de leader d'équipe, et à juste titre, parce qu'il le méritait, conjointement avec Quentin Fillon Maillet. C'est vrai que depuis le Grand-Bornand où il a été exceptionnel, depuis le mois de janvier, il n'est que l'ombre de lui-même."
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"Beaucoup de crispation" : Jacquelin revient sur son raté au tir debout lors du relais mixte

Ce n'est pas un calculateur, il joue sur l'instinct
Le problème du double champion du monde de poursuite se niche dans la tête, pas dans les jambes. Physiquement, il a retrouvé du jus. Son temps de ski sur le relais était bon, son entame de course également lors de l'individuel. Même son tir couché tient le choc : cinq sur cinq dans le relais, idem lors de son premier passage sur le pas de tir mardi. En revanche, sur le debout, c'est autre chose. Un vrai carnage. Ce fut le cas samedi, et guère mieux dans l'individuel. "Quand je suis arrivé au tir debout, les jambes tremblaient, j'étais fébrile au niveau des jambes, a-t-il expliqué. Ça ne pardonne pas, j'ai fait trois fautes et c'était terminé."
Pourquoi une telle différence entre ces deux exercices ? Parce qu'ils sont d'une nature très différente, comme l'explique Loïs Habert : "Le tir couché, c'est un tir technique. La cible fait quatre centimètres, on n'est pas loin d'un tir de précision. Il faut construire son schéma chronologiquement et bien empiler les cases. Le tir debout, c'est beaucoup moins de technique, et beaucoup plus d'instinct. Il ne faut pas rater sa chance. La carabine bouge beaucoup autour de la cible. Avec l'effort, on n'arrive pas à la stabiliser, il y a trop de mouvement. Donc il faut être hyper instinctif pour synchroniser le lâcher avec le court instant où la carabine passe en face de la cible."
Le maître-mot, c'est la confiance. Or Jacquelin en manque ces temps-ci et si c'est un problème pour n'importe qui, ça l'est encore davantage pour un tireur dans le style du natif de Grenoble. "Ce n'est pas un calculateur, il joue sur l'instinct, reprend Habert. Même quand il joue la gagne, ou qu'il est quasiment sûr de gagner, il a besoin de tirer en 15 secondes, de lâcher les chevaux. Quand on le voit, sur le tir debout, s'installer et se reprendre, une fois, deux fois, trois fois, chez lui, ça se termine toujours mal. Ce n'est pas le cas de plein d'athlètes. Certains vont se reprendre et mettre les balles. Lui, dès qu'il sort de son schéma instinctif, c'est compliqué."
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5 balles ratées à la suite pour Jacquelin : le moment où l'or a échappé à la France ?

Le retour de la confiance passe par celui du plaisir

Pour relever la tête, Emilien Jacquelin doit donc retrouver ce fameux "schéma instinctif". Mais c'est évidemment beaucoup plus complexe à faire qu'à énoncer. Surtout au cœur d'une quinzaine olympique. Ce type de soucis peut se résoudre sur la durée, plus difficilement sur du très court terme. "Ça va être dur de switcher d'un mode à l'autre, selon notre consultant. Ça va être assez dur de recréer cette dynamique instinctive maintenant que les J.O. sont lancés." Mais il n'a plus le choix s'il veut éviter que ses Jeux ne tournent au fiasco. Les trois jours de latence entre l'individuel et le sprint, soit le plus long break dans le programme, feront peut-être du bien à Jacquelin.
Concrètement, comment sortir de ce cercle vicieux quand le doute s'est ancré dans la tête du tireur ? Tout dépend du profil de l'athlète. "Avec certains, il faut presque leur enlever la carabine, tranche Loïs Habert. C'est un truc assez classique. Tu ne tires pas pendant deux jours, comme ça tu vas oublier ce que tu fais en ce moment et potentiellement tu peux retomber sur tes bases habituelles. D'autres, au contraire, ont besoin de beaucoup tirer. Je me souviens d'un truc que je faisais faire à certains athlètes : je les faisais venir aux séances mais sans tirer. Ils font tout en simulation ou à sec. Et comme ça, ils arrivent à reprendre confiance. Chacun ses leviers."
Dans le cas de Jacquelin, il préconise le sevrage : "Je pense qu'Emilien, il vaut mieux lui enlever la carabine. Ou faire des simulations, ou même des petits jeux. Sortir des J.O. Ça parait débile mais il faut lui dire 'Allez tu tires trente balles, je veux que tu les tires le plus vite possible. Joue, fais toi plaisir, je veux que tu retrouves la banane.'" Le retour de la confiance passerait donc par celui du plaisir, dans toute sa simplicité. "C'est ça qui est paradoxal dans le biathlon, ajoute Habert. On calcule tout, de la pulsation cardiaque à la vitesse de tir mais en fait, c'est juste un jeu. Un jeu d'adresse. Il faut remettre du jeu dans tout ce qu'il fait."
La bonne nouvelle pour Emilien Jacquelin, c'est que ses épreuves favorites arrivent. La mass start, qui clôturera le programme, et plus encore la poursuite, discipline qu'il adore et dans laquelle il a décroché ses deux titres mondiaux successifs. Problème, pour faire une bonne poursuite, mieux vaut ne pas vendanger son sprint puisque les deux épreuves sont liées (les écarts à l'issue du sprint sont répercutés au départ de la poursuite). Samedi, il jouera donc très gros sur ces 10 kilomètres. Non seulement parce qu'un nouvel échec le maintiendrait dans son cercle vicieux, mais aussi parce que c'est sa place sur le relais masculin qui pourrait se voir menacée.
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Emilien Jacquelin

Crédit: Getty Images

Menacé pour le relais ?

"C'est beaucoup trop tôt mais c'est sûr que c'est une réflexion en cours chez les coachs, au moins dans un coin de leur tête", estime Loïs Habert. Or une nouvelle "craquante" de Jacquelin ce week-end pourrait inciter les entraîneurs à opter pour le cinquième homme, Antonin Guigonnat. Dans un relais, la différence peut se faire sur un maillon fort, mais aussi sur un énorme passage au travers. Mieux vaut un relayeur efficace capable de suivre qu'un biathlète au potentiel certes beaucoup plus élevé mais aussi sujet à des trous d'air importants. Jacquelin a typiquement le profil du garçon capable de porter le relais très, très haut, ou de le faire tomber très bas.
"Le but, c'est de rester à la bagarre et, après, Quentin fera la diff'. En tout cas on peut imaginer que ça se passera comme ça. Un peu comme à l'époque de Martin Fourcade, résume Habert. Mais ce qu'il ne faut pas, c'est lui ramener le relais à une minute. Donc surtout pas de relayeurs avant qui plantent le relais. Historiquement, Emilien a réussi des très beaux relais et ce n'est pas le seul à en avoir raté mais dans les deux-trois dernières années, il en a planté quelques-uns. L'historique des relais ne parle pas forcément pour lui."
Même s'il a d'ores et déjà glané une médaille d'argent en relais mixte, un tel scénario serait une forme de désaveu pour Emilien Jacquelin. Mais il ne s'accomplira que s'il sombre lors de la poursuite et du sprint. Nous n'en sommes pas encore là. "C'est trop tôt dans le sens où il faut le laisser faire ce qu'il est venu faire, c'est-à-dire l'enchaînement sprint-poursuite. A partir de là ils décideront", pour Loïs Habert. Jacquelin est un peu comme s'il était dans une course et que son premier passage au tir ne s'était pas passé comme prévu, ou espéré. Mais l'histoire est loin d'être terminée.
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